Matignon
On ne tire pas sur une ambulance (quoique dans certains pays, comme on le voit chaque jour à la télé, on ne s’en prive pas…). Mais comment résister à la dernière bourde de notre toujours Premier ministre Dominique Galouzeau de Villepin ? Ainsi, nous apprennent les gazettes, à l’issue d’un déjeuner avec deux de ses ministres —à savoir Jean-Louis Borloo et Renaud Donnedieu de Vabres (dit RDDB)— dans un restaurant huppé du sixième arrondissement de la capitale, piqué par on ne sait quel chikungunya clandestin venu de la Réunion, il s’en est pris vertement à une escouade de photographes, qui faisaient le pied de grue dans la cour de Matignon. Ces derniers attendaient sagement le retour du locataire des lieux, comme ils ont pris l’habitude de le faire depuis le début de l’invraisemblable feuilleton Clearstream, guettant peut être dans le ciel de la rue de Varenne, on ne sait quel vol de corbeaux. Notre flamboyant Premier ministre les aurait apostrophés ainsi : «Vous auriez dû venir avec nous, on a fait une belle balade ! Vous êtes là comme des fonctionnaires, comme des moules accrochées au rocher !» Précisons que les trois compères ne s’étaient pas rendus dans un restaurant de cette chaîne belge spécialisée moules frites ou moules marinières, une digestion difficile pouvant expliquer cette accès de mauvaise humeur. On imagine que la réaction des syndicats de fonctionnaires ne s’est pas fait attendre avec une mitraille de communiqués indignés, dénonçant les termes «méprisants» et «déplacés» du Premier ministre. Termes, reconnaissons-le, qu’un certain nombre de citoyens partagent parfois, lorsqu’ils doivent se frotter aux mille gaietés de l’administration et à ses guichets. Des humoristes de renom n’en font-ils pas leur inépuisable source d’inspiration ? Devant le tollé grandissant, un porte-parole du Premier ministre quelques heures après «l’incident» tentait d’expliquer sa maladresse en la qualifiant de «boutade affectueuse, et ce d’autant que le Premier ministre est lui-même issu de la fonction publique et qu’il en est fier» (sic). Donc, qu’il serait lui-même une moule accrochée à son rocher ? Délectation cette fois-ci des caricaturistes, qui s’en sont donnés à cœur joie ! En fait, l’explication du coup de sang de notre Premier ministre tiendrait —selon un vrai-faux corbeau très au fait des mœurs des princes qui nous gouvernent— à un message mal passé aux photographes de presse. Le Premier ministre voulait, par ce déjeuner dûment annoncé, faire taire les rumeurs de brouille avec les deux ministres précités. La promenade à pied dans les rues de la capitale entre le restaurant et Matignon étant censée donner une touche «people» au tableau. Gavés à satiété des épisodes Clear-stream, les photographes pour une fois ne se sont pas prêtés au jeu de la communication orchestrée. Vrai ? Faux ? On ne sait pas, tant le ciel parisien est obscurci en ce moment par tous ces croassements de corbeaux. L’occasion de rappeler —à propos de ce drôle d’oiseau dont on parle tant— que la délation, selon les historiens de la France occupée, aurait été, au cours des années 39-45, un véritable sport national (fait corroboré par les archives). Qui, au demeurant, a encore de beaux restes, si l’on en croit les témoignages des juges d’instruction et autres inspecteurs des impôts. Quant à l’actualité, on imagine la fable que La Fontaine en aurait tirée ! Comme s’y est essayé non sans humour, ce chansonnier de Saint-Denis de la Réunion en ce savoureux créole : «Ici, nou la rienk papang, nou la poin korbo.» Traduction: «Ici nous avons des oiseaux de proie, mais pas de corbeaux.»