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« Il faut tout faire pour éviter les gros repas »

Le recours à la caméra permet de dérouler le film alimentaire d’un troupeau sur 24 heures. Très pédagogiques, les images révèlent le comportement alimentaire. Le point avec Julien Gacon du Spel du Rhône.

Julien Gacon du Spel du Rhône. "Une heure après la distribution de la ration, il doit rester moins de la moitié des vaches aux cornadis."
© E. Bignon

Comment utilisez-vous la caméra ?

Julien Gacon : L’idée est d’installer une caméra pour suivre la vie du troupeau pendant 24 heures et réaliser un film en mode time-lapse. Il s’agit d’une animation vidéo réalisée par une série de photographies prises à intervalles réguliers (toutes les dix secondes) pour présenter en accéléré l’évolution du troupeau sur une journée complète. En visualisant un film de 15 minutes, on peut ainsi apprécier objectivement le rythme d’ingestion des animaux et mettre en avant des points clés sur la compétition à l’auge, le comportement de tri, l’accès à l’eau, la circulation, etc. C’est un outil très pédagogique qui permet d’élargir notre vision restreinte de la journée du troupeau. Concrètement, nous plaçons la caméra grand angle à un emplacement stratégique pour visualiser un maximum de lieux de vie (zones d’alimentation, de repos, de circulation). Il est important de l’installer de façon à pouvoir aussi observer les remplissages de rumen, côté flanc gauche visible.

Qu’appelez-vous un gros repas ?

J. G. : Les vaches font un gros repas lorsqu’elles ingèrent plus de 6 kg MS en deux heures. Par exemple 20 kg brut de maïs ensilage, 15 kg brut d’une ration complète, ou 3 kg de foin avec 3 kg de concentré distribué à l’auge… Cela arrive quand elles manquent de ration ou qu’elles ne disposent pas d’une ration accessible durant la nuit. Le fait que les rumens soient vides durant une partie de la nuit et que les vaches aient faim engendre un comportement boulimique, c’est-à-dire une ingestion très rapide de la ration fraîchement distribuée, qui crée de l’instabilité ruminale avec des pH qui font le yo-yo, des problèmes de digestion et au final une mauvaise valorisation de l’ingéré.
Ce phénomène se confirme en observant le remplissage de rumen. En milieu de matinée, le remplissage ne s’effectue pas correctement ; la panse se remplit plutôt en haut (en forme de ballon à l’avant). Les vaches ont du mal à digérer et à se coucher, et restent debout ou perchées dans leurs logettes.

Qu’est-ce qui se passe alors dans la panse ?

J. G. : Après un gros repas, un trop gros flux de ration entraîne une augmentation de l’acidité dans le rumen. Une partie des bactéries ne peuvent pas vivre dans ce milieu acide et deviennent moins efficaces. Pour faire remonter le pH, les papilles ruminales sécrètent de l’eau (1). Mais le rumen ne pouvant contenir qu’un certain volume, il se vidange en entraînant une partie de nutriments non digérés. Cette vidange ruminale se retrouve trois à quatre heures plus tard avec des bouses claires, non structurées, contenant des fibres non digérées, et une hétérogénéité dans la journée. Cette instabilité ruminale n’est pas neutre ; elle entraîne une perte équivalente à 1 UFL, soit deux kilos de lait par jour.
 
Lire aussi  : "« Changer le moment de la distribution a rendu le troupeau plus calme »

Qu’est-ce qu’un film alimentaire équilibré ?

J. G. : Le film alimentaire est une notion importante dans le management du troupeau. Or, dans 70 % de nos élevages, il n’est pas optimal. Pour le vérifier, on peut recourir à la caméra comme nous l’avons fait au Gaec Chez Palot (cf. p XX). Autrement, on peut aussi observer trois critères. Si on trouve plus de 50 % des vaches aux cornadis plus d’une heure après la distribution, si plus de 40 % des vaches ont des rumens vides (notes 1 et 2) avant le repas et si l’on sent une certaine agressivité des vaches avant la distribution, ce n’est pas bon signe.
Le lait se gagne au repos. Aucune vache ne doit rester debout à ne rien faire. Soit elle est en train de manger, soit elle doit se reposer et ruminer ! L’objectif est d’avoir en permanence 25 % des vaches à l’auge et 65 % des vaches couchées. La journée d’une vache se décompose en dix cycles de deux heures, comprenant chacun 1h30 de repos et 30 min d’ingestion. Autrement dit, l’idéal serait qu’une vache ingère 2 kg MS toutes les deux heures.

Faut-il nécessairement repousser les fourrages ?

J. G. : Oui, surtout la nuit ! Même avec une ration distribuée en quantité suffisante, les ingestions se font surtout en journée et il manque trois à quatre temps d’ingestion durant la nuit. Différentes solutions sont possibles pour pallier ce problème : distribuer le soir (et repousser en journée), distribuer matin et soir, opter pour une auge creuse, recourir à un repousse-fourrages ou encore alimenter avec un robot quatre fois par jour…
Ce qui me surprend, c’est que parmi les élevages équipés de repousse-fourrages, seulement un sur deux améliore ses résultats (ingestion, lait). Ce qui compte, c’est que le passage du robot n’entraîne pas un mouvement massif du troupeau. Car en imposant artificiellement un rythme, certaines vaches interrompent leur cycle de rumination. Chaque vache doit pouvoir venir s’alimenter à son propre rythme. Selon le nombre de cornadis, le confort des logettes, le fait que la ration à volonté ou pas, le potentiel des animaux, etc., le nombre optimal de repousses n’est pas le même d’un élevage à l’autre. À chacun de trouver le bon réglage pour passer suffisamment souvent mais sans perturber les animaux.

Quelle quantité de refus faut-il viser ?

J. G. : Pour s’assurer que la ration soit distribuée à volonté, il faut qu’il reste au minimum 2 % de fourrage accessible le matin. Viser 5 % de refus peut se révéler antiéconomique surtout si l’éleveur n’a pas d’animaux sur le même site pour les valoriser. Mais attention, ce n’est pas parce qu’il y a des refus que la ration est distribuée à volonté ! Parfois des éleveurs pensent à tort que c’est le cas car il reste un filet de fourrage à l’auge le matin. Or, ce cordon n’est plus accessible depuis plusieurs heures… Quand vous quittez la stabulation, environ 12 heures après la distribution, veillez à ce qu’il reste plus de 40 % de ration disponible.
(1) Par pression osmotique.

Attention au tri !

Repousser la ration, c’est bien, mais cela ne suffit pas ! Il faut veiller à limiter le tri. Sinon les vaches ingèrent d’abord un maximum de particules de moins de 19 mm, et se retrouvent 12 heures plus tard, avec une ration constituée principalement de particules longues. Ce qui crée un déséquilibre et pénalise l’ingestion. Il faut non seulement que la ration soit disponible tout le temps, mais aussi que chaque repas, chaque bouchée soit les plus homogènes possibles au fil de la journée. « Observez les animaux dans leur mouvement de préemption de la ration, conseille Patrice Dubois du Spel du Rhône. Quand une vache tire la langue, c’est qu’elle cherche de petites particules. Si le fourrage s’amoncelle en tas, ça veut dire qu’elles trient, contrairement à l’observation de « petits nids » creusés dans le fourrage. » Passer la ration au tamis donne un résultat normé. « L’objectif est viser 0 particule de plus de 40 mm à l’auge. Au-delà, les vaches trient. »

« La caméra a changé notre manière d’alimenter le troupeau »

Au Gaec Chez Palot dans le Rhône, la caméra a mis en lumière un manque d’accès à la ration la nuit.

« Nous avons fait fausse route pendant des années, reconnaît Mikaël Gonin, installé en Gaec avec son frère Alexandre, à Amplepuis. Le matin, on était content de voir que toutes les vaches se lever pour venir à l’auge. On pensait que c’était bon signe. Signe qu’elles étaient en forme et prêtes à manger pour faire du lait ! En fait, si elles se précipitaient à l’auge, c’est parce qu’elles avaient le ventre vide depuis des heures ! » Aujourd’hui, les 110 Montbéliardes à 8 000 kg de moyenne ne se précipitent plus vers la table d’alimentation dès qu’elles entendent la mélangeuse démarrer le matin. « Le fait de pouvoir filmer avec une caméra ce qui se passe dans le troupeau pendant 24 heures nous a ouvert les yeux, témoignent les éleveurs. Les scènes de nuit sont particulièrement marquantes. L’agitation du troupeau nous a particulièrement frappés. La nuit, il y a des vaches couchées, mais aussi beaucoup de vaches assez nerveuses qui se déplacent, et d’autres qui stagnent debout dans les couloirs. » Autre fait surprenant : plus aucune vache ne se présente au cornadis à partir de 22 h… Et pour cause, il ne reste qu’un mince filet de fourrage, hors d’atteinte. Pourtant, la ration était repoussée à 19h30. « On était loin d’imaginer ça ! On savait que la ration n’était pas forcément distribuée à volonté à l’auge (19,5 kg MS) mais on ne se doutait pas que les vaches restaient dix heures sans manger ! »

L’observation des vaches de nuit est très instructive

« La manière dont les vaches trient la ration nous a aussi sautés aux yeux. Elles poussent les cornadis avec les épaules et reportent toute leur charge sur les pattes arrière, ce qui sollicite fortement leurs aplombs. »

Avec l’appui du Spel, le Gaec a aussi testé et filmé deux autres modalités de distribution pendant une semaine chacune : le soir à 17 h (avec quatre repousses manuelles) et le matin avec huit repousses effectuées par un robot repousse-fourrages. C’est cette dernière modalité qui a permis de mieux répartir la prise alimentaire au fil de la journée (cf. infographie). Suite à l’essai, les éleveurs ont d’ailleurs décidé d’investir dans cet équipement (14 000 €). « Le troupeau est désormais plus calme. Nous n’observons plus l’effet « vaches affamées » le matin. Après la traite, elles vont se coucher. On en voit beaucoup moins qui restent debout, et s’il y en a une, c’est pour une bonne raison (chaleurs, etc.). » Les éleveurs ne relèvent pas de mouvement massif vers l’auge quand le robot passe. « C’était ma crainte, mais finalement, les vaches n’y prêtent pas vraiment attention. »

 

Trois modalités de distribution ont été testées

Modalité 1 : Distribution le matin

Près de la moitié la ration consommée en 5 heures

Modalité 2 : Distribution le soir

 70 % de la ration consommée en 14 heures

Modalité 3 : Distribution le matin et 8 repousses/j (robot repousse-fourrage)

Une prise alimentaire plus régulière sur 24 heures

Le Gaec a testé trois modalités de distribution pendant une semaine chacune, avec une ration semi-complète à base d’ensilage de maïs, d’herbe et de foin. Celle-ci n’était pas distribuée à volonté (19,5 kg MS à l’auge, hors DAC). Il n’y a pas eu de différence en termes d’ingestion et de production laitière entre les trois modalités. Ceci dit, avec la modalité avec huit repousses, le Gaec est passé sur un ensilage d’herbe de 2e coupe, donc de moins bonne valeur. La production aurait dû baisser mais elle s’est pourtant maintenue. Il y a sûrement eu un gain mais difficilement chiffrable. Par contre, ce qui est sûr, c’est que l’ingestion a été mieux répartie avec cette modalité. On observe un meilleur film alimentaire à la caméra, et des cycles de vie mieux respectés avec moins de vaches statiques dans les couloirs et des animaux plus calmes. Les ingestions sont également moins rapides et moins par à-coups. Ce constat se retrouve aussi avec la modalité de distribution le soir.

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