Marché du carbone : quelle place pour l’agriculture française ?
La Saf-agriculteurs de France a récemment présenté la première étude française en la matière, en partenariat avec la Caisse des dépôts et l’Ademe.
ASSOCIATION DE LOI 1901 reconnue d’utilité publique, la Saf-agriculteurs de France présente en partenariat avec la Caisse des Dépôts et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) la première étude française réalisée sur “La place de l’agriculture dans les marchés du carbone”. Ce travail met en évidence un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) par l’agriculture française de l’ordre de 15 Mt. Pour atteindre cet objectif, au-delà des aspects techniques, plusieurs voies sont possibles. L’étude permet d’explorer celles qui allient le volontarisme et la responsabilité des acteurs privés à la rentabilité économique. En effet, les marchés du carbone constituent un levier intéressant à travers des démarches collectives pour des opérateurs agricoles. Sur la base de ces travaux, la Saf–agriculteurs de France, par la voix de son président Hervé Morize, insiste sur l’intérêt de mettre en place rapidement à titre expérimental des projets collectifs qui pourront trouver une valorisation financière sur le marché du carbone. «Il s’agit d’une formidable opportunité pour renforcer le rôle et la place des agriculteurs dans la société vis-à-vis de l’environnement», a-t-il déclaré. Un message bien accueilli par les pouvoirs publics qui se mobilisent autour de ces projets.
Les marchés du carbone
La valorisation des réductions d’émissions est déjà possible grâce à des marchés du carbone, tant au niveau international via le protocole de Kyoto, qu’au niveau européen par le marché des quotas d’émissions de CO 2. Depuis le début de l’année 2005 s’est mis en place un marché européen de quotas d’émission de CO 2, qui pénalise les acteurs qui accroissent leurs émissions et rémunère ceux qui les réduisent. Pour l’instant, cette valorisation financière des réductions d’émissions ne concerne que certains acteurs économiques, à savoir les industries fortement émettrices de CO 2 : installations de combustion de plus de 20 MW, énergéticiens, sidérurgie, et industrie papetière. Au total, seules 30 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sont touchées par ce mécanisme financier. Le secteur agricole n’est pas directement concerné.
Pour les secteurs ou les activités ne s’inscrivant pas dans les mécanismes décrits ci-dessus, une autre voie de valorisation des réductions des émissions de gaz à effet de serre est possible à travers la mise en place de «projets domestiques». Le dispositif opérationnel comporterait trois phases : la mise en place d’un projet réduisant les émissions et une évaluation des émissions évitées par rapport à une situation de référence, sans projet ; la vérification que ce projet répond à des critères de développement durable ; une rémunération financière oc-troyée au porteur de projet en fonction de la quantité d’émissions évitées. Cette rémunération pourrait prendre différentes formes : l’attribution de «crédits carbone», un paiement direct ou encore un système de prêts bonifiés.
L’agriculture française peut tout à fait développer des projets domestiques à l’instar de ce qui se pratique déjà dans d’autres régions du monde, notamment en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Canada ou aux Etats-Unis.
Un potentiel et des projets
L’agriculture présente un fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, évalué à plus d’une quinzaine de millions de tonnes de CO 2 évitées par an. Trois familles de projets réducteurs d’émissions ont été identifiées en fonction de leur mise en œuvre dans le temps. A court terme, des projets reposant sur des technologies éprouvées et relativement simples peuvent être mis en oeuvre. Parmi ceux-ci figurent les projets visant à utiliser la biomasse (paille, bois, cultures dédiées) à des fins énergétiques, des projets de méthanisation des déjections ou encore de modification de pratiques agricoles (introduction de trèfle dans des prairies...). Ces projets sont d’ailleurs déjà mis en œuvre avec succès, à l’étranger, dans le cadre des mécanismes de projet prévus par le protocole de Kyoto. A moyen terme, des projets prometteurs reposant sur des technologies ou des méthodes de mesure des émissions évitées pourraient être réalisés (alimentation des bovins, fertilisation azotée…). Cependant, ces projets demandent des expertises scientifiques ou techniques complémentaires. Après 2012, la séquestration de CO 2 par des activités agricoles ou forestières présente un potentiel important sur le long terme. Ces projets ne peuvent pas être valorisés au titre des projets domestiques dans le cadre actuel, mais pourraient l’être après 2012.
Pour s’inscrire dans les mécanismes des projets domestiques, les projets agricoles devront avoir un scénario de référence fiable, une possibilité de contrôle, être compatibles avec le mode de calcul de l’inventaire national, additionnel par rapport aux mesures en vigueur, et cohérents avec des critères de développement durable. Par ailleurs, les projets ne devront pas engendrer de transferts de pollution d’émission de gaz à effet de serre non comptabilisés en amont ou en aval du projet. Les projets agricoles non compatibles aux projets domestiques seront à développer dans le cadre de politiques publiques adaptées. Des porteurs de projets potentiels se sont manifestés. Ils ont déjà initié des études sur les conditions de faisabilité technique et de rentabilité économique de ces projets. Il serait possible et pertinent de lancer des projets pilotes dans un délai très court, dès 2006.
Pour la bonne mise en œuvre de ce système, ces projets devront être promus et développés par des porteurs de projets, qui agiront comme des points de regroupement auprès d’un nombre suffisant d’agriculteurs. Les projets portés par l’ensemble d’une filière sont dans ce contexte particulièrement visés et prometteurs. Les porteurs de projets pourraient être, suivant les cas, des coopératives agricoles, des associations d’agriculteurs, ou encore des industriels.