L'industrie du blé dur en appelle à l'État
Confrontés à une nouvelle flambée des prix du blé dur ainsi qu'à une pénurie de lots de qualité, les semouliers et fabricants de pâtes & couscous en appellent aux pouvoirs publics. « Nous attendons un signe fort, une impulsion positive », avec des actions basées sur trois axes, indique Christine Petit, secrétaire générale du Sifpaf (pastiers) et du CFSI (semouliers) : « fluidifier le marché en privilégiant l'approvisionnement des industriels » de l'Hexagone, plutôt que les marchés à l'export, « inciter à la culture du blé dur par un arbitrage des subventions et, dès cette année, en incitant les agriculteurs à semer davantage » et veiller à la « bonne application de la Loi Hamon pour que les négociations commerciales permettent de répercuter la hausse vertigineuse des prix » sur les tarifs en rayons. Le cours du blé dur sur Winnipeg a en effet bondi de plus de 50 % en douze semaines, atteignant 350 $Can/t. Or, la matière première pèse pour 75 % dans le coût de revient d'une pâte de qualité supérieure.
La qualité, une denrée rare cette année
Avec une nouvelle baisse des surfaces, les volumes français de blé dur ont chuté de 38 % en deux récoltes, tombant à 1,5 Mt. Et, affectées par les pluies, un tiers de ces disponibilités sont jugées inadaptées à la fabrication de pâtes. Au niveau européen, avec une perte d'1 Mt d'une année sur l'autre, la récolte tombe à 7,2 Mt. « Si la situation nous préoccupe depuis le début de la campagne, nous avons attendu de mieux cerner l'offre nord-américaine avant de s'alarmer. » Or pour le Canada, premier pourvoyeur du marché mondial, réputé pour sa qualité, c'est la douche froide : « Pour la première fois en vingt ans, un tiers de la récolte n'est pas au standard de qualité requis pour la fabrication de pâtes. »
Les besoins des transformateurs s'élèvent, en France, à 620.000 t environ et les exportations, qui s'ajustent selon les années, sont anticipées à 900.000 t. « Tous les besoins ne seront pas couverts », alerte Christine Petit, indiquant que des ruptures d'approvisionnement des usines ont déjà été rapportées depuis le début de la campagne.
Une situation reflétant sans doute aussi la gestion difficile de l'hétérogénéité de la récolte. L'activité à l'export s'avère, elle-aussi, décousue et complexe, selon les échos du marché. Du côté industriel, il faudra sans doute « arbitrer les approvisionnements en important des blés durs de qualité, en provenance du Canada ou d'ailleurs, à hauteur de 50 à 100.000 t. L'État doit intervenir, ne serait-ce qu'en réunissant toutes les parties prenantes du marché, pour favoriser l'ensemencement massif de blé dur, dès les prochains semis, et revenir au niveau de production des années 2010/2011. »
Faire appliquer la loi Hamon
Avec des cours des matières premières qui montent en flèche, « nous arrivons dans une situation d'asphyxie», témoigne Christine Petit pour ses adhérents. « Le ministère de l'Agriculture nous a confirmé que, compte tenu de l'importance stratégique des pâtes alimentaires dans l'alimentation des Français, soit plus de 98 % de la population avec 8,1 kg/habitant/an, les pâtes font partie des métiers où la crise de la matière implique une renégociation obligatoire des tarifs avec la distribution. Le décret, dont la publication a été annoncée pour octobre, serait en cours de validation au ministère. Nous attendons cette mesure, un outil indis-”pensable », alors qu'une nouvelle phase de négociations vient de s'ouvrir. « Mécaniquement, une prise en compte d'une hausse de 120-130 €/t de blé dur se solderait par un renchérissement de 12 à 20 cts/kilo de pâtes », précise la représentante des pastiers. Quant à la concurrence des MDD (marques de distributeurs), les industriels italiens connaissent les mêmes difficultés. Certaines entreprises auraient déjà déposé le bilan et d'autres sont « reprises in extrémis par un jeu malsain de subventions ».
Tous les besoins, sur l'intérieur et l'export, risquent “de ne pas être couverts.
La tension des cours pourrait motiver les producteurs à se tourner à nouveau vers le blé dur. En espérant que « les agriculteurs n'aient pas définitivement démissionné, face à cette culture complexe et fragile », redoute Christine Petit. « Le blé dur a une vraie légitimité en France, pour le marché domestique comme méditerranéen. Les pouvoirs publics doivent redonner sa place à cette culture », martèle-t-elle.