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À l’EARL des Flandres, dans le Pas-de-Calais
« Il faut être éleveur dans l’âme pour réussir »

Une conduite simple et économe, tel est le fil conducteur de cette exploitation depuis plus de trente ans. Depuis l’installation de David avec son père fin 2015, la relève est assurée.

J’ai démarré avec 100 000 litres de lait derrière mes parents en 1983. Et paf… arrivent les quotas en 84… Un sacré coup dur, se remémore encore avec émotion Bernard Wils, aujourd’hui âgé de 60 ans. À peine lancé, j’ai été coupé dans mon élan. J’ai été bridé en volumes durant toute ma carrière… » Située à Agnez-les-Duisans, dans le Pas-de-Calais, l’exploitation a produit 120 000 litres de lait pendant plus de quinze ans, reprenant bon an mal an un peu de lait au gré des départs en retraite aux alentours. Bernard et sa femme, conjointe collaboratrice, ont bénéficié de quelques attributions mais il a fallu véritablement attendre la possibilité d’acheter du quota sans terre pour augmenter la référence. « Avec des terres qui se négociaient à 10 000 €/ha, nous ne pouvions pas suivre et ça a été compliqué de produire plus de lait », se souvient-il.

Situé dans le bourg, le bâtiment d’origine se révélait peu fonctionnel. « En 2005, la mise aux normes me pendait au nez mais je ne voulais pas investir alors qu’il n’Y avait aucun avenir possible ici. À un moment, j’ai même été tenté de tout arrêter… », avoue Bernard. Et puis en 2008, contre toute attente, David, alors qu’il travaillait depuis dix ans à l’extérieur, a émis le souhait de revenir sur la ferme. Une décision non préméditée qui a permis de prendre un nouveau départ. « À partir de ce moment-là, j’ai cherché un bout de terrain à acheter pour construire une nouvelle stabulation en dehors du bourg. »

Le bâtiment a été délocalisé et autoconstruit

David s’est installé sans reprendre de terres en novembre 2015, avec une attribution de 150 000 l de la laiterie. L’exploitation totalise désormais 500 000 l de lait SUR 58 ha (assez regroupés). Globalement, le potentiel des terres, des limons battants avec affleurement de craie par endroits, est bon (13-15 tMS/ha en ensilage de maïs et 80-95 q/ha de blé), même si la ferme ne figure pas parmi les mieux loties du secteur. Sur la dernière campagne, l’EARL a livré la quasi-intégralité de son contrat à la coopérative Lact’Union. Une première depuis l’installation de David les éleveurs ayant préféré augmenter le cheptel par croît interne plutôt que d’acheter des bêtes à l’extérieur pour éviter tout risque sanitaire.

Mais avant d’en arriver à ce litrage, tout n’a pas été simple. « Quand j’ai démarré, j’ai adhéré à un groupe 'petit quota' au Geda avec comme seule question : comment faire pour vivre à deux avec 100 000 litres, 25 vaches et 22 hectares ?, raconte Bernard Wils. La réponse a été simple : miser sur la technique et être économe ! » Encouragée par Jean-Claude Delattre, ancien conseiller de la chambre d’agriculture qui a suivi l’exploitation tout au long de son évolution, cette politique est toujours restée le leitmotiv de Bernard au quotidien. À commencer par l’alimentation du troupeau. « Il y a vingt ans, les fabricants d’aliments ne voulaient pas vendre de matières premières et prétextaient que le tourteau de colza n’était pas bon », indique Bernard qui a tout de même réussi à l’époque à trouver un filon d’approvisionnement. Aujourd’hui encore, l’éleveur continue de fabriquer chaque jour le concentré fermier pour les veaux et génisses jusqu’à six mois, reconstitué à partir de 700 g de blé et 300 g de tourteau de colza. Le tourteau est acheté par camion de 25 tonnes via un courtier (216 €/t pour la dernière livraison en décembre). La simplicité de la ration complète est aussi de mise : 14,4 kg MS de maïs ensilage, 2,7 kg MS de pulpes surpressées, 4,5 kg de tourteau de colza, 2 kg de luzerne enrubannée, avec 50 g d’urée, du sel à volonté et 200 g de minéraux.

Dépenser seulement ce qu’il faut

Le nouveau bâtiment a été construit dans la plaine. À part la toiture, les exploitants, aidés d’un oncle et de neveux, ont tout fait par eux-mêmes. « J’ai pu mettre à profit ma formation de maçon tous les week-ends pendant deux ans », précise Bernard. Les éleveurs ont décidé d’implanter autour de la stabulation 10 hectares de prairies, en ray-grass anglais-trèfle blanc. « Cela nous a enfin permis de faire pâturer les vaches en journée (15 ares/VL) du 1er avril à la Toussaint, apprécient les exploitants. Auparavant, dans le bourg, nous avions seulement 1,3 hectare d’herbe autour du bâtiment. » Grâce à l’implantation des prairies, l’EARL a bénéficié pendant cinq ans d’une MAE à hauteur d’une aide de 1 800 €/an. « Nous n’avons pas reconduit la mesure car l’apport d’azote n’est désormais plus autorisé. » Les exploitants apportent 60 unités de chlorure de potasse et une centaine d’unités d’azote en deux fois.

Le pâturage des laitières se fait sur cinq paddocks où elles séjournent une petite semaine, revenant tous les trente jours environ sur les parcelles. Les refus sont broyés une fois dans l’année. « Nous ne nous compliquons pas la vie au pâturage. » Les vaches sortent le matin après avoir consommé les refus repoussés le matin, elles remangent le soir avant la traite et passent la nuit en pâture à la belle saison. « En début de parcelle, elles consomment moins d’ensilage, puis on réajuste les quantités distribuées à la hausse en fin de parcelle. C’est un peu le yo-yo au tank, mais on le tolère car beaucoup de vaches se retrouvent en fin de lactation au pâturage », commente David.

70 % de réussite en première IA pour les génisses

Les vêlages s’étalent de juin à décembre, avec un pic sur août-septembre-octobre. Les génisses vêlent entre 23 et 25 mois. « Il faut absolument qu’elles ne vêlent pas trop tard car nous sommes limités à 20 logettes pour les génisses de 1re année et autant pour les 2e année. Pas une de plus. Si on a constitué un lot de 20, on vend les veaux femelles nés en fin d’année. »

Le taux de réussite à la première insémination atteint 70 % en génisses et 44 % pour les vaches. Les laitières sont inséminées à partir de 50 jours après le vêlage. L’intervalle vêlage -1re IA est de 75 jours en moyenne (IVV de 391 j). En termes de sélection, l’éleveur l’avoue, la génétique ne le passionne pas. « Avant, c’était surtout l’inséminateur qui raisonnait les accouplements, en axant surtout sur la morphologie. Aujourd’hui, je m’investis davantage en optant pour des taureaux améliorateurs en ISU et en taux. Dernièrement, nous avons inséminé les vaches avec des taureaux indexés à + 2 points TP et + 4 points TB. » L’inséminateur pratique des échographies deux à trois fois par an. « On attend d’avoir un lot de 20-25 bêtes. Nous préférons les échographies aux prises de sang car il suffit d’attendre 30 jours après l’IA, sans forcément être à plus de 100 jours après vêlage », indique David.

Une forte présence au sein du troupeau

Après, les éleveurs en sont convaincus : rien ne remplace une forte présence au sein du troupeau. « Regarder les vaches, c’est notre boulot ! », affirme avec enthousiasme Bernard qui connaît parfaitement chaque vache et repère le moindre changement de comportement comme « des mouvements d’oreille inhabituels, une vache curieuse qui ne vient pas me voir, ou une autre qui ne laisse pas chevaucher… Tous les signes comptent », estime-t-il. Et les détails aussi : des fourrages repoussés deux fois par jour, une table d’alimentation nettoyée, une coupe franche au silo… La rigueur est aussi de mise à la traite. « Mon père est un maniaque de l’hygiène !, plaisante David. Nous utilisons des lavettes individuelles, tirons les premiers jets et appliquons un produit iodé en post-trempage. » L’élevage déplore une quinzaine de mammites par an, « toujours sur les mêmes vaches ! ». Depuis deux ans, les associés recourent systématiquement à un obturateur de traite. « Nous n’avons eu qu’une seule mammite au vêlage, alors qu’avant il y en avait toujours un petit peu 10 jours après vêlage. »

Une majoration de 41 €/1 000 litres pour la qualité et les taux

Le premier critère de réforme est l’âge ! « Après quatre veaux, on arrête d’inséminer. Par expérience, après le cinquième veau, on a des problèmes de fièvres de lait, de vaches trop grasses…, considère Bernard. Nous essayons de stresser le moins possible les vaches et de veiller à leur confort. » Les logettes reçoivent notamment 4 kg de paille par jour.

Aujourd’hui, l’exploitation tourne bien. Père et fils forment un bon binôme. D’ailleurs ils travaillent toujours ensemble, même le week-end. « À deux, il faut compter 4 heures de travail d’astreinte par jour. » David s’accorde seulement quelques jours par-ci par-là pour partir en famille et aller à la chasse. Mais pour autant, il ne regrette pas le temps où il était salarié. « C’est agréable d’être son propre patron », avance-t-il dans un sourire. Quand on l’interroge sur l’avenir, il se montre rassurant. « Le bâtiment est pensé pour qu’un gars puisse tout faire seul. » Et plutôt que de déléguer les cultures, il imagine plus volontiers prendre un salarié polyvalent.

Chiffres clés

2 UMO
58 ha de SAU (17 de prairies, 24 de maïs, 14 de blé, 3 de luzerne)
501 600 l lait contractualisés
54 vaches à 7 900 l
1,58 UGB/ha

« Nous n’avons jamais été fans de matériel »

Les exploitants travaillent beaucoup en Cuma et réparent eux-mêmes leur matériel. « Comme sur les charges opérationnelles, nous serrons la vis sur les frais de mécanisation, et ne cédons pas aux envies », témoigne Bernard Wils, toujours empreint du souci d’économie. Le parc matériel comprend trois vieux tracteurs (100 CV de 20 ans, 70 CV de 30 ans, 55 CV de 40 ans) et un petit valet de ferme. Il y a aussi une tonne, deux remorques et une charrue. Les éleveurs ont tout de même investi dans un nettoyeur pour l’arrière des logettes (4 000 €). « Ce n’est pas du luxe, estiment-ils, et cela nous facilite bien le travail. » Et une mélangeuse Keenan d’occasion. « Nous avions 2 500 € de réparations sur l’ancienne qui datait de 1989. J’ai trouvé une bonne affaire sur internet : une occasion qui n’avait servi que deux ans, vendue à un prix défiant toute concurrence (4 000 € + 1 000 € de transport) en zone de déprise laitière près de Troyes. Nous l’avons depuis huit mois et tout se passe bien. »

Ne pas lésiner sur le travail administratif

Bernard enregistre ses factures lui-même et réalise ses déclarations PAC. Il est à l’affût des diverses aides possibles et n’hésite pas à monter les dossiers pour y prétendre. « Le travail administratif n’est pas une tâche que j’apprécie particulièrement mais je ne veux pas le déléguer car c’est important de savoir où on en est, de bien comprendre et de suivre tout ça de près. » De même, à chaque investissement, il aime bien faire « des petits calculs comparatifs et simulations ». Il lui tient aussi à cœur d’emprunter le moins possible. L’autoconstruction du bâtiment a permis de faire une grosse économie. La construction s’est faite en deux temps. En 2009, pour 40 VL et 24 génisses pour un montant de 300 000 € (dont 250 000 € d’emprunt), puis la seconde tranche en 2014 (68 places VL et 40 génisses) pour 22 000 € (dont 7 000 € d’emprunt)

« Nous avons toujours choisi de tout capitaliser dans la ferme, décrit-il. Et fait le choix de vivre simplement avec des prélèvements privés limités à 1 000 € par mois par associé. C’est encore le cas aujourd’hui. "

« Une gestion minutieuse de l’exploitation »

« Les exploitants ont démarré avec une ferme au potentiel limité et au fil des années, ils ont réussi à s’en sortir et parvenir aujourd’hui à délocaliser complètement l’exploitation. Ils se sont toujours montrés économes et réceptifs aux techniques novatrices. Ils misent sur un système d’alimentation simple et cherchent à valoriser du mieux possible la qualité du lait. Avec 60 vaches, David et Bernard prennent le temps de bien faire les choses et « l’œil de l’éleveur » fait la différence pour assurer une surveillance minutieuse du troupeau. Les associés peuvent se montrer confiants car même en période de turbulences, les factures sont acquittées et les salaires prélevés. Ils n’ont plus beaucoup de marges de manœuvre sur les charges, mais ont la volonté de 'gratter' encore sur le prix du lait en poursuivant leurs efforts pour améliorer les taux. »

Flore Tacquet de la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais

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