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Logistique brésilienne des grains : une trop forte dépendance envers le camion, quelles sont les perspectives ?

La flambée de la production de céréales et d’oléagineux au Brésil a largement dépassé ses capacités logistiques ces dernières années, selon divers experts. Le gouvernement est conscient du problème et semble se mobiliser.

© Autorités portuaires du port de Santos

La récolte brésilienne de grains, essentiellement composée de maïs et de soja, dont les importateurs de l’Union européenne, voire français, sont friands, a énormément progressé ces dernières années. Mais la logistique n’a, semble-t-il, pas pu suivre le rythme, ont expliqué divers analystes du marché. L’illustration de ce phénomène est l’accroissement de la dépendance brésilienne à la route et donc aux camions. « Le développement d’infrastructures efficientes de transport des céréales n’a pas suivi le rythme de la forte croissance de la production et de l’export. Conséquence : le Brésil dépend de plus en plus, en proportion, de la route aujourd’hui par rapport aux années passées, pour acheminer les matières premières agricoles vers les ports », a déclaré Carolina Hernandez Táscon, directrice commerciale de la société brésilienne spécialisée dans la logistique, VLI Logistics, lors du Global Grain le 7 novembre. La situation ne devrait guère s’améliorer pour la campagne 2023-2024, avec une récolte attendue, pour l’instant, une nouvelle fois comme volumineuse. Ce qui ne sera pas sans conséquence pour le marché mondial et les acheteurs internationaux, qui devront supporter les surcoûts logistiques. 

Près de la moitié des grains transportés par camion 

Pour illustrer l’augmentation de la dépendance brésilienne à la route, VLI Logistics estime, à partir de données croisées auprès de diverses sources institutionnelles (département états-unien de l’agriculture - USDA, agences gouvernementales brésiliennes), qu’environ 35 % des grains étaient transportés par camion lors de la campagne commerciale 2006-2007. Ce chiffre augmente à 47 % en 2022-2023, correspondant à 72 millions de tonnes (Mt) de céréales et d’oléagineux transitant via ce mode d’acheminement. Lors de cette même campagne, le mode fluvial englobait 20 % du transport national, pour 30 Mt, et 33 % pour les voies ferrées, soit 51 Mt. En moyenne, l’usage des voies ferrées et fluviales pour amener les marchandises aux ports a crû de 8 % par an, contre 12 % par an pour la route. Pour mieux illustrer le retard brésilien, VLI Logistics cite les États-Unis, principal concurrent international pour les exportations de maïs et de soja. Le camion n’est utilisé que dans 15 % des cas, le fluvial monopolise 53 % des parts de marché (le Mississippi, certes capricieux, constitue une artère logistique primordiale), et le reste (32 %) revient au train. 

Jusqu’à un trimestre pour charger un bateau !

Dépendre du camion pour un immense pays comme le Brésil est problématique, les véhicules devant souvent parcourir des milliers de kilomètres, susceptibles de générer des retards de livraison et des surcoûts. VLI Logistics estime qu’au Brésil l’usage de la route ressort trois fois plus cher que le train et six fois plus que la péniche en moyenne. Le cabinet de courtage SA Commodities, via son directeur associé Luiz Carlos dos Santos, confirme les problèmes posés par la trop forte dépendance au camion : « les bateaux doivent parfois attendre des semaines, voire des mois, avant d’être chargés ». Le courtier prend les exemples des deux plus grands ports du pays, Santos et Paranagua, représentant respectivement 37 % et 16 % des exportations brésiliennes de céréales et d’oléagineux. Récemment des navires ont attendu dans le port de Santos 28 jours, et… jusqu’à 79 jours dans celui de Paranagua… soit presque un trimestre, d’après lui. Il n’est pas impossible que ces retards se reproduiront lors de la campagne commerciale 2023-2024, sachant que la récolte de grains s’annonce, une nouvelle fois, très bonne. SA Commodities prévoit 162 Mt de soja et 119,4 Mt de maïs, contre respectivement 158 Mt et 137 Mt d’après l’USDA en 2022-2023, soit des ordres de grandeurs comparables. Bien entendu les prévisions pour la présente campagne peuvent encore varier, selon la météo observée en décembre 2023 et en janvier 2024. Sachant que plusieurs analystes tablent déjà sur une récolte brésilienne de soja 2024 sous les 160 Mt.

 Baisse des coûts logistiques de 20 % à 30 % en 2034 ? 

Mais pourquoi la logistique n’a pas suivi l’explosion de la production, et par ricochet des ventes extérieures brésiliennes? La réponse se résume ainsi selon VLI Logistics : investir dans la production de grains au Brésil apparaît bien plus rentable que dans la logistique. « L’investissement dans la logistique est ressorti treize fois moins rentable que celui dans la production de céréales et d’oléagineux lors des trois dernières années », alerte Carolina Hernandez Táscon. Si rien n’est fait lors des dix prochaines années, VLI Logistics craint que 63 % des matières premières agricoles soient transportées par camion à l’horizon 2034-2035. 

Sachant qu’aux surcoûts pécuniaires s’ajoutent les surcoûts écologiques, le camion étant bien plus polluant que les autres modes de transport. Néanmoins, Carolina Hernandez Táscon se veut optimiste : « le précédent gouvernement était conscient de notre faiblesse logistique et de nos besoins, tout comme l’est l’actuel. Des investissements sont prévus dans le rail, ce qui permettra d’abaisser le coût d’acheminement des marchandises depuis les terres vers les ports, et ainsi d’accroître la compétitivité des céréales et des oléagineux brésiliens », rassure-t-elle. Potentielle baisse des prix pour les importateurs Dans le détail, la société indique que 5 989 km de voies ferrées sont actuellement soit en cours de construction, soit en projet, un peu partout dans le pays. Cela augmentera la capacité annuelle de transport par train de grains de 87 Mt.

 Ajoutons à cela un projet de construction de 500 km de voie fluviale dans le nord du Brésil, d’une capacité annuelle de 3 Mt. Si tous ces chantiers sont menés à leur terme, VLI Logistics projette que la route ne représentera plus que 15 % du mode de transport usité, contre 49 % pour le train et 25 % pour la péniche en 2034- 2035. « Les investissements prévus dans les voies ferrées permettront par exemple de réduire les frais de transport depuis les terres du Mato Grosso ou du Matopiba vers les ports de 29 % », se réjouit Carolina Hernandez Táscon. Les importateurs devront toutefois se montrer patients avant que ces énormes chantiers ne s’achèvent.

Lire aussi : « Le marché du blé tendre le plus difficile à analyser en cinquante ans d’expérience » selon Noel Fryer, analyste privé

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