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Au Gaec de la Coucoucerie en Loire-Atlantique
« Être le plus autonome possible avec un robot de traite  »

Pour Joseph et Yves Emprou, le passage à la traite robotisée ne rime pas avec moins de pâturage. Les associés ont mis le cap sur la baisse du coût alimentaire et plus d'autonomie.

Les deux frères, Joseph et Yves Emprou, se sont installés en 1988 avec une bonne dose d'optimisme et de motivation. Si la motivation est toujours là, l'optimisme a parfois subit de sérieux revers. Mais les aléas les ont progressivement amenés à opter pour la traite robotisée en 2008 puis à se pencher plus sérieusement sur l'autonomie de leur système et leurs coûts de production. D'où l'accent mis sur le pâturage, l'ensilage de luzerne et plus généralement la qualité des fourrages récoltés. Le Gaec réussit à limiter le coût de concentré à 64 euros/1 000 litres avec des vaches à 9 500 kg en système de traite robotisée. Et l’élevage a une production autonome de 7140 kg par vache soit 80 % de la production. Un retour en arrière est nécessaire pour bien comprendre la métamorphose du Gaec. Joseph et Yves ont rejoint leurs parents sur l'exploitation familiale d'une centaine d'hectares avec un quota de 480 000 litres de lait et une production de 70 à 80 taurillons par an. Premier coup dur, à peine installés, les éleveurs subissent trois années de sécheresse. « Et en plus notre banquier ne nous faisait pas vraiment confiance. » Second coup dur, le Gaec perd 50 000 litres de quotas lors du départ en retraite des parents en 1996. Cette coupe sombre met un terme au projet d'embauche d'un salarié et à la production de taurillons.

Perte de 50 000 litres de quota et abandon des taurillons

« Nous n'avons jamais regretté l'arrêt des taurillons parce que ça nous a permis de libérer de la place dans le bâtiment pour les génisses, de nous recentrer sur lait et d'assainir notre trésorerie. » Pour compenser la perte de chiffre d'affaires sur le lait, ils se sont lancés en 1997 dans la culture de légumes. Les dix années suivantes vont être mises à profit pour optimiser l'existant notamment sur le plan des conditions de travail. « Dès que nos finances nous l'ont permis, nous avons automatisé les tâches ingrates. » En 2000, le Gaec a par exemple investi dans trois racleurs automatiques avec reprise du lisier vers la fosse et un DAC pour l’alimentation des vaches laitières.

En 2006, l’idée de passer en traite robotisée commence à germer dans les esprits pour plusieurs raisons. L'ancienne salle de traite était vieillissante et Joseph, le trayeur principal au sein du Gaec, commençait à avoir de sérieux problèmes aux épaules. « C'est aussi un moyen de gagner en souplesse de travail et d'attirer plus tard des jeunes repreneurs ». Producteurs laitiers avant tout, Yves et Joseph préfèrent investir dans du matériel de traite plutôt que pour les cultures. « Nos trois tracteurs faisaient 500 h par an et étaient bien entretenus. Ils pouvaient donc encore vieillir. »

Gagner en souplesse de travail et attirer des repreneurs

La réflexion englobe également le déplacement nécessaire de la laiterie pour répondre au cahier des charges de la Charte des bonnes pratiques. Le tout avec d'autant moins d'hésitation que le contexte semblait porteur. « D'après certains experts, on était censé être tranquilles au niveau du prix du lait pendant plusieurs décennies parce que le marché à l'export était soit disant dynamique. » Joseph et Yves Emprou investissent donc 130 000 euros dans un robot Delaval (avec une porte de sélection) et 18 000 euros pour les aménagements en 2008. La mise en route a lieu en octobre. Le projet paraissait plutôt bien ficelé mais malheureusement, il n'avait pas anticipé la crise du lait de 2009. « Techniquement parlant, on n'a jamais regretté le passage à la traite robotisée. En revanche, financièrement ça n'a pas été simple parce que la crise nous est tombée dessus six mois après la mise en route du robot. Si elle était arrivée six mois plus tôt, on n'aurait certainement pas investi tout de suite. »

Pour passer ce cap très difficile, les éleveurs font un prêt de trésorerie et ne se versent pas de salaire pendant deux mois. Ce nouveau coup dur va cependant être mis à profit pour changer la façon de gérer la trésorerie du Gaec. « Depuis deux ans nous faisons un prêt de trésorerie pour les cultures afin de garder un petit matelas de sécurité. Cette année par exemple, nous avons emprunté 25 000 euros à 2 % sur 9 mois pour financer une partie des cultures. C'est plus rentable que de déplacer des DPA (déductions pour aléas). »

L’évolution du coût alimentaire est suivie tous les un ou deux mois

La crise de 2009 a également modifié la conduite du troupeau. « Nous avons commencé à suivre l'évolution du coût alimentaire tous les mois avec le contrôle laitier. Avec le bilan comptable du centre de gestion, on s'est aperçu que notre coût alimentaire (131 €/1000l ) était supérieur de 10 €/1000l aux repères issus des élevages comparables et qu'il y avait donc moyen de l'améliorer. Mais on ne fait le constat qu'au bout d'un an. » Pour tenir le cap qu'ils se sont fixés, les éleveurs actionnent le levier pâturage. « Nos vaches ont en théorie 30 ha d'accessibles, mais nous n'utilisons que 16 ha, le reste étant dédié aux cultures. » Ces prairies sont irriguées et implantées avec un mélange de dactyle et trèfle blanc. « Le dactyle résiste mieux que le RGA aux températures élevées et contrairement au brome, il ne monte qu'une fois par an. » Les vaches pâturent dès février parce que les sols le permettent (sablo-limoneux) et jusqu'en octobre. Elles consomment environ 2 tonnes de MS d'herbe pâturée par an. « Nous faisons des paddocks de 3 ha. Les vaches pâturent de l'herbe jeune (7 à 10 cm de hauteur) parce que le dactyle est riche et appétant à condition d'être pâturée très jeune. »

Abandon de la culture de lupin au profit de prairies

Par ailleurs, les surfaces en prairies ont augmenté cette année suite à l'abandon de la culture de lupin. « C'est une plante peu exigeante à l'exception du désherbage. Mais malheureusement, comme il n'y a plus de produit autorisé, nous avons abandonné sa culture . » Les 22 ha de lupin ont été remplacés par 13 ha de prairies à base de ray-grass d'Italie et trèfle incarnat , 7 ha de prairies à base de fétuque et trèfle blanc (pour les génisses) et 2 ha de maïs grain. « On ne touchera plus la prime d'aide à la culture de protéagineux mais comme nos prairies contiennent 51 % de trèfle, nous bénéficierons de l’aide à la production de légumineuses dans la cadre de la PAC. Et l'association RGI-trèfle incarnat fournit un ensilage de qualité. » À l'aide d'une porte de tri, les éleveurs font en sorte qu'il reste toujours une vingtaine de vaches dans le bâtiment pendant la saison de pâturage pour optimiser la fréquentation du robot.

Engagés dans la filière Bleu Blanc Cœur depuis huit ans, Yves et Joseph Emprou ont également réajusté leur gestion d'apport d'un aliment à base de tourteau de lin extrudé dans la ration. Le Gaec cultive 13 ha de lin. La graine est récupérée par Valorex qui se charge de l'extruder. L'aliment contient 50 % de lin extrudé. Son prix rendu à l'auge est de 410 euros/t, sachant que Valorex facture 165 euros/t pour l'extrusion, la livraison.... auxquels il faut ajouter environ 250 euros/t correspondant au prix du lin si le Gaec l'avait vendu (environ 510 euros/ t en 2015). Une quinzaine de tonnes sont achetées chaque année. « L'aliment coûte cher et nous n'avons pas de plus-value sur le lait valorisée dans cette filière, regrettent les éleveurs. Il a beau être bon pour la santé de nos vaches, nous voulons réaliser des économies sur ce poste tout en respectant le cahier des charges de la filière. »

Optimisation des apports en tourteau de lin extrudé

Avant, l'aliment était distribué aux vaches qui produisaient au moins 35 kg de lait et aux primipares à partir de 30 kg. « Au pâturage, on baissait fortement les quantités distribuées (1 kg de lin au delà des 40 kg de lait pour les multipares et 0.5 kg à partir de 30 kg de lait pour les primipares). Dorénavant, on n'en distribue qu'en hiver avec un maximum de 3 kg d'aliment par vache et par jour. Et grâce au logiciel du contrôle laitier qui permet d'évaluer le profil en acide gras de la ration, on va voir s'il y a encore moyen de baisser les quantités distribuées. »

Seize hectares de luzerne sont également cultivés depuis sept ans. « Nous essayons de les garder cinq ans. Après les rendements baissent trop. En théorie on voudrait faire une première coupe en ensilage, les deux suivantes en foin et la quatrième en ensilage. Mais dans la pratique, on fait ce qu'on peut, souligne Yves Emprou en souriant. Pour obtenir un ensilage de luzerne riche en protéines (160 g de PDIN), il faut récolter le fourrage au bon stade (formation des bourgeons floraux) et pas le matin parce qu'ici, il y a trop de rosée. » L'emploi d'un conservateur à base d'acide propionique est systématique. L'ensilage de luzerne est incorporé à hauteur de 3 kg de MS dans la ration hivernale. Cette dernière se compose également de 9,5 kg de MS d'ensilage de maïs, 2,6 kg d'ensilage de dactyle-trèfle blanc et de 100 g d'urée pour un équilibre à 25 litres de lait. Pour les hautes productrices à plus de 40 kg de lait la ration est complétée par 2 kg de blé, 3 kg de tourteau tanné et 2,5 kg de lin extrudé. Le foin est en revanche vendu ou distribué aux génisses pour ne pas diminuer la concentration énergétique de la ration des vaches.

Maïs coupé à 50 centimètres pour augmenter la densité énergétique

L'augmentation de la densité énergétique de la ration est également un axe de travail important. Un des leviers utilisé est de récolter le maïs ensilage à une hauteur minimale de 50 centimètres. « On pourrait envisager de distribuer de l'ensilage d'épi de maïs, mais cela impliquerait de construire un nouveau silo », souligne Jean-Claude Huchon. L'irrigation est également un levier pour améliorer l'autonomie de l'élevage. « Cela permet d'assurer les stocks d'ensilage d'herbe et de maïs pour les vaches. » Et pour optimiser les rendements en ensilage de maïs sans trop irriguer les parcelles, les éleveurs utilisent des variétés de maïs plus précoces. « Avant on semait des variétés avec des indices de 350-380 contre 300-320 aujourd'hui. On sème le maïs autour du 10 avril. La floraison a lieu vers le 10 juillet. Les besoins en eau sont par conséquent moins importants par rapport à des variétés tardives. Et c'est aussi plus sécurisant parce que lorsqu'il y a des interdictions d'irriguer, elles interviennent plutôt début août. » 
Côté avenir, Yves et Joseph Emprou ne souhaitent pas produire beaucoup plus de lait pour plusieurs raisons. « Nous ne voulons pas avoir plus de 60 vaches traites en hiver pour ne pas trop saturer la stabulation des vaches et la quantité de travail. Au-delà de 50 000 litres de lait supplémentaires, ces trois paramètres seraient dans le rouge. »

Toutes les génisses sont génotypées depuis trois ans

« Le génotypage est un outil intéressant parce qu'on a besoin de travailler sur les taux dans notre élevage et pour travailler les fonctionnels. Avec le génotypage, on a des informations sur les femelles en seulement trois semaines. Ça nous permet par exemple de savoir sur quelles génisses on va utiliser de la semence sexée. » Les femelles les moins intéressantes pour le renouvellement sont inséminées avec des taureaux Inra 95. « Les veaux croisées partent à 300 ou 350 euros contre 50 euros en Holstein pure. » Autre très bonne surprise, le génotypage a permis de retenir une des vaches du troupeau comme mère à taureaux par Evolution. « Les 6000 euros que nous avons touchés ont payé une année de génotypage et d'insémination. » Les deux frères sont toutefois conscients qu'en matière de sélection on ne gagne pas à tous les coups, d'autant que jusqu'ici ils n'étaient pas « férus de génétique ».

Trois paddocks pour optimiser le pâturage

Pour optimiser la fréquentation du robot et le pâturage, une porte de tri dirige les vaches dans trois paddocks de 3 ha en fonction de l'heure et des autorisations de traite. « Nous voulons que les vaches ne restent pas plus de trois heures dans le bâtiment en dehors d'une période comprise entre 18h30 et 22 h. C'est un bon moyen pour respecter au mieux les écarts de traites pendant la saison de pâturage (2,2 traites en moyenne). Elles sortent généralement par groupes de 15 à 20 animaux », explique Joseph Emprou. De 22 h à 1h du matin, les vaches autorisées à sortir sont dirigées vers un premier paddock. Puis de 1h à 8 h, elles sont dirigées vers un second paddock. Le matin vers 8h, les éleveurs ramènent les vaches restées dans le paddock 1 et ouvrent le troisième paddock. À ce moment-là, toutes les vaches autorisées à sortir seront dirigées vers le troisième paddock. À 12 h30, les éleveurs ramènent les vaches restées dans le deuxième paddock. « Ce n'est pas une contrainte d'aller les chercher. On préfère marcher que d'être dans un tracteur et cela permet d'observer les vaches et l'état des cultures. En revanche, il faut pouvoir le faire à des heures adaptées à notre vie, c'est pourquoi nous le faisons à 8 h, 12h30 et 18 h30. »

Chiffres clés

• 161 ha : 60 ha de prairies, 29 ha de maïs dont 14 ha d'ensilage, 27 ha de blé, 21 ha de lupin d'hiver, 8 ha de légumes de plein champs

• 64 Prim'Holstein à 10 000 kg

• 521 300 litres de lait vendu

• 1,3 UGB/ha de SFP

• 2 UMO de main-d'œuvre

« Un EBE fortement pénalisé par le prix du lait »

"Cet élevage est suivi dans le cadre du Réseau d'élevages dont l'objectif sera de fournir des pistes pour l'autonomie alimentaire. C'est un axe très travaillé par le Gaec. Avec une clôture au 30 juin 2015, l’efficacité économique est pénalisée par la baisse du prix du lait. Il diminue de 30€ / 1000 l par rapport à l’année précédente. Soit environ 15 000 € de manque à gagner. Les aides diminuent également de 7 000€. En face, les charges opérationnelles ont également progressé de 7 000 € principalement sur les postes engrais, semences et reproduction animale. Au final l’EBE 2015 diminue de 45 000 €.  Pour passer la crise, un effort est porté sur 2015-2016 sur la qualité du lait, des fourrages (maïs et ensilage herbe), la diminution du coût alimentaire et l’élevage des génisses, avec un gain global estimé de 10 à 15 €/1000l. L’accent est en particulier mis sur une valorisation encore plus forte des fourrages dans la ration avec l’intégration de maïs et ensilages de légumineuses de meilleure qualité. L’optimisation du produit lait est également souhaitée pour 2016-17 avec 50 000 l de lait produits en plus sans investissements."

Jean-Claude Huchon, chambre d'agriculture de Loire-Atlantique

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