Oreille

Nos voisins européens commentent toujours avec sarcasmes ces manifestations et grèves qui, comme un prurit, de façon récurrente s’emparent de notre pays. Ainsi, les britanniques se réjouissent-ils ouvertement de la grève programmée par les syndicats pour le 10 mars, jour de la visite de la commission d’évaluation du comité international olympique (CIO) à Paris. Ce qui—cela est une évidence— ne peut que désavantager notre capitale dans la course à l’obtention des J.O. 2012 et favoriser les autres villes candidates, dont Londres. Cette grève nationale «dont il est impossible de changer la date» —dixit un leader syndicaliste— risque, si elle est maintenue, de paralyser Paris en mettant des milliers de personnes dans les rues, soit en manifs soit faute de transports.«Elles prouveront que les travailleurs français sont des sportifs» a ironisé un quotidien british trop heureux de l’aubaine. Mais que voulez-vous la fameuse «exception française» est incontournable ! Comme d’ailleurs les démêlés de nos ministres avec les mètres carrés de leurs logements de fonction… Jean-Pierre Raffarin très rapidement, Jacques Chirac avec un petit décalage par rapport à son Premier ministre, ont entendu la colère sourde qui montait de tout le pays (opposition comme majorité) à propos du désormais célèbrissime duplex d’Hervé Gaymard. Et de prendre de concert la décision qu’attendait le pays. Un appart, qui va désormais dans sa carrière politique le suivre comme la chaise à porteurs d’Edouard Balladur ou encore les fameux diamants de Giscard. Prompt à réagir sur l’affaire Gaymard, en revanche sur d’autres dossiers et devant la grogne, qui se traduit présentement sur le pavé par toutes sortes de manifs, le Premier ministre n’a pas craint de déclarer : «je ne suis pas sourd, mais ce n’est pas parce qu’on écoute qu’on doit s’aligner». Et d’ajouter au sujet de l’explosif débat sur la réforme de l’école et de l’hostilité des enseignants : « ils ont une negative attitude. Ils n’ont pas de positive proposition». Cette «positive attitude» chantée par Lorie plaît manifestement au Premier ministre, puisqu’il y avait déjà fait référence lors de son passage chez Michel Drucker, l’indéboulonnable animateur de «Vivement Dimanche». Le Premier ministre s’est ainsi donné des verges pour se faire fouetter, car de toutes parts ont immédiatement fusé des quolibets sur sa «sourdingue attitude». Et dans les médias de fleurir un véritable concours d’aphorismes dans le genre «il vaut mieux entendre cela que d’être sourd» ou «il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre» avec des titres comme «dialogue de sourds» ou encore «J-P. Raffarin fait la sourde oreille». On l’imagine que Jacques Chirac, courroucé, a demandé à certains de ses ministres de mettre désormais une sérieuse sourdine à leur ostentatoire train de vie. Quant à Jean-Pierre Raffarin, il a reçu de son côté une volée de bois vert… des puristes de la langue. Ainsi l’un d’entre eux s’indigne-t-il de l’emploi par le Premier ministre de la «positive et négative attitude, qui est une inversion de l’ordre syntaxique». Les défenseurs de la «francophone attitude» rappellent au passage que le Premier ministre est aussi le Président du Conseil supérieur de la langue française et doit être de ce fait, l’un des premiers défenseurs de la francophonie. Face au recul du français dans les institutions internationales et européennes, ses défenseurs estiment que M. Raffarin aurait pu faire «l’économie de ce calque grossier de l’anglais, au lieu de s’en gargariser». La question est de savoir si ces diatribes tomberont ou non dans l’oreille d’un sourd ?