PESTICIDES Un projet pour limiter les pollutions diffuses
Commencés en octobre dernier, les travaux d’un important programme européen devraient apporter des éléments de réponse concrets en matière de réduction des pesticides depuis la parcelle
PROJET EN COURS. S’il est un fait avéré que les pesticides soulèvent bien des débats, leur utilisation génère du reste des controverses… Le fait est que chaque année, ce sont quelque 320.000 t de produits phytosanitaires qui sont épandues sur le territoire agricole de la communauté européenne. L’utilisation des pesticides dans le secteur de l’agriculture pose la question de la pérennité de la qualité de la ressource en eau, telle qu’elle est exposée dans la loi cadre 2002/60/EC de l’eau, cette directive devant aboutir au rétablissement d’un bon état écologique des eaux d’ici 2015. C’est dans ce contexte qu’un réseau structuré de professionnels s’est constitué autour d’un programme LIFE Environnement, ArtWET. LIFE (Instrument financier pour l’environnement) est un programme européen qui contribue à la mise en œuvre du développement de la politique et de la législation environnementale au niveau de l’UE. Il soutient des projets de démonstration visant le développement et la mise en œuvre de la politique communautaire pour l’environnement et le développement durable. Le projet ArtWET, intitulé « Réduction de la pollution diffuse due aux produits phytosanitaires et phytoremédiation dans les zones humides artificielles » devrait ainsi permettre aux coordonnateurs de mettre en évidence où et comment atténuer les risques de la pollution diffuse par les pesticides.
Les objectifs de ce programme sont en outre « d’optimiser des dispositifs (...) tels que les fossés végétalisés, les bassins d’orage à vocation hydraulique, les zones humides naturelles, aménagées, agricoles ou forestières, afin de réduire la charge polluante en sortie d’agro-systèmes étudiés. L’étude de l’impact sur la biodiversité accompagnera la démonstration de la capacité de ces zones à réduire les transferts de produits phytosanitaires vers l’aval », indique succintement une note émise par l’ENGEES (École Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg), bénéficiaire du projet.
C’est à ce sujet que Mme Caroline Grégoire, chercheur, et M. Didier Bellefleur, administrateur du projet à l’ENGEES, ont accepté d’approfondir le sujet pour La Dépêche.
La Dépêche - Pourriez-vous détailler davantage le contexte et les objectifs du projet ArtWET?
Didier Bellefleur : Le projet consiste à modifier des équipements, des espaces existants, — en les artificialisant —, de façon à traiter les pesticides. En d’autres termes, utiliser les capacités du sol, des plantes et des microorganismes, en association, pour traiter les produits phytosanitaires. D’où le concept de phytoremédiation.
Caroline Grégoire : Le but est d’utiliser la biodégradation (dégradation des produits phytosanitaires par l’association plante-bactérie). Plusieurs travaux ont montré que ce sont principalement les bactéries du sol, présentes autour de la rhizosphère des plantes, qui vont accélérer ce processus de biodégradation. D’où, ensuite, des actions de biostimulation pour augmenter les populations bactériennes et des actions de bioaugmentation, pour apporter de nouvelles souches bactériennes, suivant leur performance.
La Dépêche - Où en sont les travaux à l’heure actuelle ?
D.B : Le projet a commencé en octobre dernier, les travaux en cours sont donc récents. Plusieurs sites ont déjà été construits auparavant dans le cadre d’opérations de recherche, dont on continue l’exploitation, et d’autres sites sont en construction à l’heure actuelle pour le projet, avec plusieurs niveaux d’expérimentation. Les équipements sont répartis dans plusieurs régions de France ainsi qu’à l’étranger, deux en Allemagne, en Touraine, en Alsace, en Italie. Ce sont à chaque fois des procédés un peu différents, dans différents milieux de pratiques culturales, afin de voir le caractère transposable de l’idée.
C.G : Nous travaillons sur deux plans. D’une part, sur du matériel végétal déjà en place car, de façon naturelle, on trouve une colonisation des zones humides par certains types de végétation. D’autre part, nous allons essayer de trouver de nouvelles plantes qui pourront, bien sûr, s’adapter au milieu qu’on leur propose, et qui pourraient fournir une bonne symbiose avec les bactéries et de bons processus d’absorption. Nous travaillons par ailleurs sur du topinambour, ce tubercule ayant déjà fait l’objet d’études, notamment par des chercheurs de la faculté de biologie moléculaire de Strasbourg.
La Dépêche - La mise en oeuvre de ces prototypes semble nécessiter une approche pluridisciplinaire. Quels sont les acteurs réellement impliqués ?
D.B : L’approche est en effet totalement pluri-disciplinaire, puisque des hydroliciens, des hydrologues, des microbiologistes, des systémistes interviennent, ainsi que des professionnels ; c’est à dire qu’il y a la notion d’acceptabilité sociale qui est également prise en compte. Cette méthodologie commune appropriée permettra d’évaluer les performances globales de ces sites, à la fois au niveau de la réduction des transferts de pesticides qu’au niveau de l’acceptabilité de ces dispositifs auprès des acteurs impliqués.
La Dépêche - Y a-t-il des applications concrètes en agriculture et notamment dans le domaine des grandes cultures ?
C.G : Nous avons en effet un exemple d’application concrète dans l’Indre-et-Loire, avec un agriculteur qui travaille sur des parcelles drainées. L’enjeu est en effet de faire d’une pollution diffuse une pollution ponctuelle, qui sera plus facile à traiter. Dans le cas des grandes cultures, le but est de stocker les eaux de ruissellement (collectées par des drains) dans un fossé. Le contenu de ces fossés sera ensuite déversé en deux portions, une zone forestière et une zone humide enherbée naturellement. Nous pourrons ainsi évaluer quel type de milieu sera le plus performant.
En conclusion, il faut au moins pouvoir collecter les flux de ruissellement et avoir une aire de stockage, de façon à traiter les pesticides. Si cette solution n’est vraiment pas envisageable, on peut peut-être se tourner vers le concept de « bio-bed », développé par les Italiens, à l’échelle de la parcelle d’une exploitation. Concept avec des possibilités de re-circulation sur la zone et pourquoi pas avec des mécanismes de pompe qui fonctionneraient grâce à l’énergie solaire... Enfin, rappelons bien sûr, que tous ces chantiers ne sont qu’un maillon supplémentaire dans la chaîne de la dépollution. Les bonnes pratiques agricoles se doivent d’être respectées !
La Dépêche - Ces procédés sont-ils coûteux ?
C.G : Nous cherchons bien évidemment des dispositifs « low cost », qui concernent à la fois des constructions à faibles coûts mais aussi des entretiens à faibles coûts. Nous nous appuierons donc en priorité sur la végétation déjà en place et sur les processus de biostimulation.
La Dépêche - Quel est votre plan de communication pour démontrer l’intérêt de ce programme d’actions ?
D.B et C.G : Dans les programmes Life, la dissémination de la connaissance est fondamentale. C’est en ce sens qu’il s’agit d’un projet de démonstration. Premièrement, nous publierons et diffuserons un guide de conception et de gestion avec deux ouvrages : une partie technique et une partie socio-juridique (dans le cadre de l’acceptabilité sociale).
Nous avons également l’intention de monter des cursus de formation, « de la réunion en bout de champ » jusqu’à la dernière des publications. L’information devra passer par les élus, les agriculteurs via les techniciens agricoles, les firmes, les enseignants en lycées agricoles, les formations d’ingénieurs et les formations continues.
Enfin, comme tous les programmes Life, la connaissance produite sera délivrée sur un site Web largement ouvert vers le public. Certains documents seront disponibles en quatre langues (Français, Anglais, Allemand et Italien).
La Dépêche - ArtWET est un projet d’envergure, et la fin des travaux est fixée au 30 septembre 2009. Quel est le montant des financements alloués ?
D.B : Pour ce genre de projet, on intègre le temps passé par le personnel, que ce soit pour les sociétés privées ou pour les sociétés publiques, sachant que pour les sociétés publiques, il faut avoir démontré que le personnel ne travaillerait pas sur ce projet s’il n’y avait pas l’aide LIFE. Une partie du financement complémentaire est budgétisée sous la forme du temps passé par les intervenants (chercheurs, ingénieurs, etc.).
C.G : 50 % des financements proviennent de l’Union européenne et en parallèle, chacun des partenaires impliqués demande un certain montant à la communauté européenne, et doit par lui-même apporter les 50 % restants qui le concernent.
Au niveau français, les partenaires sont le Conseil général du Bas-Rhin, le Conseil général Indre-et-Loire, la région Alsace, l’Agence de l’eau Loire Bretagne, la Chambre d’agriculture Indre-et-Loire et BASF. La diversité des principaux partenaires démontre bien encore le caractère appliqué du projet. Les agences de l’eau et les conseils régionaux ont compris l’intérêt qu’ils pouvaient avoir à faire une expérimentation en « grandeur nature », impliquant les agriculteurs notamment. Une firme comme BASF a compris que son intérêt était de participer à l’acquisition de la connaissance à propos de la dépollution des eaux...