Rémunérer les producteurs pour service environnemental rendu
Le Conseil d'analyse économique a publié le 17 décembre son étude sur la santé économique de l'agriculture française. Pour l'améliorer, il est recommandé de payer les agriculteurs en échange de leur rôle de la préservation de l'environnement.

L'agriculture française est en souffrance, malgré « des aides directes estimées à 10 Md€/an, environ 30.000 € par exploitation moyenne, soit 84 % de leur revenu agricole en 2013 », a lancé Sébastien Jean, directeur du Centre de recherche français dans le domaine de l'économie internationale (CEPII), lors de la présentation de la note du Conseil d'analyse économique (cf. encadré) sur l'agriculture française dont il est coauteur, le 17 décembre à Paris. Il ressort de cette dernière que « la préservation du capital doit constituer l'axe central de la politique agricole ». Cela passe par « un remplacement des aides indifférenciées et de l'éco-conditionnalité par une rémunération des aménités, qui pourrait être différenciée ”géographiquement ». Comprendre ici que l'agriculteur doit être payé en fonction de services écologiques rendus, considérés comme des biens publics, en plus de son activité de production de biens alimentaires. « C'est ce que font les Anglais, au travers de leur programme “Natural England”. Les contrôles sont moins nombreux mais les résultats écologiques sont mieux évalués », explique Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie au sein d'AgroParis-Tech, coauteur de l'étude.
La “technophobie” nous met en retard
Bien que les experts présents reconnaissent que le coût du travail et la réglementation peuvent affecter partiellement notre compétitivité, ils n'expliquent pas à eux seuls les difficultés du secteur agricole et agroalimentaire hexagonal. Ces remarques s'appliquent également à la filière céréalière. « Les rotations sont insuffisantes et se réduisent, c'est une tendance de fond. (…) Les progrès technologiques sont faibles. Depuis des années, les rendements de céréales stagnent », alerte Jean-Christophe Bureau. La deuxième recommandation est par conséquent de développer la recherche et l'innovation, notamment les nouvelles techniques de sélection et le numérique. « La “technophobie” du secteur agricole français constitue l'autre principal frein à la compétitivité », regrette Sébastien Jean.
Le TTIP n'est pas, en l'état actuel, avantageux pour la France.
Les spécialistes signalent également que les semenciers français se sont historiquement trop tournés vers les rendements, plutôt que vers la qualité, notamment le taux de protéine.
Oui aux OGM, mais pas n'importe lesquels
Les OGM sont une solution recommandée par les auteurs de l'étude. Ils écartent toutefois ceux résistants aux herbicides, jugés nocifs pour l'environnement. Les techniques de sélection génétique accélérée, notamment la technique Crispr/Cas9 (cf. n°4135), sont à promouvoir. Mais la réglementation européenne n'a pas encore statué sur le sujet. « L'interdiction des OGM, les fauchages... ont engendré des pertes technologiques sur le très long terme. Il y a un vrai rôle de la recherche publique, mais le privé, avec Monsanto, a pris beaucoup d'avance », dénonce Sébastien Jean.
L'assurance américaine, une fausse bonne idée
Le recours aux assurances à l'américaine est rejeté par les auteurs. « Le système d'assurance établi aux États-Unis incite les agriculteurs à ne pas répondre aux signaux du marché. Ensuite, un système d'assurance est très coûteux : 1 $ touché par l'agriculteur coûte 2 $ à l'État », s'alarme Jean-Christophe Bureau. Il faut, selon lui, davantage se tourner vers un lissage fiscal, le report d'emprunts et de charges sociales sur plusieurs années, et éviter les incitations à la spécialisation sur un petit nombre de cultures.
Rendre plus lisible la qualité française à l'export
Pour regagner en compétitivité à l'export, la France doit changer de stratégie. « Si nous ne remettons pas en cause la spécificité française, à savoir les AOC, les terroirs..., ces labels sont souvent incompris à l'étranger. Cela doit rester une stratégie haut de gamme, une niche, mais pas une stratégie générale », conseille Sébastien Jean. La qualité sanitaire, la traçabilité, l'absence d'antibiotiques, le respect de l'environnement ou le bien-être animal, critères plus standard et mieux identifiables à l'étranger, sont en revanche très demandés (en Asie notamment). Vient naturellement la question du traité transatlantique (TTIP). Ce dernier est jugé désavantageux pour l'agriculture française dans l'ensemble, en l'état actuel, spécialement concernant les filières viandes. « L'accord ne devrait pas être signé avant 2017/2018, après les élections américaines. Mieux vaut ne rien signer, que de signer un mauvais accord », estime Jean Sébastien.
Enfin, la concentration des exploitations agricoles n'est pas à pénaliser, tant qu'il n'y a pas d'externalité négative (comprendre pollution). Le secteur de la transformation doit en revanche se concentrer. Kevin Cler
Le Conseil d'analyse économique est une instance publique créée en 1997 dans le but d'offrir un éclairage au gouvernement sur une thématique donnée (la situation d'un secteur économique par exemple. Dans notre cas, l'agriculture). Il est présidé par le Premier ministre ou par un président délégué désigné par ce dernier, pour une durée de cinq ans. Le conseil est composé d'économistes universitaires et de chercheurs reconnus. L'étude présentée le 17 décembre sur la situation de l'agriculture française, intitulée “L'agriculture française à l'heure des choix” a été rédigée par Jean-Christophe Bureau (professeur d'économie à AgroParisTech), Sébastien Jean (directeur du CEPII), et Lionel Fontagné (professeur d'économie à La Sorbonne).