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L’industrie de la nutrition animale en pleine mutation

Après 2022 et son cortège d’évènements touchant les productions animales françaises, et donc la nutrition animale, 2023 ne s’inscrit pas dans une dynamique très active du côté des volumes fabriqués dans l’Hexagone : au mieux au niveau de l’an passé voire encore un peu en retrait, juste au-dessus de 19 millions de tonnes.

L'influenza aviaire a fortement touché les élevages français en 2022.
© AndreasGoellner/Pixabay

Près de 19,2 millions de tonnes (Mt), y compris les 1,3 Mt prévues en mash : voici l’hypothèse optimiste pour les volumes de production d’aliments pour animaux en France en 2023. Le retour à la normale attendu en volailles, après la violente décrue de 2022 pour cause d’Influenza aviaire, est décalé à fin 2023 – début 2024. Dans tous les cas, le retour en force du poulet ne va pas pouvoir rattraper les volumes définitivement perdus, semble-t-il, en production porcine.

La prévision à cinq ans des tonnages, réalisée par la Coopération agricole Nutrition animale et présentée lors du Carrefour international des matières premières de Nutrinoë, le 15 septembre, donne d’ailleurs un maximum de 19 Mt en 2027. « Nous referons la même étude en 2024 pour affiner les prévisions », indique Valérie Bris, directrice de la Coopération agricole (LCA) Nutrition animale. Il se pourrait que cette borne des 19 Mt saute aussi.

Les Ondes de choc de 2022 se font toujours sentir

En 2022, selon l’observatoire financier des entreprises agroalimentaires du Crédit agricole, les entreprises de nutrition animale françaises ont subi un reflux de leur rentabilité économique conjuguant baisse des fabrications, et difficultés à répercuter intégralement l’inflation des matières premières et des charges externes. Alors que les sociétés de services conservent une solide situation financière, les fabricants d’aliments composés voient leur levier financier doubler sur l’exercice, impacté par l’accroissement de l’endettement consécutivement à la progression du besoin en fonds de roulement, encore non incident sur leur profil de risque, expliquent les experts. La hausse visible du chiffre d’affaires, exclusivement lié à l’effet prix des matières premières, ne se poursuivra pas en 2023. Après deux ans de relative stabilité, la rentabilité d’exploitation des fabricants d’aliments a décroché fortement en 2022, avec un taux d’EBITDA/CA de 1,2 % contre 2 % en 2022. La décapitalisation des cheptels porcins et bovins, la violence de la crise de l’influenza aviaire, la hausse des prix des matières premières et de l’énergie se sont accumulées en 2022 et leurs effets se font toujours sentir en 2023.

Le premier levier d’adaptation de l’industrie à cette érosion des volumes reste les usines : pour autant, peu d’annonces ont encore été faites quant à des fermetures. Les experts s’attendent à, au moins, un arrêt en Bretagne, à l’occasion de la scission de Nutréa par ses cofondateurs il y a 13 ans, Eureden et Terrena. Au 1er janvier 2024, cette dernière reprendra les sites de Landemont (Maine-et-Loire) et Louvigné-du-désert (Ille-et-Vilaine) ainsi que l’activité lapins, quand Eureden, qui reste donc seul actionnaire de Nutréa, y laisse les sites de Plouagat (Côtes-d’Armor), Plouisy (Côtes-d’Armor), Languidic (Morbilan), Cléden (Finistère) et Carhaix (Finistère).

Les principales restructurations sont suspendues à l’autorité de la Concurrence. Il s’agit de la reprise d’une part de Soufflet Nutrition animale (70 000 t) et d’autre part de l’activité nutrition animale d’Axéréal (460 000 t) par Sanders qui ambitionne d’atteindre à terme les 20 % de parts de marché.

D’autres annonces s’inscrivent dans le processus de transmission avec le départ en retraite de leurs propriétaires. Comme pour Difagri (Vendée), dont Cédric de Boulogne prend la tête, après Philippe Gauthier, et qui passe à cette occasion dans le giron de FrenchFoodCapital, ou encore Morel, cédé, par Philippe Foucault à Aliments Genouel (Manche).

Autre grand sujet, la rétrogadation du bio au niveau d’avant Covid-19, dans le sillon de la descente en gamme de la consommation face à l’inflation : il a perdu 14 % en 2022, et 2023 n’est guère meilleure.

Décarboner sans décapitaliser

La décarbonation est un enjeu majeur pour le secteur, qui veut faire entendre sa voix d’une décarbonation sans décapitalisation. Cette dernière, alors que la consommation des produits animaux se maintient, ouvrirait encore plus grand la porte à des importations. Ainsi, David Saelens, président de LCA Nutrition animale, estimait lors de sa convention, le jeudi 9 novembre que : « réduire les impacts de l’élevage sans baisser son rendement et sa productivité est possible. L’alimentation, poste essentiel du coût de revient des produits animaux mais également de son impact carbone, est un facteur clef pour répondre aux enjeux de décarbonation de l’élevage et contribuer à des productions animales durables et nourricières. »

Premiers constituants des formules, les céréales et leurs co-produits sont les 1er contributeurs des émissions de GES liées à l’alimentation animale.

La section nutrition animale de la Coopération agricole s’estime sereine pour une baisse de 15 % de l’impact carbone à horizon de cinq ans. Les adhérents du Snia se sont engagés à réduire de 20 % les gaz à effets de serre des productions animales au niveau de l’élevage d’ici 2030, lors de leur conférence de rentrée le 30 août dernier. Les syndicats travaillent en tous cas au sein d’un groupe de travail, le GT Carbone. Les usines sont déjà engagées dans la réduction des consommations d’énergie, poussée par les tarifs élevés, comme dans l’optimisation logistique ou bien encore la récupération des emballages vides chez les éleveurs. Valoralim, la filière collective de collecte et de recyclage, lancée opérationnellement cet automne, ambitionne de permettre l’économie de 700 t par an de CO2 en récupérant 10 000 t d'emballages vides (sacs, seaux...) par an d’ici 2030. Et tout gain d’efficacité de l’aliment en élevage est bénéfique. Ludovic Michel, vice-président du Snia, rappelait ainsi fin août que toute baisse de 0,1 point de l’indice de consommation permet de baisser de 6 % le poids carbone de la part alimentaire de l’élevage en volaille.

Des solutions simples à mettre en œuvre

« Aller au-delà des 20 %, en cohérence avec les ambitions de la planification écologique du gouvernement, est possible », estime aussi David Saelens mais il prévient : « des ruptures technologiques seront néanmoins nécessaires et devront être accompagnées » car le marché ne les finance pas. Il existe certaines solutions « simples » comme l’incorporation d’un additif réduisant les émissions de méthane entérique des vaches laitières (le Bovaer de DSM) que le laitier Bel vient de tester chez ses éleveurs en France et généralise en Slovaquie. Mais d’autres solutions nutritionnelles existent et le premier levier reste la formulation des aliments. Le choix collectif d’un soja non déforestant au sein de Duralim est déjà un gros morceau. Les fabricants d’aliments sont déjà engagés depuis deux ans pour atteindre le 0 % de soja issu de la déforestation ou de la conversion des terres au 1er janvier 2025. L’économie de GES est estimée à 1,5 Mt eq carbone par an.

Pour Patricia Le Cadre, directrice du Céréopa : « le principal levier de la décarbonation pour les fabricants d’aliments du bétail réside dans un approvisionnement en matières premières plus vertueuses. 73 % de leur approvisionnement est d’origine française, et les céréales et leurs coproduits représentent plus de 60 % des formules. Les céréales sont les premiers contributeurs des GES émis par les aliments du bétail. Céréaliers et fabricants d'aliments du bétail se doivent de travailler main dans la main pour actionner les bons leviers. L’enjeu est bel et bien de transformer les pratiques culturales mais aussi d’acquérir et de mettre à jour les analyses de cycles de vie des matières premières afin d’aller vers une éco-formulation basée sur les données les plus fiables et plus représentatives possibles. »

Les experts des instituts techniques réunis au sein du bureau d’études ABCIS (Idele, Ifip, Itavi) montrent que les principaux postes d’émissions de GES diffèrent selon les filières. Pour les ruminants, les émissions sont majoritairement liées à la rumination (51 %). En volaille, c’est le poste aliment qui est de loin le principal (68 %) alors qu’en porc, aliments (41 %) et effluents (48 %) sont au coude-à-coude. L’alimentation a des solutions dans ces différents cas. Mais dans les élevages, leur adoption technique et des stratégies d’optimisation comme la réduction de l’âge des vaches laitières au 1er vêlage devront être mobilisées en sus d’investissements comme la couverture des fosses.

Oriflaam pour mieux connaître les flux

L’observatoire Oriflaam, mis en place par FranceAgriMer avec les instances de la nutrition animale pour faire suite au GIS Avenir Elevage, est confié au Céréopa. « L’idée de base est de disposer d’une base de données communes qui fournit et suit, en toute transparence, ce que mangent réellement les animaux d’élevage », résume Patricia Le Cadre, responsable du pôle alimentation et filières de productions animales au Céréopa. Elle s’intéresse non seulement aux fabricants d’aliments industriels, mais aussi aux ressources des élevages eux-mêmes, fourrages et autres productions sur la ferme, non seulement en volumes mais aussi selon des indicateurs environnementaux. L’extraction de données va prochainement être disponible selon trois niveaux d’informations : pour les commanditaires, la R & D et pour tous.  « Nous pouvons déjà confirmer que plus de 95 % de ce que mangent les animaux d’élevage est d’origine française », conclut Patricia Le Cadre.

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