Pr Calvel : émouvant hommage de la filière
Une force de travail peu commune, une passion sans faille et une volonté féroce ont guidé la vie de ce boulanger hors normes.
Raymond Calvel, que tout le monde appelait le Professeur Calvel, nous a quittés le mardi 30 août à l’âge de 92 ans. Un hommage lui a été rendu, à l’initiative de «l’amicale» créée en son honneur et en présence de sa famille, le 5 septembre dernier à la Maison des compagnons du devoir. De nombreux témoignages de ses collègues, amis et enfants sont venus faire revivre la mémoire de cet homme passionné qui a marqué l’histoire de la boulangerie française en œuvrant pour la qualité du pain. Son expertise est, selon Hubert Chiron, chercheur à l’Inra, à l’origine du retour des baguettes de tradition.
Plusieurs générations de meuniers initiés au bon pain
Il apprend son métier dans les années trente dans son Tarn natal où il acquiert de solides bases professionnelles puis suit une formation à l’école de boulangerie des Grands moulins de Paris. En 1936, il intègre l’équipe enseignante de l’Ecole française de meunerie qui deviendra l’Ensmic. Là, le Pr Calvel, vulgarisant les réactions technologiques et biochimiques en les traduisant en termes boulangers, transmet sa passion, sa foi, à des centaines de techniciens. Il travaille en partenariat avec ses collègues professeurs de meunerie et participe au contrôle de la qualité des blés, une collaboration étroite qui fait la singularité de l’école. «Quelle meilleure méthode que la panification pour apprécier la valeur d’un blé ?», lance Claude Willm qui découvre ce professeur «à l’autorité naturelle» en tant qu’élève avant de devenir son collègue. «Sa méthode, basée sur l’étude de chaque phase de la panification, permet de déceler les défauts et qualités des farines. Il faisait ensuite des propositions concrètes au meunier pour améliorer le comportement de sa farine.» Cet homme, capable de faire du bon pain avec n’importe quel matériel et matière première, a ainsi fondé les éléments d’analyse à la base de l’enseignement boulanger prodigué à l’Ensmic. Il reste un exemple et une référence pour cette école qui apposera dans ses locaux une plaque commémorative.
Méthodique, exigeant, infatigable, rigoureux, travailleur acharné, un brin têtu, le professeur observe et prend des notes, beaucoup de notes. Celles-ci lui serviront d’ailleurs à rédiger de nombreux articles, plus de 400 avec une plume parfois trempée au vitriol. Il écrit également plusieurs ouvrages dont “la boulangerie moderne” et “le goût du pain”, traduit en quatre langues. Cela fait de lui le plus grand auteur technique du 20e siècle dans le domaine de la boulangerie.
Raymond Calvel a beaucoup voyagé et, comme l’imageait dans une lettre un de ses adeptes d’origine sud-américaine, «il a laissé à chaque endroit la semence du bon pain français». Il sillonne la planète : Europe, Etats-Unis, Amérique latine, Canada, Maghreb,… Et surtout Japon, où il installe la première boulangerie de pain français en collaboration avec Yukio Fujii, dont la société Donq compte aujourd’hui 180 boutiques dans tout le pays. Son travail se répercute ensuite sur toute l’Asie du Sud-Est. Une fois à la retraite, le professeur entre en guerre contre le duo farine de fève/pétrissage intensif. «Et sa volonté féroce a réussi à reconstruire le pain français», assure le meunier Alexandre Viron.
Par ses ouvrages et ses voyages, tous prétextes à des études de la panification, le Pr Calvel a acquis une aura internationale comme l’atteste les témoignages d’affection venus du monde entier saluer ce grand homme de la boulangerie. Il laisse derrière lui un patrimoine que ses disciples s’attacheront à conserver. Comme le lance Jacques Mabille, président du syndicat de la boulangerie-pâtisserie de Paris : «Compte sur nous, nous surveillerons la qualité de la farine et du pain. Ton œuvre continuera.»