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Élevage laitier de montagne : « Travailler en alpage est un art de vivre »

Le Gaec de la Pierra Menta, en Savoie, produit plus de 250 000 litres de lait en AOP beaufort. Une filière rémunératrice qui implique aussi des contraintes fortes. Si le travail en alpage fait partie du charme du métier, il exige un investissement sans faille des producteurs.

Le Gaec de la Pierra Menta porte bien son nom. Avec un alpage au pied de ce remarquable sommet culminant à 2 714 mètres, qui accueille chaque année l’une des plus grandes épreuves de ski-alpinisme au monde, il n’est pas étonnant que Gérard Bochet et Séverine Desenclos aient choisi ce nom emblématique pour leur Gaec. En ce début août, leurs tarentaises(1) pâturent paisiblement entre 2 100 et 2 400 mètres d’altitude au cœur du Beaufortain. « La montagne nous offre un spectacle dont nous ne nous lassons jamais », se réjouissent de concert le frère et la sœur, qui produisent 251 000 litres de lait pour l’AOP beaufort.

 

 
le troupeau de Tarentaises en alpage
La saison d’alpage s’étale de mi-juin à début octobre, sans vêlage. Un taureau, en contrat de location avec Cap Tarentaise, assure la monte naturelle durant la saison. © E. Bignon
Ce cadre idyllique a de quoi faire des envieux. Tout comme le prix du lait, qui s’affiche à 936 €/1 000 l en moyenne sur l’exploitation. « C’est une chance de bénéficier d’une AOP forte et reconnue, reconnaissent-ils. Mais l’élevage de montagne n’a pas que des attraits. Les contraintes auxquelles nous sommes confrontés ne sont pas forcément faciles au quotidien. »

La surface fauchable limite l’autonomie alimentaire

La première difficulté, et non des moindres, tient à la pente. En alpage bien sûr, mais aussi sur les prairies permanentes situées autour du principal site d’exploitation, à Beaufort à 1 050 m d’altitude. « La pente constitue un handicap à la fois pour le travail, la production fourragère et la rentabilité, estime Séverine. Nous n’avons quasiment pas de parcelles plates. Seules les moins pentues peuvent être fauchées, ce qui s’avère limitant pour assurer des stocks de foin et de regain pour tenir l’hiver. » Quelle que soit leur situation, en plaine ou en montagne, les 341 exploitations laitières livrant à l’AOP beaufort sont toutes tenues aux mêmes contraintes de production. « Or, c’est beaucoup plus compliqué d’assurer des récoltes en quantité et qualité avec des pentes qui peuvent aller jusqu’à 45 degrés. »

Parvenir à l’autonomie alimentaire est l’un des objectifs prioritaires de l’élevage. « Même si nous restons dans les clous du cahier des charges de l’AOP, nous sommes contraints de compléter la ration de base des laitières en achetant du foin de prairie naturelle et du foin de luzerne, à hauteur de 20 % de nos besoins », poursuit Gérard.

À la pente et aux difficultés de récolte même avec du matériel spécifique, s’ajoute la nature des terres argileuses, longues à sécher. « Nous ne pouvons intervenir ni très tôt en saison, ni dans un délai court, ce qui pénalise la qualité des fourrages. Pour un chantier de foin, il faut compter minimum quatre jours de beau temps. » En général, le Gaec récolte 4 tMS/ha, stockées en vrac, en assurant une bonne qualité de première coupe (fin juin). La seconde coupe (mi-août) se montre souvent plus aléatoire. « Parfois, s’il fait trop sec, les parcelles ne sont pas refauchées une deuxième fois. »

Les génisses et vaches taries en pension d’hivernage

 

 
pose de clôtures en alpage
Les clôtures sont impérativement changées matin et soir pour que les vaches accèdent à une herbe fraîche deux fois par jour. © E. Bignon
La pente peut également se révéler un frein au pâturage. En cas de printemps frais et pluvieux, les vaches restent jusqu’à un mois supplémentaire en étable entravée pour ne pas défoncer les parcelles. Le manque de surfaces fauchables et de places en bâtiment (50 places) contraint les éleveurs à envoyer les génisses et vaches taries en pension en Isère six mois de l’année. « En hiver, cela nous permet de n’avoir que les vaches laitières à nourrir, décrit Gérard. Elles reçoivent 10 kg de foin, 6 kg de regain et 4 kg de concentré en moyenne. » Cette mise en pension a un coût de 2,15 € par jour par génisse et 1,70 € par jour pour les vaches taries. « Cette solution ne s’avère pas forcément idéale d’un point de vue technique et économique, mais nous ne pouvons pas faire autrement », regrettent les éleveurs.

À la belle saison, les génisses reviennent pâturer dans des parcs à Beaufort, tandis que toutes les vaches montent en alpage. Cette période comporte aussi son lot de difficultés, avec des journées harassantes, loin de tout. Le Gaec dispose de trois alpages différents. En tout, sept transhumances sont effectuées de mi-juin à début octobre. « Le temps de préparation, le déplacement des bêtes et du matériel, et la réinstallation prennent une petite journée quand tout se passe bien. Mais les imprévus s’invitent souvent entre les vaches baladeuses, les aléas météo et autres péripéties en tout genre ! », raconte Séverine, aguerrie à ces mésaventures.

Traite mobile et collecte du lait une à deux fois par jour

 

 
traite des vaches avec remorque mobile en alpage
La salle de traite mobile est alimentée par un groupe électrogène qui tourne au fioul. Hors lavage, la traite prend 2 h le matin et 1 h 30 le soir. Les vaches reçoivent des céréales ou de la VL 16 au DAC (1,3 kg/j). © E. Bignon
En alpage, il n’y a ni réseau internet, ni électricité. Seuls les chalets d’habitation bénéficient de panneaux photovoltaïques. L’eau provient des sources naturelles. Les vaches pâturent un nouveau parc matin et soir. Elles sont traites à l’aide d’une salle de traite mobile alimentée par un groupe électrogène qui tourne au fioul (60 litres par semaine). Équipée de six postes sur une remorque tractée, elle est déplacée tous les trois jours en moyenne selon l’avancée du pâturage et la météo.

Normalement, la collecte du lait s’effectue deux fois par jour entre avril et mi-octobre. « Sur l’alpage le plus reculé, nous fonctionnons différemment. Le camion-citerne de la coopérative ne vient pas jusqu’à nous. C’est nous qui allons à sa rencontre avec un pick-up pour qu’il pompe le lait tous les matins à un point de collecte défini. »

 

 
transport de deux tanks à lait en pick-up de l'alpage vers le point de collecte
Le lait est transporté en pick-up dans deux tanks de 800 litres. Une double paroi, dans laquelle circule l'eau de la montagne, assure le refroidissement du lait sans électricité. Un brassage manuel est effectué trois fois dans les deux heures qui suivent la traite pour refroidir le cœur du tank. © E. Bignon
La livraison du lait mobilise alors Gérard pendant une heure et demie par jour. Séverine, quant à elle, assure des allers-retours quotidiens entre l’alpage et le site d’exploitation à Beaufort (situé une heure de là) pendant les chantiers de regain, et tous les deux jours le reste du temps.

Une cohabitation pas simple avec les touristes

 

 
randonneurs en alpage
Les promeneurs ne se conforment pas toujours aux usages de l'alpage (stationnement anarchique, camping sauvage, etc.), ce qui complique le travail des éleveurs au quotidien. © E. Bignon
Ces dernières années, le travail se complique encore en raison d’un engouement grandissant pour le lac d’Amour qui draine de plus en plus de touristes sur cet alpage. « Il y a toujours eu quelques randonneurs sans que cela ne soit gênant, témoigne Séverine. Depuis le Covid, c’est devenu un vrai défilé ! Or, les infrastructures d’accès et de stationnement ne sont pas du tout conçues pour. » Les voitures sont garées n’importe comment, ce qui bloque les accès à l’alpage et complique les déplacements. « Nous sommes obligés de caler nos jours de transhumance en fonction du trafic. Un comble en alpage ! Il y a deux ans, nous avons eu un mal fou à monter avec la remorque de traite tellement le stationnement était anarchique ! »

De plus, les promeneurs ne sont pas toujours respectueux des pratiques d’élevage et de l’environnement. « Ils débarquent avec leur chien en liberté, effraient le troupeau, ne suivent pas les chemins, pénètrent dans les parcs alors qu’il y a un taureau, campent n’importe où, font du feu, laissent leurs déchets sur place, voire parfois même coupent l’arrivée d’eau… » Depuis cette année, un arrêté communal rappelle les règles d’usage de l’alpage. Le bivouac est autorisé avec l’accord des propriétaires mais le camping sauvage interdit.

(1) Le Gaec accueille également 10 abondances en pension.

Les effets du changement climatique sont visibles même en alpage - Gérard Bochet

Fiche élevage

• SAU : 214 ha d’herbe dont 184 ha d’alpages et 30 ha de prairies permanentes
• Sites : 4 dont 3 alpages
• Cheptel : 56 tarentaises à 4 500 l
• Lait livré : 251 000 l
• Main-d’œuvre : 2 associés et 1 aide familial

Avis d’expert : Vincent Marchand du Cerfrance des Savoie

« Un système stable avec des défis pour demain »

 

 
Vincent Marchand du Cerfrance des Savoie
Vincent Marchand, du Cerfrance des Savoie © DR
« Le Gaec de la Pierra Menta est en régime de croisière et génère des résultats économiques conformes au secteur. Grâce à une bonne qualité du lait et une filière AOP beaufort porteuse, le prix du lait couvre largement le prix de revient. L’une des particularités du Gaec est de disposer de peu de surface de fauche, dû à la pente. Par contre, en été, les ressources fourragères sont abondantes. À l’avenir, les associés envisagent d’investir dans le séchage en grange (60 000 € dont 8 000 € de subventions) pour gagner en autonomie alimentaire. Demain, l’enjeu sera de tenir les résultats actuels tout en réussissant à s’adapter à l’évolution du prix des matières premières dont le Gaec est dépendant, ainsi qu’au changement climatique. Et plus particulièrement la ressource en eau dans les alpages. »

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