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Les PAT parachutées dans le débat médiatique
Si les professionnels saluent la décision bruxelloise d’autoriser les protéines animales transformées en aquaculture, ils s’interrogent sur le fait que le gouvernement ne réagisse qu’un mois après la parution du règlement, en pleine crise sur la viande.

Le Règlement (UE) n°56/2013 du 16 janvier 2013, qui autorise dès le 1er juin prochain l’utilisation des protéines animales transformées (PAT) issues de non-ruminants dans l’alimentation des poissons d’élevage et autres animaux d’aquaculture, a été publié au Journal officiel de l’UE le 24 janvier dernier. « Nous nous demandons pourquoi le gouvernement ne réagit que maintenant en pleine crise médiatique relative à l’affaire de tromperie concernant la viande de cheval », s’interroge Valérie Bris, directrice de Coop de France Nutrition animale. Et Christian Roques, responsable Vente produits finis d’Akiolis, spécialiste entre autres de la valorisation des coproduits animaux issus de la chaîne alimentaire, de renchérir : « On aurait voulu choisir le plus mauvais moment pour débattre de cette décision, on n’aurait pas mieux fait. »
Levée de boucliers
Alors que l’affaire “Findus” fait douter de l’efficacité des systèmes de contrôle officiels et mis en place par les professionnels, les associations de défense des consommateurs sont montés au créneau. La CLCV, dans un communiqué du 18 février, dénonce « une mesure contreproductive et inopportune (...) alors même que la confiance des consommateurs dans la chaîne alimentaire est au plus bas suite à l’affaire des “lasagnes au cheval” ». Le gouvernement en a profité pour réaffirmer son opposition à la réintroduction de ces « farines animales » dans la chaîne alimentaire. Guillaume Garot, le ministre délégué à l’Agroalimentaire, qui juge cette décision « mal venue », a rappelé le 19 février que la France avait voté contre cette disposition en juillet 2012, quand le Comité permanent de la chaîne alimentaire de la Commission européenne s’était déclaré en faveur de l’autorisation des PAT de porc et de volaille en aquaculture. Se félicitant que Bruxelles ne rende « heureusement » pas cette décision obligatoire, le ministre a affirmé qu’« il faudra la mettre en œuvre au plan français avec un véritable esprit de responsabilité de nos industriels ».
Une déclaration qui n’est pas pour rassurer les professionnels de la nutrition animale. « Nous savons très bien que les pouvoirs publics feront en sorte que nous ne puissions pas utiliser les protéines animales transformées », affirme Valérie Bris. Si le règlement européen « lève une mesure de police sanitaire et octroie aux opérateurs une liberté supplémentaire », elle s’interroge sur « l’usage » qu’en auront effectivement les fabricants d’aliments pour animaux. « Nous attendons des échanges avec les autorités françaises pour discuter avec elles des modalités d’application », confirme Christian Roques, qui explique : « Si la chaîne de fabrication, de l’abattoir à la livraison au pisciculteur, utilise des transports et outils industriels dédiés, les PAT de porc et de volaille pourront facilement aller en aquaculture. Mais tout autre cas de figure nécessitera agréments et autorisations vétérinaires. »
Distorsion de concurrence
Même si cette décision européenne représente « une opportunité » pour la nutrition animale, elle est loin d’être « automatique », souligne le dirigeant d’Akiolis. Outre les contraintes relatives à « l’étanchéité » des filières, « tant qu’il y aura un frein important des cahiers des charges de la grande distribution, les choses risquent de peu bouger en France », souligne-t-il. Quant à exporter nos PAT de porc et volaille vers les États-membres, « nos collègues vont les utiliser et nous allons réimporter les produits animaux que nous allons consommer : quelle est la cohérence par rapport au consommateur ? », s’inquiète Valérie Bris. « Mais c’est ce qui va se passer parce que dans les tuyaux de la Commission européenne, à moyen terme (en 2014-2015, NDLR), c’est le retour des PAT de non-ruminants dans l’alimentation des porcs et volailles, qui est programmé ».
Par ailleurs, « si un produit est autorisé au niveau européen, mais que la France s’interdit d’utiliser, on introduit une distorsion de concurrence », argumente Valérie Bris. Dans ce contexte, « comment peut-on redonner à l’élevage français de la compétitivité alors que l’on se crée en même temps des freins par rapport à nos collègues européens ? Et je ne parle pas par rapport aux pays tiers ! », conclut la représenteante de Coop de France Nutrition animale.