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« J’apprécie de produire du lait bon pour le consommateur »

David Lacoste, dans le Cantal, a rejoint les 30 fermes Cant’Avey’Lot qui produisent du lait Bleu blanc cœur et le commercialisent elles-mêmes. Pour le meilleur : un prix rémunérateur et du sens au métier.

Il y a des décisions que l’on peut regretter longtemps. Mais, il y en a aussi dont on peut se réjouir toute une vie. Le pari de David Lacoste, éleveur à Saint-Constant dans le Cantal, de quitter en 2013 une solide entreprise privée d’Auvergne pour un groupe de producteurs à l’avenir encore incertain, fait partir de la deuxième catégorie. Son entreprise menaçait de ne plus collecter les producteurs hors AOP cantal. Lui remplissait les conditions de l’AOP et ne semblait donc pas concerné. Pourtant, en l’affaire d’un mois, il a décidé de rejoindre les 26 fermes de Cant’Avey’Lot, qui s’étaient lancés trois ans plus tôt dans la commercialisation de leur lait, suite à l’arrêt de collecte d’une entreprise espagnole dans le Sud-Ouest. David Lacoste fait partie des quelques recrues supplémentaires qui, avec les fondateurs, forment aujourd’hui une coopérative de 30 exploitations, à cheval sur trois départements (Cantal, Aveyron, Lot) pour un volume de lait de près de 12 millions de litres, commercialisé principalement en lait UHT Bleu blanc cœur (voir ci-après). « Je suis parti quand le prix du lait était au plus haut. Au début, à Cant’Avey’Lot, j’étais payé un peu moins cher que dans mon entreprise précédente. Mais, le projet me plaisait : produire du lait bon pour le consommateur ; le commercialiser en circuit court… » En 2017-2018, son lait a été rémunéré 432 euros les mille litres. Le groupe n’a pas connu la crise du lait, mais une augmentation régulière de son prix.

Une grille Bleu blanc cœur avec pénalités et plus-values

Les producteurs de Cant’Avey’Lot ont une référence laitière, mais elle n’est pas appliquée tant que le lait trouve des débouchés rémunérateurs. Ils sont cependant tenus de faire une prévision annuelle, mois par mois, de leurs livraisons. La coopérative sensibilise aussi ses adhérents à lisser la production sur l’année, mais sans incitation financière. « Ils jouent bien le jeu, indique Gilbert Domergue, président. Nous formons un petit groupe. Les choses sont plus faciles à orienter. » Le prix payé est formé à partir de deux prix : prix A pour la partie valorisée en lait UHT, prix B pour les autres produits, à peine inférieur. La grille Bleu blanc cœur s’établit entre - 15 et + 27 euros les mille litres, avec une moyenne à + 23 euros. Un moyen plus efficace qu’une simple plus-value pour inciter à tenir les objectifs de qualité, reconnaît David Lacoste. Nul n’a envie de voir des réfactions sur son prix. Un complément de prix est distribué en fin d’année selon les résultats. Les producteurs sont également tenus d’assurer des animations commerciales en grandes surfaces (1 par tranche de 100 000 litres) sous peine de pénalité. Le but est de booster les ventes mais aussi de sensibiliser les producteurs aux attentes des consommateurs, affirme le président.

Une structure très groupée favorable au pâturage

 

 
Au printemps, les vaches vont à la pâture nuit et jour, au mois d’août, la nuit seulement, puis, pendant l’automne, elles ne sortent qu’en journée. © B. Griffoul

Une rémunération du lait qui donne des perspectives. Installé en 2001 avec 25 hectares et 25 vaches, David Lacoste a pu agrandir son foncier par l’achat d’une quinzaine d’hectares et quelques locations. Il dispose d’une structure très groupée de 46 hectares, favorable au pâturage, et produit seul (sans aide bénévole) 375 000 litres de lait, avec un cheptel de 45 vaches. Son système fourrager comprend trois hectares de maïs ensilage, qui assure la moitié de la ration d’hiver. Une part moins importante que dans les systèmes classiques de sa zone. Les prairies temporaires (27 ha) sont à base de mélanges de longue durée (dactyle, RGA, fétuque, trèfles blanc et violet). Il cultive également six hectares de céréales, pour faire une rotation avec le maïs et les prairies, qu’il vend à la coopérative en échange d’aliment. De l’orge cette année, qui a donné 70 quintaux par hectare. « L’orge s’en sort mieux que le blé. Il ne prend pas les coups de chaud. » En cette fin d’été, le Massif central était encore rudement touché par la sécheresse. David Lacoste s’en sort pas trop mal. Son maïs a bénéficié d’un orage au bon moment. De plus, il a pu placer des bêtes en pension et a récupéré du foin dans le voisinage. « Sinon, j’aurai semé du millet après la céréale. Il suffit de 10 millimètres de pluie pour le faire germer. » Cette année, outre les 12 hectares d’ensilage d’herbe, il a récolté davantage de fourrages enrubanné (8,5 ha) et moins de foin (4,5 ha). Une adaptation à la sécheresse estivale qu’il envisage de pérenniser. « Cela permet d’avoir plus de deux coupes à récolter ou à faire pâturer. »

Deux races « complémentaires »

David Lacoste a poursuivi la mixité des races entamée par son père. Le cheptel compte deux tiers de Montbéliardes et un tiers de Prim’Holstein. « Les deux races sont complémentaires. L’une fait du lait, l’autre fait des taux et permet de mieux valoriser les veaux. Mais, je vais sans doute aller vers du 50/50 pour faire plus de lait. Et, la Prim’Holstein est plus calme. » La majorité des vêlages a lieu d’août à octobre. C’est plus facile pour conduire le lot de génisses, estime l’éleveur. Cela lui permet aussi d’être une peu plus « tranquille » en juillet pour pouvoir prendre des congés. Les génisses sont génotypées et inséminées en semence sexée. Quelques vaches jeunes sont également inséminées en race pure. Toutes les autres sont inséminées avec des taureaux charolais. Mais, à partir de février, l’éleveur met un taureau limousin dans le troupeau pour effectuer les dernières saillies et être sûr que toutes les vaches soient pleines et ainsi « récupérer les bonnes bêtes ». L’éleveur sèvre toutes les génisses de race pure (au lait entier) et vend le surplus à 4-5 mois. Il en conserve 12 pour le renouvellement.

 

 

 

Obligation de moyens, de résultats et aliments non OGM

Pour garantir la teneur du lait en acides gras oméga 3, exigée par le cahier des charges Bleu blanc cœur, les producteurs ont une double obligation – de moyens et de résultats. L’obligation de moyens est définie par l’indice IT3, qui indique le niveau d’oméga 3 de la ration. L’obligation de résultats est évaluée par des analyses du profil en acides gras sur l’échantillon de lait de tank (Visiolait). En outre, depuis le 1er janvier dernier, le cahier des charges Cant’Avey’Lot impose des aliments non OGM. Autant, au printemps, lorsque les vaches sont à la pâture les niveaux requis d’oméga 3 sont faciles à tenir – l’herbe est naturellement riche –, autant en hiver, ça l’est beaucoup moins. La ration d’hiver comprend 60 % de maïs (10 kg MS) et 40 % d’herbe (6 kg MS), auxquels s’ajoutent trois kilos de foin. Le foin est déroulé à l’auge après la traite. L’ensilage (herbe et maïs stockés en sandwich dans les silos) est distribué une heure plus tard à la désileuse.

Le tourteau de cameline pour régulariser les omega 3

 

 
Les deux aliments sont stockés dans des cellules de quatre tonnes au-dessus du DAC. © B. Griffoul

Le concentré est mis à disposition au DAC. Il comprend deux aliments. Le concentré énergétique (maïs, pulpe de betterave, luzerne, blé), qui contient aussi le noyau Valomega (à base de lin) à hauteur de 15 % du total, apporte la majeure part des oméga 3. « Vu qu’on peut faire fluctuer les quantités au DAC, on arrive à monter les quantités d’oméga 3 sur les fortes laitières via l’aliment énergétique », justifie Davis Sercomanens, technicien à la coopérative lotoise Capel. Les quantités distribuées varient de 1 kilo par vache (pour 24 litres de lait) à 8 kilos (pour 45 litres). Le correcteur azoté est à base de tourteau de colza, de tourteau de tournesol à haute valeur protéique (graines décortiquées), de drèche de blé, de tourteau de soja non OGM (assez peu), d’un noyau protéique extrudé qui contient de l’urée protégée et de tourteau de cameline. Ce dernier a été rajouté depuis l’hiver dernier pour améliorer la teneur en oméga 3 de la ration. « Avant, en hiver, on était bon seulement en février, raconte l’éleveur. Avec le tourteau de cameline, ça va beaucoup mieux. » « Il assure une régularité des résultats oméga 3 du lait », confirme le technicien. La quantité de correcteur azoté (38 % MAT) va de 1 kilo (pour 20 litres) jusqu’à 3,5 kilos (pour 45 litres). La ration moyenne avec 4 kilos d’aliment énergétique et 2,5 kilos de correcteur azoté fournit le niveau d’IT3 requis (105). Les minéraux (250 g/VL de 5/25) et le propylène sont également distribués au DAC.

Des transitions assez difficiles à gérer

Les régimes alimentaires étant très tranchés entre hiver et printemps, les transitions demandent une certaine dextérité. Après une transition d’un mois, les vaches sont exclusivement à la pâture à partir du 15 avril, avec 1 kilo de foin en complément, jusqu’à fin juillet. Le pâturage tournant est conduit avec sept paddocks (12 ha pour 40 vaches soit 30 ares par vache). Quand les vaches sont à l’herbe, la composition des concentrés est modifiée. Dans l’aliment énergétique, le noyau Valomega est maintenu par sécurité mais réduit à 5 % et, le noyau extrudé (avec urée) du correcteur azoté est supprimé. La cameline est également réduite pour éviter un excès de matière grasse. Le correcteur n’est plus qu’à 35 % de MAT. En été et automne, l’éleveur n’ouvre pas les silos mais distribue du foin enrubanné. Pour le régime d’hiver, la transition se fait sur 15 jours en réduisant progressivement l’enrubannage et en augmentant l’ensilage. Éleveur et technicien reconnaissent que les transitions sont perfectibles.

Des rations sans risque acidogène

La distribution d’aliment est assez généreuse (300 g/l de lait) mais l’objectif de l’éleveur est d’exprimer le potentiel des vaches et de satisfaire les objectifs de qualité de la filière : « En début de lactation, je les monte au taquet pour qu’elles reprennent du poids ». « Avec ce type de ration, il est très rare que les vaches se mettent en acidose, assure David Sercomanens. La matière grasse sert de tampon. Ces rations riches en oméga 3 ont aussi un effet très positif sur la santé générale du troupeau. » Chez David Lacoste, la reproduction, notamment, se passe très bien (60 % de réussite en première IA, 385 jours d’IVV).

Seul sur son exploitation, son objectif a toujours été de simplifier le travail et faciliter le remplacement quand il prend des congés (12 jours en hiver, 1 semaine en été, des week-ends). Il utilise le service de remplacement ou fait appel à un jeune qui connaît bien son exploitation. La distribution des fourrages est à la fois rapide et facile. Il délègue aussi à des entreprises beaucoup de travaux extérieurs : fauche pour l’ensilage et l’enrubannage, labour, enrubannage, parfois le semis, ensilage, moisson… Quant à l’astreinte de la traite, elle ne lui pose pas de problème : « J’aime bien traire ». La rémunération du lait permet aussi de vivre son métier plus sereinement : « Dans le groupe Cant’Avey’Lot, personne ne se plaint ».

Chiffres clés

SAU 46 ha dont 3 ha de maïs ensilage, 6 ha de blé ou orge, 27 ha de prairies temporaires et 10 ha de prairies permanentes
Cheptel 45 vaches à 8 400 litres
Production 375 000 litres
Chargement 1,33 UGB/ha SFP
Main-d’œuvre 1 UMO
 

 

 

Avis d’expert : Estelle Delarue, ingénieure références chambre d’agriculture du Cantal

« Des investissements raisonnés »

« Le parcellaire regroupé a permis à David de donner une place plus importante au pâturage que dans d’autres exploitations. Il en résulte des économies sur le carburant, qui contribue à la réduction des charges de mécanisation, et sur les charges végétales. La bonne valorisation de la fertilisation organique permet d’être économe en fertilisation minérale. Des marges de progrès subsistent sur le concentré et les frais vétos. La productivité de la main-d’œuvre est très élevée pour nos régions. Elle est due à l’organisation du travail, à un bâtiment rénové très fonctionnel, à la délégation de certaines tâches extérieures… David a préféré investir dans un bâtiment fonctionnel, qui lui permet de se faire remplacer, plutôt que dans le matériel. Le coût de production (512 €/1000 l) est identique à celui du cas type (514 €) mais il est dilué par un volume de lait par unité de main-d’œuvre plus important. Cette productivité se conjugue avec un prix du lait élevé et un coproduit viande un peu supérieur à la moyenne pour donner une très bonne rémunération de la main-d’œuvre. »

Les 12 millions de litres de lait des 30 fermes de Can’Avey’Lot sont valorisés en lait UHT, en tomme blanche, en fromage et en yaourts.

Cant’Avey’Lot diversifie sa gamme

 

Si le marché spot assura les premiers pas de Cant’Avey’Lot, il n’est plus qu’un lointain souvenir. La coopérative, qui regroupe 30 fermes (45 producteurs) devrait collecter en 2019 près de 12 millions de litres de lait labellisé Bleu blanc cœur. Les trois quarts (8 millions de litres) sont valorisés en lait UHT. Il est conditionné par LSDH à Vierzon. Ce qui le rapproche de son principal débouché. La moitié est distribuée en région parisienne (principalement dans le réseau Franprix) et le reste dans le grand Sud-Ouest. Quelque 3 millions de litres sont transformés en tomme blanche pour des fabricants de plats cuisinés régionaux (aligot…). La coopérative fabrique aussi un fromage à pâte pressée non cuite, Lou Mirabel, qui valorise 400 000 à 500 000 litres. Ces deux productions sont sous-traitées à la coopérative de Bonnet-de-Salers, dans le Cantal. En 2015, Can’Avey’Lot a investi dans un nouveau site de production, à Bagnac-sur-Célé, dans le Lot, pour la réception et la réexpédition du lait. Un investissement de 2 millions d’euros (30 % de subventions). En 2017, elle y a intégré une chaîne de fabrication de yaourts pour élargir sa gamme de produits. L’objectif est de transformer 250 000 litres en yaourts. Le site emploie huit salariés. Pour mieux se différencier, la coopérative a engagé une démarche label rouge pour son lait. Ce qui serait une première. « Notre but est de maintenir le prix du lait pour permettre aux producteurs de bien vivre, en contrepartie d’un véritable engagement de leur part en termes d’environnement et de qualité des produits », assure Gilbert Domergue, président.

 

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