L'Union européenne ouvre les bras à l'Ukraine et à son export
À l'heure où la Russie durcit le ton en occupant la Crimée, l'UE vient au secours de l'Ukraine par l'application de traités économiques avantageux. En attendant, une prime de la peur est venue booster les prix des céréales.

Chaque jour qui passe éloigne un peu plus la Crimée de l'Ukraine, et par voie de conséquence, rapproche cette dernière de l'UE. Dans ce contexte, la Commission européenne a proposé le 5 mars, à la veille d'un sommet européen extraordinaire sur l'Ukraine, un plan de soutien, prévoyant notamment l'application anticipée et unilatérale de la part de l'UE de l'accord de libre-échange, que le président déchu Viktor Ianoukovitch avait renoncé à signer le 29 novembre. Cette disposition, qui serait prise en attendant la signature de l'accord, ne pourra être mise en œuvre rapidement que si le Conseil des Vingt-huit et le Parlement européen acceptent de l'approuver selon une procédure accélérée. Face à la demande de rattachement à la Russie du Parlement de Crimée, les autorités ukrainiennes ont annoncé le 6 mars qu'elles étaient prêtes à signer « dès que possible » l'accord d'association avec l'UE.
Des quotas d'importation pour le blé, le maïs, l'orge et la farineSelon la Commission européenne, si elle acceptait sa proposition, l'agri culture ukrainienne bénéficierait immédiatement de réductions de droits de douane de l'UE, d'un montant de quelque 400 M€. « L'accord de libre-échange profond et complet » libéralise plus de 82,3 % (en valeur) des importations communautaires en provenance de l'Ukraine. Pour des produits agricoles jugés sensibles, des quotas d'importation seront ouverts graduellement, pour atteindre par exemple, au bout de cinq ans, 1 Mt de blé (y compris farines et agglomérés), 350.000 t d'orge et 650.000 t de maïs, ou encore, dès la première année, 20.000 t de sucre. Des éléments qui pourraient faire grincer des dents certains exportateurs français, de blé tendre et de maïs notamment, en concurrence directe avec l'Ukraine. Pour le blé, les droits d'importation sont actuellement de 12 €/t. Leur disparition pourrait pénaliser nos productions sous certaines conditions. En effet, en cas de prix bas sur leur marché intérieur, les producteurs pourraient être tentés de profiter du marché européen s'il s'avérait plus rémunérateur, concurrençant ainsi directement la France, qui exporte 15,3 Mt sur la présente campagne vers les pays membres de l'UE (FranceAgriMer). « L'Espagne ou l'Italie par exemple, ne se poseront pas de question et profiteront de toutes les opportunités pour s'approvisionner », estimait un opérateur du marché céréalier français. Sans oublier le besoin urgent pour l'Ukraine de faire rentrer des devises étrangères dans le pays. Développer ses exportations de céréales serait un moyen efficace pour elle d'y parvenir. « À ce stade de la campagne, ce soutien apparaît surtout comme un geste symbolique, et il est peu probable qu'on voie les céréales ukrainiennes débouler davantage chez nous », modère François Luguenot, responsable Analyse des marchés chez InVivo. Concernant le maïs, l'origine ukrainienne n'a pas attendu cet éventuel acord pour s'exporter massivement sur le territoire de l'UE.
L'Ukraine a enregistré en 2013 un excédent de 1,6 milliard € dans ses échanges agricoles avec l'UE. Ses exportations ont atteint 3,818 milliards € dont 39 % de céréales, 10 % de soja, 8 % de tourteaux d'oléagineux et 19 % d'autres produits d'oléagineux. Les exportations agricoles de l'UE vers l'Ukraine se sont élevées l'année dernière à 2,194 Md €, dont 6 % de préparations pour l'alimentation animale, 9 % de céréales autres que le blé, 6 % de produits d'oléagineux, 4 % de spiritueux et liqueurs, 65 % d'autres produits (animaux vivants, viande porcine, ruits, fromages, etc.)
La fermeté observée en céréales est surtout d'ordre psychologique, sans véritables éléments fondamentaux nouveaux. La baisse de la hryvnia a, certes, provoqué quelques situations de rétention de marchandises de la part des producteurs, « mais cela n'a pas, pour le moment, perturbé les exportations », indique François Luguenot. Le blocus de la Crimée par la flotte russe n'a pas non plus eu de conséquences significatives sur les marchés, cette dernière ne possédant pas de grand port céréalier, surtout en cette saison, les expéditions depuis cette région ne se faisant habituellement qu'en début de campagne. Les volumes restant s'exportent au départ d'autres ports, comme Odessa. Actuellement, « il reste entre 1 et 3 Mt de blés ukrainiens à exporter, et environ 5 à 6 Mt de maïs. Si le conflit venait à dégénérer, le marché mondial peut se passer de de son blé, puisque l'UE, le Canada ou les USA peuvent prendre le relai », explique l'expert d'InVivo. En revanche, « l'absence de maïs ukrainien pourrait s'avérer perturbateur », tempère-t-il. En effet, l'UE a importé 8,5 Mt depuis juillet, « et pourrait en importer 12 Mt ”jusqu'à la fin de la campagne », projette-t-il. Le maïs OGM US ne peut être une alternative pour fournir l'UE. L'origine française aurait alors une belle fenêtre de tir, alors qu'il a aujourd'hui bien du mal à s'écouler sur pays tiers. Ceci pourrait engendrer une montée des prix du maïs, dopant le blé dans son sillage.
Certains pays de l'UE saisiront toutes les opportunités pour s'approvisionner.
Pour l'heure, les exportateurs ukrainiens s'attachent à inciter les producteurs à vendre leurs volumes en remontant leurs offres en culture. «En maïs, elles ont été réhaus-sées de près de 40 %, alors que la hryvnia a baissé de 20 %. En blé, en revanche, dont le débouché est aussi interne, les offres ont tout juste compensé le retrait de la monnaie », rapporte Olivier Bouil-let du bureau d'Agritel à Kiev. Selon ce dernier, il resterait encore 1 Mt de grains disponibles dans les ports urkrainiens, dont 70 % en maïs et 30 % de blé.