Aller au contenu principal

Recherche : intérêt des semoules de blé tendre en panification

Selon une étude conjointe de l’Inra et de l’INBP, l’utilisation de semoules est sans doute la meilleure façon d’accroître la valeur nutritionnelle du pain.

POUR FAIRE DU PAIN, il faut extraire la farine du grain de blé. Fort de cette certitude, tout l’art de la meunerie moderne dotée d’appareils à cylindres a consisté à produire le maximum de farine possible à partir de l’albumen du grain de blé. A cette fin, les diagrammes de mouture ont été conçus pour produire des farines de type 55-65 de très faible granulométrie avec des rendements meuniers qui avoisinent en moyenne 77 % pour des blés panifiables courants. Dans le cas du blé dur, le broyage de l’amande aboutit majoritairement à des semoules très dures et la proportion des farines obtenues est très faible, d’environ 10 %, tout au moins lorsque le blé dur n’est pas mitadiné. En France, les blés tendres destinés à la panification sont du type moyennement dur avec un degré de dureté qui peut différer selon les variétés et les conditions de culture. Ceci signifie que l’albumen du blé tendre est naturellement désagrégé en farine et en semoules. Il faut donc mettre en œuvre une deuxième étape de claquage et de convertissage pour réduire les semoules en farine. Il est bien connu que l’on peut faire du pain avec de la semoule de blé dur, même si le produit obtenu est sensiblement différent de notre baguette de pain blanc. Puisque le pétrissage arrive à former une pâte panifiable avec de la semoule de blé dur, un résultat similaire pouvait être espéré avec des semoules de blé tendre qui ont la capacité de se désagréger plus facilement que les particules de blé dur. C’est pourquoi une équipe de chercheurs de l’unité Nutrition humaine de l’Inra (Clermont-Ferrand), menée par Christian Rémésy et Fanny Leenhardt, en collaboration avec Gérard Brochoire de l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie (Rouen), a pensé qu’il était envisageable, pour faire du pain, de ne plus écraser les semoules de blé tendre en farine. Ceci pouvait présenter divers avantages pour réduire les dépenses d’énergie occasionnées par la réduction des semoules en farine et surtout pour disposer éventuellement de farines et de pains de meilleure qualité nutritionnelle. En effet, des fragments de téguments externes restent adhérents à certaines semoules dites vêtues, ce qui augmente leur teneur en fibres, minéraux et micronutriments.

Un rendement meunier en farine et semoules proche de 80 %

Lorsqu’on écrase le blé, en ménageant les semoules (en courcicuitant le claqueur 1 et le convertisseur 1 avec un moulin de type Schneider Jacquet), on obtient pour des mélanges classiques de variétés panifiables, un rendement meunier en farine + semoules proche de 80 % ; le mélange obtenu est composé d’environ 40 à 45 % de farine et 55 à 60 % de semoules (environ 40 % de grosses semoules et 15 % de fines semoules). Il est probable que le pool de grosses semoules contienne une partie du germe meunier, ce qui est intéressant sur le plan nutritionnel pour bénéficier de la vitamine E. Si le diagramme aboutit à des semoules de trop forte granulométrie, il peut être envisagé de réduire leur taille par leur passage sur cylindres (claqueur 1) mais à condition de supprimer tout tamisage et de récolter la totalité des fractions issues de ce passage. Il est possible également de récupérer 5 % de particules très chargées en fibres en provenance du troisième broyeur (B3), ce qui augmente d’autant le rendement meunier et accroît très sensiblement le type de farine puisque le taux de matières minérales augmente avec la proportion d’enveloppes. Des essais de panification, avec un assemblage de farine + semoules selon ce nouveau type de mouture simplifiée, ont été réalisés par trois professionnels différents, à la Fédération de la boulangerie du Puy-de-Dôme, au laboratoire Lempa de l’INBP et dans le cadre d’une formation des boulangers bretons organisée par l’INBP et ciblée sur la production de pains type 80. Les essais de panification ont été réalisés soit à partir d’un mélange à parts égales de grosses semoules et de farine, soit en respectant les rendements de mouture en farine et semoules, à savoir 45 % de farine et 55 % de semoules (40 % de grosses semoules et 15 % de fines semoules). Dans les deux cas, cet assemblage équivaut à une farine de type 80.

Une valeur nutritionnelle améliorée

Pour la panification, une première étape d’autolyse semble très utile et la pâte supporte une hydratation de plus de 70 %, ce qui favorise la conservation du pain. La couleur de la mie reste relativement claire et les piqûres d’enveloppes ressortent moins qu’avec l’incorporation de boulange (issue du premier broyeur, B1). Il est intéressant d’inclure un pourcentage suffisant de levain pour provoquer une acidification optimale de la pâte et améliorer ainsi l’assimilation des minéraux. La valeur boulangère et les qualités organoleptiques correspondent aux impératifs de production d’un pain de consommation courante mais de valeur nutritionnelle améliorée.

En effet, le fait de «ménager» les semoules permet de disposer d’un produit enrichi en fi-bres, minéraux et vitamines, grâce à la présence de semoules vêtues. La préservation des semoules réduit les oxydations, ce qui est important pour la conservation des vitamines, en particulier de la vitamine E et des caroténoïdes. Le fait de disposer de semoules vêtues qui puissent être digérées plus lentement que les particules de farine semble également intéressant sur le plan nutritionnel. Ainsi, il n’est pas exclu, mais ceci doit être vérifié, que l’index glycémique du pain préparé avec ces nouveaux diagrammes de mouture soit amélioré.

Une pulvérulence des farines fortement diminuée

Autre avantage évident : la pulvérulence des farines est fortement diminuée ; une particule de semoule de 1 mm pouvant donner théoriquement 1.000 particules de farine de 0,1 mm. Ceci devrait avoir une influence favorable sur la prévention de nombreuses maladies professionnelles dues aux poussières de farine. D’ailleurs, les boulangers les plus atteints gagneraient à n’utiliser que des semoules puisqu’il est possible également de faire des pains entièrement à la semoule de blé tendre.

On dispose donc maintenant, d’un procédé simple pour produire des farines et des pains de type 80. Avec les diagrammes de mouture classiques, une farine de ce type peut être obtenue par l’addition à la farine blanche des remoulages (provenant principalement de l’écrasement des semoules). Autant respecter la structure des semoules vêtues et les utiliser telles quelles en panification ! En évitant de réduire trop finement l’amande, la stabilité du pool de farine et de semoules est évidemment améliorée et la qualité du pain devrait en bénéficier. Il faut noter que ce fractionnement ménagé ne peut pas être réalisé sur meules de pierre, ce qui explique peut-être qu’il n’ait pas été recherché avec les moulins à cylindres.

Simplifier les procédés de mouture

Beaucoup de progrès ont été réalisés en remettant en question la validité des techniques couramment utilisées. Cette nouvelle conduite d’une mouture sur cylindres devrait contribuer à améliorer le fonctionnement de la filière blé-pain en simplifiant les procédés de mouture, tout en contribuant à augmenter la densité nutritionnelle du pain. Ceci devrait avoir des conséquences en amont au niveau de la sélection de variétés particulièrement riches en semoules panifiables.

Pour produire des pains de type 80, l’Inra a également recommandé dans des articles précédents (cf. notre édition du 11 août 2005), d’utiliser une boulange de type B1 (issue du premier broyeur) pour bénéficier de la totalité des composés nutritionnels du grain de blé. Ceci nécessite de pratiquer une préfermentation en milieu très hydraté ou de mettre en œuvre un long pointage bac. A noter aussi la possibilité d’utiliser une farine enrichie en semoules pour réaliser la panification, en complément des 15 à 25 % de B1. Dans ces conditions, on réunit les atouts du nouveau procédé de mouture tout en bénéficiant de l’intérêt d’incorporer du blé sans aucune perte de micronutriments.

Valorisation de la qualité du pain

En pratique, les meuniers pourraient déli-vrer dans un premier temps aux boulangers des semoules de blé tendre à incorporer au moment de la pétrissée en proportion variable (au moins 25 % pour obtenir un résultat sensible) pour les familiariser avec leur utilisation. Cependant la solution la plus logique serait de fournir directement aux boulangers le mélange farines-semoules obtenu en évitant les étapes de réduction de semoules et correspondant à un rendement meunier proche de 80 %.

En conclusion, l’écrasement ménagé de l’amande en farine et semoules est sans doute la meilleure façon d’accroître la teneur en fibres, minéraux et micronutriments du pain. «Avec des blés d’excellente valeur boulangère et de très haute valeur nutritionnelle (si on s’en donne les moyens par le biais de la sélection variétale), une simplification des diagrammes de mouture, une utilisation des semoules de blé tendre très intéressantes sur le plan de la pa-nification et de leur valeur nutritionnelle, la filière blé pain semble bien placée pour valoriser la qualité du pain et sa consommation», conclut l’Inra.

Les auteurs de l’étude tiennent à remercier, pour la fourniture de semoules, Alain Hardouin, minoterie moderne à Cuzieu (Haute-Loire) et Arnaud Denis, Société Meunière du Centre, Gerzat et pour la réalisation des essais de panification, Eric Marcheix, formateur à la Fédération de boulangerie du Puy de Dôme, Amandio Pimenta, artisan boulanger à Montferrand (Puy-de-Dôme) et Régis Del Frate (Lempa, INBP). La Rédaction remercie, par ailleurs, Christian Rémésy pour sa collaboration.

Les plus lus

« Le gouvernement russe entretient la non-transparence sur le marché des céréales, affectant même les opérateurs russes »

Philippe Mitko, chargé des relations extérieures de Soufflet Négoce by InVivo, a accepté de nous donner sa vision des marchés…

Eric Thirouin : « Les céréaliers ont conscience que la proposition de prix planchers n’est actuellement pas réaliste »

Le président de l’AGPB (Association générale des producteurs de blé) veut que les promesses du gouvernement soient suivies d’…

Blé dur - Comment la filière et le gouvernement comptent relancer la production en France ?

Les surfaces de blé dur décrochent en France depuis des années. Un soutien de l'État français leur permettrait de rebondir,…

À qui profitent vraiment les dons de blé russe?

Li Zhao Yu, Yann Lebeau, Roland Guiraguossian et Delphine Drignon, experts du département relations internationales…

Les stocks français de blé tendre et de maïs grimpent encore, selon FranceAgriMer

Alors que les stocks français de blé tendre et de maïs s'étoffent, la demande chinoise en orge permet d’alléger le bilan…

Groupe Avril - Échange de postes de direction au sein de ses filiales

Le groupe Avril espère faire bénéficier à ses filiales Lesieur et Saipol les regards nouveaux des deux dirigeants.

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 352€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site La dépêche – le petit meunier
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez votre revue numérique la dépêche – le petit meunier
Recevez les évolutions des marchés de la journée dans la COTidienne