À LA GBR JENSEN-NISSEN ET JÜRGENSEN EN ALLEMAGNE DU NORD
350 vaches menées avec une logique d’entrepreneurs
Au nord de Hambourg, Ben Jensen-Nissen et Olaf Jürgensen ont donné une dimension d’entreprise à leur atelier laitier. Avec la fin des quotas, ils ne demandent pas mieux que de s’inscrire dans la tendance des marchés, quitte à supporter des prix plus volatils.
Au nord de Hambourg, Ben Jensen-Nissen et Olaf Jürgensen ont donné une dimension d’entreprise à leur atelier laitier. Avec la fin des quotas, ils ne demandent pas mieux que de s’inscrire dans la tendance des marchés, quitte à supporter des prix plus volatils.
À 42 et 48 ans, Ben Jensen-Nissen et Olaf Jürgensen font figure d’éleveurs originaux en Allemagne : ils se sont associés dans une GbR, un statut juridique proche ((parent)) du Gaec, qui a d’habitude très peu le vent en poupe dans le pays. « Olaf et moi faisions partie du même mouvement de jeunes agriculteurs, étions chacun seul sur des élevages de taille comparable et voulions améliorer notre qualité de vie », se souvient Bent. Il y a seize ans, Bent vient de reprendre 110 ha et un troupeau de 50 vaches, Olaf est depuis 1992 à la tête de 65 ha pour 45 vaches. Ils créent leur GbR en mai 1999 tout en restant très prudents. Ils réunissent leurs troupeaux sur la ferme d’Olaf qui dispose de la meilleure installation de traite, mais sans rien investir alors que le bâtiment existant n’offre qu’une soixantaine de places. « Nous voulions tester notre capacité à travailler ensemble. Cela a duré un an et nous a été très utile. C’est ce qui explique que cela marche toujours entre nous aujourd’hui », lance Bent.
En 2000, les deux éleveurs, aujourd'hui membres du réseau European dairy farmers (EDF), rallongent de 150 places la stabulation existante. Bent et Olaf ne sont pas adeptes des dépenses outrancières. Ils font beaucoup en autoconstruction pour limiter la facture à quelque 125 000 euros. Le même principe les amène à n’acheter au fil des ans que très peu de litres pour conforter leur quota à la bourse où le litre se négocie parfois jusqu’à 0,80 euro. Comme la productivité de leur troupeau s’améliore, les pénalités menacent. Bent et Olaf diminuent alors au fur et à mesure le nombre de leurs laitières pour revenir de 120 à 90 vaches en se contentant de 780 000 litres.
Aller-retour à l’est de l'Allemagne
Location d'une ferme à... 350 kilomètres du siège de la GbR
Mais cette dimension se révèle assez vite comme une cote mal taillée. « Nous restions le plus important atelier laitier du secteur. Nos résultats étaient corrects. Ils nous permettaient de payer nos charges et nos salaires, mais pas d’investir », analyse Bent. Les deux associés envisagent un temps que l’un d’entre eux se cherche une activité extérieure. L’hypothèse ne plaît à aucun. Ils prennent donc le problème autrement ((par un autre bout)). En décembre 2003, ils ont l’opportunité de louer une ferme de 135 ha avec 135 vaches et une référence de 1,5 million de litres. Elle se trouve dans l’Est de l’Allemagne, à 350 kilomètres de Jübeck, siège de la GbR. Et la règlementation oblige à continuer la production sur place pendant au moins deux ans. « Début 2004, nous y avons déménagé un tracteur, un chargeur frontal et un bol. Nous avons aussi envoyé à l’est des vaches en surplus nées à l’ouest afin de limiter la sous-réalisation de la référence de ce second site. J’étais sur place la plupart du temps avec un salarié et l’aide du couple d’éleveurs qui nous louait la ferme pour la traite », indique Bent. « J’ai été fasciné par les structures à l’est. Mais Olaf comme moi, sommes attachés à la région où nous sommes nés. Le climat est adapté à la production laitière. Nous y avons facilement accès aux compétences, qu’elles soient économiques, techniques ou vétérinaires .»
En juin 2006, au terme du délai de deux ans, les deux associés décident que leur ferme à l’est loue leur site à l’ouest ! Cette astuce juridique leur permet de ne pas enfreindre la loi et… de rapatrier référence et vaches à Jübeck. « Ce choix nous a catapulté dans une autre dimension ! », lance Bent. Mais il va aussi se retourner contre les éleveurs. « Nous ne nous étions pas assez préparés. On ne gère pas 270 vaches comme 90. Nous avions sous-estimé la charge de travail, notamment en temps passé à la traite et à soigner les veaux, par rapport à la main-d’œuvre disponible. Nous nous sommes dispersés et les problèmes ont commencé », raconte Bent. Le nombre de cas de Mortellaro explose. À 394 000 cellules, l’arrêt de collecte menace. Le taux de renouvellement grimpe à 50 % et l’intervalle vêlage-vêlage passe à 441 jours ! Pour couronner le tout, les vaches ramenées de l’est contaminent leurs consœurs avec un streptocoque.
Pourtant, l’élevage résiste. Il a la chance d’avoir des réserves financières suffisantes et bénéficie d’un coup de pouce du marché qui propulse le prix du lait à 400 €/1 000 litres. Toujours prudents, Bent et Olaf ne cachent rien de leur situation chaotique à leur banquier. « Cette transparence nous a servi en 2010 quand la conjoncture s’est retournée. Le banquier a continué à croire en nous », sourit Bent. Mais avant cela, les associés réagissent en remettant toutes leurs pratiques à plat. Ils prennent des mesures drastiques. Ils rehaussent le standard de traite en insistant sur le nettoyage de la mamelle et le trempage des trayons. Ils parent systématiquement les sabots, ne lésinent pas pour renouveler les pansements après trois jours, instaurent le passage hebdomadaire dans le pédiluve rempli d’une solution désinfectante. « Le Mortellaro est désormais sous contrôle et nous sommes redescendus à 130 000 cellules en hiver et 180 000 en été », constate Bent. Côté main-d’œuvre, les éleveurs engagent un premier, puis un second trayeur. Parmi eux, il y a Kati qui va, de fil en aiguille, se révéler une excellente gestionnaire du troupeau.
Un plan appliqué à la lettre, recommandé par une société de conseils
Le pas suivant est franchi en 2008. Les associés ajoutent un bâtiment supplémentaire avec 65 logettes et une aire paillée qui accueille seize animaux quinze jours avant vêlage et, selon leur état, entre neuf et vingt jours après vêlage. Les fraîches vêlées sont systématiquement bloquées au cornadis chaque matin. Kati les observe, prend leur température dans le but de détecter le plus rapidement possible métrite, fièvre de lait ou tout autre souci. Ces vaches rejoignent ensuite successivement trois autres groupes. Elles restent dans le premier jusqu’à leur centième jour de lactation. Elles y sont inséminées entre le trente-huitième et le soixante-dixième jour. Une prise de sang, puis une échographie doivent confirmer la gestation, sinon la vache reçoit un traitement hormonal. « Nous procédons jusqu’à trois inséminations sur un maximum de 120 jours. Un taureau fréquente ce lot pour rattraper les avortements qui nous auraient échappé. 17 à 18 % des veaux sont issus de cette monte naturelle. Cette stratégie vise à avoir le moins possible de vaches sous traitement hormonal. Elle nous a été recommandée en 2007 par une société de conseils. Nous l’appliquons à la lettre. C’est la rigueur qui nous fait progresser. Il nous faut encore 2,8 IA par gestation. Notre objectif est d’arriver à 1,5 et de nous contenter d’un taux de renouvellement de 25 %. Le niveau génétique de notre troupeau est encore hétérogène. Il se ressent de l’intégration de Pie rouge de l’élevage loué jusqu’en 2006 », signale Bent. Un autre lot regroupe les gestantes et vaches tant qu’elles produisent encore 25 litres par jour. Un dernier réunit les laitières à partir de vingt-cinq jours avant leur tarissement.
Les vaches sont nourries en ration complète sur une base de 70 à 75 % de maïs ensilage pour 25 à 30 % d’ensilage d’herbe. Le complément de tourteaux de soja et de colza protégé, de drêches de brasserie et de maïs grain est fonction du volume de production : 10,5 kg, 9,1kg et 4,2 kg. De l’herbe ainsi que de la paille compensent à chaque fois la diminution de la quantité de concentré. Les début de lactation ont 0,3 litre de propylène glycol. Les taries reçoivent deux tiers de maïs ensilage, un tiers d’ensilage d’herbe et 3,5 kg de paille. Pendant quatorze semaines en été, les trois lots les moins productifs sur les quatre ont accès en alternance jour/nuit à 18 ha de pâture pendant trois à quatre heures par jour. « Plus par philosophie que par nécessité. C’est du luxe », commente Bent. La moyenne du troupeau tutoie ainsi la barre des 10 000 litres car « les vaches ont plus de place, les fourrages étaient de qualité et nous avons fait le tri dans les effectifs ». Cette dernière décision a été prise un peu dans l’urgence fin 2014. À l’époque, l’atelier dispose d’une référence de 2 780 000 litres, mais s’attend à la dépasser de 600 000 litres ! « Comme nous ne voulions plus acheter de quotas et que les premiers échos évoquaient 28 cents ???? de pénalités au litre, nous n’avions pas beaucoup le choix. » Ce frein a aujourd’hui sauté. L’élevage prévoit de produire 545 000 litres par UMO et de livrer quelque 3,4 millions de litres sur l’année. « Ce volume est nécessaire. Nous payons des fermages élevés. Entre 200 et 1 200 €/ha, 500 €/ha en moyenne. Nous versons des salaires de 10 à 12 € bruts de l’heure, même 16,50 € pour notre meilleure salariée alors qu’Olaf et moi, NOUS nous rétribuons à peine un peu plus à 17,50 € », annonce Bent. Son groupement de producteurs qui collecte 41 millions de litres auprès de vingt-huit adhérents ne met aucun frein au litrage livré et les autorise à changer d’acheteur chaque fin d’année en respectant six mois de préavis. Il a contractualisé ses volumes sur trois-quatre ans avec deux entreprises spécialisées, l’une dans les laits de consommation, l’autre dans les protéines. Le groupement s’engage à payer au minimum 10 € de plus aux 1 000 l que le prix moyen annuel réglé par les treize autres laiteries en activité au Schleswig Holstein.
"Nous ne voulons pas dépendre de l’argent public"
Bent et Olaf ont calculé qu’il leur fallait un prix de 330 €/1 000 l pour s’en sortir. En octobre 2015 ils ont touché un prix de base 37/34 de 280 €/1 000 l hors TVA à 10,7 %. « Ce prix nous met en difficulté. Nous ne réalisons pas assez de chiffre d’affaires pour couvrir nos frais. Notre trésorerie baisse, admet Bent. Nous essayons de nous adapter à la volatilité. Nous avons fait quelques réserves en 2012 et 2013. Le prix finira bien par se redresser un jour. Il faudra alors remettre de l’argent de côté. Cela doit désormais être un réflexe normal pour un éleveur. Nous ne voulons pas d’argent public comme c’est le cas en France. Nous voulons seulement dépendre de la météo, de notre capacité à être compétitifs et à nous inscrire dans la tendance des marchés. Si nous échouons, ce sera comme ça. Tous les débats autour du bien-être animal nous mettent bien plus le moral à zéro que le prix actuel du lait ! »
Dans l’immédiat, Bent s’interroge plutôt sur l’avenir de la GbR. Olaf, qui n’a pas d’enfant, partira en retraite d’ici quelques années et il faudra revoir l’organisation du travail. Bent ne sait pas encore si son garçon de neuf ans ou l’une de ses trois filles dont son aînée de douze ans, est intéressé pour lui succéder. C’est pourquoi il ne prévoit pas de gros investissements à court terme. Sa principale inquiétude est pour la salle de traite 2x16. Elle a quatorze ans et « doit au moins encore en tenir huit de plus ». Pourtant, une installation plus moderne, avec automatismes et portes de tri, améliorerait les conditions de travail qui sont ici plus déterminantes que la rétribution si l’éleveur veut conserver ses salariés. Ces six dernières années Bent et la GbR ont préféré acquérir du foncier en payant jusqu’à 20 000 €/ha. Ils sont passés de 70 à 153 ha en propriété. Bent est rassuré par le doublement de ce capital. « C’est ma retraite, dit-il. Mais aujourd’hui ma priorité est plutôt de stabiliser la situation et de souffler un peu. »
Du lisier dans les logettes
Depuis la fin octobre 2015, l’élevage a cessé d’utiliser la paille comme litière pour ses logettes. « Nous avions de plus en plus de mal à gérer le mélange paille-lisier. Il devenait trop épais. Nous avons donc opté pour le recyclage du lisier en séparation de phase pour en remettre la partie solide à 32 % de MS dans les logettes », explique Bent. Le séparateur installé derrière l’ultime barrière de la stabulation pompe directement sa matière première dans la fosse sous caillebotis. L’investissement s’est monté à 70 000 euros, matériel de distribution compris. Les associés comptent l’amortir en six ans. Pour cela, ils prennent en compte leur économie de main-d’œuvre, le besoin de moins malaxer les déjections, la diminution de la charge de travail des racleurs et du volume de paille qu’ils achètent hachée à 90 €/t, le décalage dans le temps de la nécessité d’augmenter leurs capacités de stockage. « Le confort des animaux a été l’autre critère de choix », précise Bent. La solution des matelas a été écartée car les deux éleveurs jugent qu’ils abîment trop les aplombs et ne laissent pas la mamelle assez propre.
50 places à l'air libre
Disposer d’assez de places est un souci permanent des éleveurs. Le bâtiment construit en 2000 a été rallongé sans finalement être couvert, comme cela avait été prévu à l’origine. Les cinquante places proposées à l’air libre sont bien remplies tout au long de l’année. « Sauf quand il pleut », précise Bent. Côté pile, ce compromis pose quelques problèmes de Streptocoques uberis, mais côté face les vaches se sentent bien à l’extérieur et les chaleurs s’y repèrent beaucoup plus facilement. Bent et Olaf délèguent également en partie l’élevage de leurs génisses. D’octobre à mai, ils confient 25 animaux de six mois à un collègue qui dispose d’un bâtiment mieux adapté. Ils lui règlent une pension de 1,30 €/tête/jour. L’été, ils envoient 95 génisses âgées de un à deux ans pâturer sur la côte. Ici, ils payent un forfait de 220 €/ha. Le coût de production d’une génisse s’élève à 1 845 €, amortissement compris.
« Un atelier bien préparé pour l’avenir »
« La crise actuelle est sérieuse. Si le prix du lait reste à ce niveau, de 10 à 15 % des exploitations laitières devront cesser leur activité d’ici l’été 2016, notamment les élevages de 60 à 70 vaches et ceux qui ont beaucoup investi pour 200 vaches ou plus. Nous estimons que pour résister, un atelier ne doit pas faire appel à, grand maximum, plus de 60 % de capitaux extérieurs. Bent et Olaf ont réussi à redresser la barre en étant très rigoureux avec le troupeau. En faisant le tri de leurs animaux ils ont amélioré le niveau génétique du troupeau et l’efficacité de la ration. La part de concentrés qu’ils distribuent est maintenant mieux valorisée. Au niveau de leurs charges, ils ont encore une petite marge sur le coût alimentaire, mais leur plus grande réserve se situe au niveau de l’organisation du travail. Une nouvelle salle de traite libérerait du temps et devrait avoir pour conséquence de produire plus de lait par UMO. Le principal atout de la GbR est d’avoir réussi à faire le saut de l’exploitation familiale vers l’entreprise. Ce que beaucoup d’ateliers de 120 à 150 vaches dans le secteur doivent encore faire. Bent et Olaf ont bien préparé leur atelier pour l’avenir. »
Kurt CLAUSEN, conseiller au VRS Nordfriesland (équivalent des Ceta)
Chiffres clés
• 317 ha dont 155 de maïs ensilage, 119 d’herbe, 43 de seigle
• 349 PRIM Holstein et leur suite
• 3,4 millions de litres livrés environ en 2015
• 2,4 UGB/haSFP
• 8 UMO dont 2 chefs d’exploitation, 4 salariés à plein temps, 4 temps partiels, 1 apprenti