Évènement
Sans PAT, comment préserver les parts de marché ?
C’est à cette difficile question que les filières animales, éleveurs et industriels de la nutrition animale, devront répondre si le gouvernement ou la distribution limitent l’utilisation des protéines d’origine animale.


En plein scandale de fraude à la viande de bœuf, le gouvernement socialiste a de nouveau fait part de son refus du retour des farines animales, ou plus exactement des PAT, à l’occasion du 50e Salon international de l’agriculture, qui s’est déroulé du 23 février au 3 mars. Décidée en juillet 2012, la réintroduction des farines animales (de porcs et de volailles) dans l’alimentation des poissons d’élevage sera effective au 1er juin 2014 (cf. n°3989 Les PAT parachutées dans le débat médiatique) et serait un premier pas vers un retour des protéines animales dans l’alimentation des non-ruminants (porcins et volailles). Ce qui pouvait apparaître comme une opportunité pour l’industrie de la nutrition animale, qui pourrait y voir un potentiel gain de de compétitivité, ne concernera pas la France si l’on en croit les récentes déclarations du gouvernement. « La France s’oppose aux protéines animales. Elle a voté contre et ne réintroduira pas ces protéines animales pour ce qui la concerne », a déclaré le chef de l’état lors de l’inauguration du Sia à Paris. Une promesse qui, si elle est tenue, devra s’accompagner de nombreuses mesures (étiquetage, communication sur la viande française…) pour éviter un nouveau recul de l’élevage hexagonal, dont les productions pourraient être un peu plus écartées des paniers des consommateurs.
« Les protéines animales transformées ne sont pas des farines animales », tient à préciser Jean-Luc Cade, président du pôle Nutrition animale de Coop de France. Selon les professionnels, les farines animales utilisées jusque dans les années 90 étaient issues d’animaux impropres à la consommation, malades par exemple, alors que les protéines animales transformées proviendraient de bêtes saines. « Les PAT sont une source de protéines viables. Il n’y a pas de raisons objectives de s’inquiéter sur leur qualité sanitaire, avec une bonne maîtrise des flux », assure Jean-Luc Cade. Peu importe pour le consommateur, qui n’a pas oublié la crise de la vache folle. Le problème est plus d’ordre éthique que scientifique ou technique. « Ce qui heurte le citoyen, c’est le fait qu’un animal mange un autre animal. Même si ce raisonnement n’est pas rationnel, nous ne pouvons l’ignorer », reconnaît Jean-Luc Cade. Et, même si le gouvernement revenait en arrière en laissant la possibilité aux éleveurs français de nourir leurs poissons, porcs ou volailles à terme, avec des PAT, la grande distribution pourrait imposer l’absence de protéines animales dans l’alimentation pour répondre aux attentes des consommateurs français… Sans pour autant déréférencer des produits étrangers qui bénéficieraient de conditions de production moins exigeantes. D’où l’inquiétude des filières animales qui pourraient voir leurs parts de marché reculer.
Perte de compétitivité française en production animale
« Absence de graisses animales, de maïs OGM et maintenant de PAT… Nous cumulons les distorsions de concurrence », alerte Jean-Michel Serres, président de la Fédération nationale porcine (FNP). Si l’interdiction d’utiliser des PAT en production animale venait à se confirmer pour les volailles et pour les porcs, « la situation serait très grave », estime-t-il. Le secteur était encore excédentaire en volume en 2012 (mais déficitaire en valeur faute de compétitivité), mais la FNP anticipe un recul de la production en 2013.
« Il faut être cohérent. Si le consommateur a des attentes, il faut qu’il puisse identifier ces filières sans PAT au travers de repères comme les marques, l’étiquetage ou d’autres éléments marketing. Sinon, les filières animales françaises vont y perdre en compétitivité », avertit Jean-Luc Cade. Quid alors du coût lié à l’étiquetage des aliments du bétail (en cas d’autorisation des PAT en France et d’une ségrégation des filières) et des productions animales issues d’animaux ayant consommé ou non des PAT ? Entre l’étiquetage et l’absence de gain de productivité, qu’aurait pu permettre l’incorporation de PAT, « potentiellement, le coût de l’aliment sera plus élevé », estime Jean-Luc Cade.
« Le gouvernement devra aller au bout de la logique »
Le Snia l’a souvent répété : « C’est au gouvernement que revient la décision d’autoriser ou non les PAT. » « Et cette décision des pouvoirs publics devra se faire sans réserve pour ne pas tomber dans un climat suspicieux », estime Stéphane Radet, directeur du Snia. « Si nous sommes sur un marché unique, il faut veiller à ce que l’harmonisation soit totale. Une nouvelle distorsion de concurrence serait fatale à certaines productions, la dinde par exemple. » Le syndicat souhaite ainsi que « le gouvernement aille au bout de la logique en empêchant, par mesures équivalentes, des productions nourries avec des PAT d’arriver sur le territoire français ». Mais rien n’est moins sûr… D’où l’interrogation : « Quelle est la capacité du consommateur à s’inscrire dans un système d’achat citoyen ? » Pour Jean-Luc Cade, « il faut développer la promotion des produits français. Et cela doit être partagé entre la production, la distribution et un accompagnement des pouvoirs publics avec une législation sur l’étiquetage. Le pouvoir d’achat des Français, malgré la crise, n’est pas négligeable. Il faut savoir tirer parti de la variable sociétale. Nous sommes prêts à jouer le jeu si le gouvernement va au bout de sa démarche. Il ne faut pas interdire les PAT et laisser la filière se faire avaler par les produits internationaux. » Dans le même sens, Jean-Michel Serres souhaite que se développe « une dénomination ‘‘Viande de porc française’’ dans les rayons, pour que le consommateur puisse l’identifier clairement sans avoir à chercher un logo. Nous allons continuer de communiquer, mais le contexte est tel que l’on devrait aller plus loin. Et cet effort doit être partagé par tous. »