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Marché égyptien : imposer les blés meuniers français est un combat de chaque instant

Quelle place pour le blé meunier français sur un marché devenu ultra concurrentiel ? C’est la question que se sont posée les opérateurs de la filière égyptienne avec leurs homologues français.

RÉVEIL. Il est environ 4h30 du matin, et le muezzin de la Mosquée la plus proche de l’Hôtel Hilton du Caire lance le Fajr, la première prière de la journée pour les Musulmans de la tentaculaire capitale égyptienne. C’est une longue journée qui commence pour les Cairotes et aussi l’équipe de France Export Céréales ,animée par Laurent Dornon, lequel fut amicalement designé comme la dynamo du blé francais.

A force de persuasion, de travail, et surtout d’écoute auprès des professionnels de la meunerie et de la boulangerie égyptiennes, il réussi le tour de force d’organiser chaque année les “Journées franco-égyptiennes des céréales”, pour en faire aujourd’hui une manifestation incontournable, et intéresser d’autres opérateurs de pays voisins, tels que la Libye ou le Liban.

C’est en présence d’une délégation française importante, dirigée par Jean-Jacques Vorimore, du ministre égyptien de l’Agriculture, de l’ambassadeur de France au Caire Philippe Coste, et de nombreuses personnalités de la filière locale, que se sont donc déroulées ces 11 èmes journées franco-égyptiennes des céréales pour le Proche et le Moyen-Orient, les 12 et 13 mars derniers.

France Export Céréales a accueilli plus de 300 professionnels de la filière meunière et boulangère, venus participer aux débats techniques et économiques propres à ce genre de manifestation.

Des Égyptiens bien sûr, mais aussi des opérateurs libanais, libyens, tous intéressés par le blé français et, en tous les cas, venus glaner un maximum d’informations sur le potentiel de l’origine française. L’occasion pour France Export Céréales de se positionner comme un partenaire actif et performant pour la filière meunière de cette zone si concurrentielle du marché mondial des blés. Car si l’Égypte est un marché colossal, le Proche et le Moyen-Orient représentent un secteur stratégique particulièrement sensible.

Toute cette action s’est concrétisée récemment par des années fastes positionnant l’Égypte comme l’un de nos tous premiers clients. 2004 fut une année record. Plus de 2 millions de tonnes de blé français furent exportés vers Le Caire. La moyenne annuelle de nos ventes a été de plus de 1,4 millions de tonnes sur les cinq dernières campagnes et cela malgré des parités euro/dollar souvent défavorables, créant des écarts de prix de 10 $/tonne ! Si le marché intérieur évolue et si les blés russes prennent une part de marché à l’origine française, il ne faut pas relâcher la pression mais surtout poursuivre les efforts de partenariat avec la filière égyptienne. Réputés pour leur qualité, nos blés sont appréciés pour leurs valeurs meunières et boulangères. « Les farines issues des blés français permettent une amélioration de l’aspect du pain, des volumes et des goûts plus briochés » indique Laurent Dornon, qui ajoute « les rendements en farine sont améliorés de 2% au moins et conduisent à des économies significatives car les atouts des blés français sont aussi la propreté et son homogénéité ».

Bien que France Export Céréales marque une présence française assez récente, et que l’US Wheat Associates, son équivalent américain, est installé sur la terre d’Égypte depuis bien longtemps, le blé français s’installe à force de pugnacité, tant bien que mal, comme un allié précieux pour la meunerie égyptienne. Si le prix français reste suffisamment compétitif, nos ventes y ont des réelles chances.

L’Égypte, une économie sous perfusion

La représentation que nous nous faisons de l’Égypte veut que ce pays soit la place centrale du monde arabe. De par son histoire et sa culture, Le Caire est la plus grande métropole d’Afrique et du monde arabe, avec plus de 22 millions d’habitants.

Loin de son glorieux passé, l’Égypte fait toujours partie des pays en voie de développement avec une démographie galopante, au rythme de 1,4% par an ! Le pays comptera bientôt 80 millions d’habitants. D’un point de vue économique, le pays connaît sans conteste depuis les années 1990 des évolutions très rapides.

Depuis l’an 2000, en l’absence de réformes structurelles nécessaires et avec un contexte international difficile (attentats du 11 septembre 2001, guerre en Irak), la croissance égyptienne a été considérablement freinée. La décision du gouvernement, en janvier 2003, de ne plus lier la livre égyptienne au dollar, avait entraîné la chute de la monnaie nationale et l’augmentation de l’inflation. La situation monétaire serait maintenant stabilisée.

De son côté, l’agriculture occupe 29 % de la population active et contribue pour 17 % au produit national brut du pays. Les principales cultures sont le blé, avec 30 % de la surface cultivée, le maïs, le riz, la canne à sucre. L’Égypte serait désormais quasiment autosuffisante en fruits et légumes.

L’élevage enregistre lui aussi une augmentation, notamment celle de volailles. Les élevages de bovins avec 7,3 millions de têtes, comme ceux des chèvres et des moutons (6 millions de têtes) sont le plus souvent de petites tailles et peu rentables. La faible productivité, l’importance des besoins alimentaires du pays et le manque de terres cultivables expliquent le déficit chronique de la balance agricole et la dépendance croissante de l’Egypte vis-à-vis des importations. De grands projets d’irrigation sont en cours, notamment du côté du Lac Nasser, dans le sud du pays. Mais ils sont souvent contrariés par des mises en œuvres hasardeuses.

L’Union européenne, principal partenaire commercial de l’Egypte, enregistre 36 % des importations et 34 % des exportations du pays, devant les États-Unis. Au sein de l’UE, c’est l’Italie qui domine les échanges. L’entrée en vigueur, le 1 er janvier 2004, du volet commercial de l’accord d’association entre l’Union et la République égyptienne laisse espérer un renforcement des échanges entre les deux signataires. De son côté, la France est seulement le quatrième partenaire de l’Égypte, avec des échanges commerciaux équivalant à 1 milliard d’euros. Ils concernent les domaines de l’aéronautique, des céréales bien sûr, des télécommunications, de l’informatique ou des biens de consommations, et des produits pharmaceutiques.

L’économie égyptienne possède de nombreux atouts (tourisme, réserves énergétiques, faiblesse du coût de la main d’œuvre). Son rôle de stabilisateur et de médiateur régional lui permet de compter sur le soutien politique et financier des pays occidentaux et d’autres investisseurs.

L’expansion de la meunerie égyptienne

Les grands exportateurs français de farine le savent mieux que quiconque. La farine de qualité n’est plus importée en Égypte, vu l’explosion des capacités d’écrasement de la meunerie locale. La France, exportateur mondial important il y a une dizaine d’années, a vu ses ventes s’écrouler sur ses principaux clients du bassin méditerranéen (Égypte et Maghreb notamment).

L’Égypte consomme environ 610.000 t de blé chaque mois pour produire la farine “baladi” à 82 % d’extraction, soit l’équivalent de 9 Mt de blé chaque année. L’État de son côté subventionne cette farine, dont le coût de production est supérieur à 1.500 livres égyptiennes/t. Le pain de 20 grammes est vendu à 5 piastres… alors que son prix de revient en serait de 18. L’État prend donc à sa charge la différence. Autant d’argent qui ne peut pas être investi ailleurs. On comprend mieux pourquoi ce dernier cherche à se désengager de l’achat des blés. Par ailleurs, l’État subventionne partiellement la production de farine de qualité 72 %, utilisant environ 20.000 t de blé chaque mois pour la vendre 900 LE/t. Il dépense ainsi 700 LE pour chaque tonne de farine utilisée pour la fabrication des pains “shami” et de type européen levée, le “fino”.

Réorganisation du marché égyptien

Il existe en Egypte deux marchés : celui de la farine subventionnée et le marché “privé” ou “libre”. La réorganisation du marché intérieur se poursuit, avec maintenant un désengagement accéléré de l’Etat et une montée en puissance des acteurs privés, qui seront nos clients de demain.

C’est à partir de 1993 que l’activité du secteur privé dans la production de farine de qualité 72 % a réellement commencé. Les investissements dans les unités de production ont été énormes et l’activité du secteur intense. C’est l’équivalent de 2 Mt de blé par an qui sont disponibles pour la production de farine de qualité 72%. Les capacités d’écrasement actuelles par les moulins publics sont d’environ 700.000 tonnes de blé par mois.

Mais l’accroissement des capacités de production dans le secteur étatique et privé a d’abord entraîné l’apparition d’une situation inédite par la concurrence entre les moulins publics. Puis, les capacités des moulins privés ont atteint 11.500 tonnes de blé/jour. Un facteur déstabilisant, qui a eu pour effet pervers une surcapacité de production dépassant la consommation.

Le revers a atteint son apogée en septembre 2003, lors de la hausse mondiale des prix du blé, la multiplication par trois des prix des frets mondiaux et l’escalade du dollar face à la livre égyptienne, engendrant le fort mécontentement de la population.

C’est pour cette raison que l’État est intervenu pour subventionner le pain de type européen, fabriqué avec la farine type 72 au prix de 900 LE/tonne, tandis que le coût effectif atteignait alors 1.700 livres. Cette situation a occasionné un séisme, provoquant l’arrêt d’activité de certains moulins, alors que d’autres ne tournaient qu’à 25 ou 40 % de leurs capacités. De surcroît, une partie de la farine “baladi” serait alors passée au marché noir, suite au différentiel de prix par rapport à la farine supérieure, affectant la productivité des moulins.

Un marché restructuré et en pleine expansion

Après cet épisode douloureux pour toute la meunerie égyptienne, le secteur s’est restructuré. La demande intérieure ne cesse de progresser, même si la situation économique du pays est loin d’être glorieuse. Outre les 2,8 Mt de blé collectés en Égypte, le Gasc, organisme public d’achat, importe plus de 5 Mt de blé chaque année. Au total, plus de 8 Mt de blé sont écrasés dans la production de farine subventionnée. Sans oublier bien sûr, les 2 Mt de blé qui seraient employées par le secteur privé pour la production de farine du marché libre. Chaque année, ces quantités croissent et dépassent même la croissance démographique. Après avoir largement diversifié ses approvisionnements, l’Égypte libéralise maintenant ses achats. Ils ne sont plus limités aux Etats-Unis, à l’Australie ou à la France.

Si en 2005 et 2006, la Russie (1,95 Mt), les Etats-Unis (1,81 Mt), l’Australie (1,45 Mt) et la France (1,19 Mt) ont conquis l’essentiel du marché, d’autres, comme l’Argentine (0.68 Mt), le Canada (0,56 Mt), la Syrie (0,49 Mt) ou encore l’Ukraine (0,30 Mt), ont eu pour rôle d’augmenter la concurrence.

Le Caire n’hésite pas à jouer la carte de l’opportunisme. On trouve ainsi dans les moulins égyptiens beaucoup d’autres origines : roumaines, bulgares, allemandes, tchèques, turcs ou maintenant kazakhes. Les pays de la mer Caspienne et ceux de la mer Noire occupent depuis 2004 la pôle position. En dépit de fortes critiques sur ces qualités, leurs prix sont le meilleur argument face à la progression des cours des blés américains, australiens et français. C’est contre les faiblesses des origines concurrentes que les blés français ont leurs chances en Egypte et dans la région. La bataille est rude.

L’Etat veut se désengager tout en sécurisant ses approvisionnements

Même si le secteur privé de la meunerie prend une place importante, dans le but d’économiser les deniers publics, l’Etat se positionne sur l’approvisionnement des farines “baladi”. Ainsi, le ministère de la Solidarité Sociale a lancé un appel d’offres entre les moulins (qu’ils soient publics ou prives) pour la livraison de farine 82%. Les moulins se chargeraient alors de se couvrir en blé à partir des disponibilités locales, productions égyptiennes ou importées, sans plus dépendre du Gasc.

Cette procédure est d’ores et déjà appliquée dans trois gouvernorats. L’expérience a commencé à Alexandrie, Ismaïlia et Menia, et devrait s’étendre à trois autres gouvernorats à partir de juin 2007. D’ici 2009, tous les gouvernorats devraient satisfaire leurs besoins en farine par le moyen d’appels d’offres publics.

Mais comme l’a révélé M. Abou Zied, vice-président de l’Association des meuniers égyptiens, tout cela ne se fait pas sans difficultés. En effet, quelques questions restent en suspens. Cette procédure implique que le secteur privé importe, en passant par des sociétés du secteur privé… « Avec une valeur excédant 6 milliards de livres égyptiennes par an, ces sociétés seront-elles capables de trouver le financement nécessaire ou d’obtenir les blés de qualité requis tout au long de la campagne ? Pouvons-nous garantir qu’elles ne constituent pas un monopole ? » lançait Abou Zied.

Quel avenir pour les blé français ?

Dans ce nouveau panorama de la meunerie et boulangerie égyptienne, comment le blé français peut-il se valoriser et tirer son épingle du jeu ? Il est clair qu’à la vision des débats de ces 11 èmes journées franco-égyptiennes des céréales, les blés français ont une belle carte à jouer. Nous n’avons jamais été les seuls au monde et nous ne le serons jamais. Imposer notre expérience, notre culture de la farine de qualité pour des pains de qualité, passe par un autre état d’esprit que celui de n’être que des « vendeurs de blés ». France Export Céréales l’a bien compris.

Jean-Jacques Vorimore, président de FEC, souhaite d’ailleurs que de réels partenariats soient établis entre les acteurs de la meunerie et de la boulangerie franco-égyptiennes. Il veut maintenir les connexions technologiques et la formation professionnelle, comme c’est le cas avec l’École de Boulangerie du Caire. Il reconnaît aussi que des partenariats commerciaux solides soutiendraient nos chances pour le futur.

Si l’euro fort dessert notre potentiel de vente, les valeurs technologiques des blés français représentent un réel potentiel de valeurs meunière et boulangère. Comme l’indique Khaled A. Wahad, enseignant à l’École de boulangerie du Caire, les blés français ont évolué. Grâce aux efforts de toute la filière française, la qualité des blés panifiables supérieurs a progressé. « Les blés français sont passés de blés soft à du médium hard » précise-t-il. Un plus indéniable pour la meunerie égyptienne, qui recherche un indice de dureté de 67, comme l’a révélé Catherine Deschamps, chef de projet Arvalis-Institut du Végétal. De plus, 85% des blés français sont supérieurs à 220 de Hagberg avec un W moyen de 213 et des protéines de bonne qualité (24% de gluten humide et 89 % de gluten index), pour les moyennes des trois dernière années.

Toute la délégation française présente au Caire a tiré dans le même sens. Les caractéristiques du blé français correspondent à une attente des meuniers égyptiens, grâce à une couleur de farine plus claire, à la qualité de l’endosperme donnant une meilleure extraction ou encore l’homogénéité des lots. « Vous ne ferez pas de bons mélanges si vous n’avez pas des produits de base homogènes » argumentait Saad Dandane, chef meunier. « Nous ne disons pas que nos blés sont les meilleurs du monde, nous soutenons simplement qu’ils sont utiles pour beaucoup d’utilisations et qu’ils sont riches en farine » précisa Laurent Dornon.

Du côté des utilisateurs égyptiens, on reconnaît en effet les qualités très intéressantes des blés français. Une bonne capacité à lier et à retenir l’eau, des pâtes souples et résistantes, une qualité stable, une bonne absorption qui donne une finesse des produits, de la souplesse pour des pains type “fino” proches de la baguette et les pâtisseries orientales.

Bref, si les marchés sont difficiles, ils ne sont pas impossibles surtout lorsqu’ils sont soutenus par l’action de France Export Céréales, au Caire et dans les autres pays où travaille l’association. On comprend aussi que l’adaptation de notre production a permis de maintenir l’attrait des productions céréalières françaises dans des pays structurellement déficitaires.

« Par rapport aux autres blés, l’origine française permet une extraction plus facile et maximale. La qualité de son gluten et la couleur de la farine produite font partie des caractéristiques importantes dans la fabrication du pain égyptien »a tenu à préciser M. Abou Zied, également vice-président du premier groupe meunier du pays.

Reste que les utilisateurs du Proche et Moyen-Orient sont ultra sollicités par les exportateurs mondiaux. Et comme l’indiquait un meunier syrien, « tout le monde dit que son blé est le meilleur, c’est une situation délicate pour nous…»

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