Aller au contenu principal

Engrais : les manifestations contre les usines tunisiennes de Gabès n’auront pas d’impact sur le marché des phosphates

Depuis le 10 octobre dernier, la ville de Gabès en Tunisie est agitée par un vaste mouvement populaire réclamant la fermeture du complexe industriel du Groupe chimique tunisien, producteur de phosphates pour les engrais et la nutrition animale.

Manifestants tunisiens avec pancartes réclamant la fermeture des usines de phosphate à Gabès à Paris le 26 octobre 2025.
« Le peuple réclame la fermeture des usines », ont scandé environ 700 manifestant·e·s à Paris, le 26 octobre dernier.
© Adèle d'Humières

Les manifestations populaires se succèdent toutes les semaines de Gabès, ville portuaire dans le sud de la Tunisie, jusqu’à la capitale Tunis, et même à Paris le 26 octobre dernier. Celles-ci demandent la fermeture des usines du Groupe chimique tunisien (GCT), qui produit et exporte (notamment vers la France) du phosphate à destination du secteur agricole. Le groupe Roullier est d’ailleurs implanté à Gabès via sa filiale Phosphea, qui produit des solutions nutritionnelles à base de phosphates pour l’alimentation animale.

Lire aussi : Marché des engrais : retard des achats face aux incertitudes géopolitiques et à la hausse des prix

Peu de risques de choc sur les marchés des phosphates

Étant donné à la fois la faible part des importations de phosphates tunisiens depuis la France et le contrôle des usines d’engrais phosphatés à Gabès par le gouvernement tunisien, le risque de conséquences sur les approvisionnements en phosphates et les prix mondiaux est limité. « Nous n’avons pas de tension sur le phosphate et sa fourniture. C’est plutôt l’application du MACF [mesure d’ajustement carbone aux frontières, NDLR] sur les phosphates de diammonium (DAP) qui est le sujet », explique Philippe Lorcy, président de Eliard-SPCP, un autre importateur français de phosphate.

Lire aussi : La filière céréalière s'inquiète à propos de la mesure MACF sur les engrais importés

L’origine Tunisie ne représente que 3 % des volumes d’importations français d’engrais phosphatés

En 2023, les importations françaises d’engrais phosphatées se montaient à 360 000 t en équivalent phosphate, selon une étude commandée par FranceAgriMer à AND International. La consommation française d’engrais phosphatés s’inscrit dans une tendance largement baissière, avec à la clef des sols français qui présentent de plus en plus de carences en phosphate, comme nous le précisait Pierre-Yves Tourlière, responsable de la partie végétale chez Timac Agro (groupe Roullier) l’année dernière. Les épandages ont ainsi diminué de 55 % entre 2010-2011 et 2022-2023 en France. Le Maroc est le principal fournisseur du marché européen et français des engrais phosphatés, et ses liens avec la France sur le sujet ont été renforcé par la signature fin 2024 d’un partenariat entre Intercéréales et l’Office chérifien des phosphates (OCP). L’origine Tunisie, dont les minerais sont extraits de la région minière de Gafsa et transformés à Gabès, ne représente que 10 000 t dans les importations françaises, soit 3 %.

Lire aussi : Les livraisons en phosphate et potasse en baisse en France

Les manifestations ne devraient pas freiner le rythme d’exportations de phosphates

En Tunisie, la contestation autour des phosphates est ancienne et les unités de production auraient dû être démantelées en 2017

La Société des Phosphates de Gafsa a été fondée par la France, à l’époque du Protectorat en 1897. « Tout le modèle tunisien extractiviste est hérité de la colonisation, et a été poursuivi et développé après l’indépendance. Il est pensé pour l’exportation vers l’Europe », explique Safouan Azouzi, membre du collectif Souffle de Gabès opposé aux usines et citoyen de Gabès. Le phosphate extrait à Gafsa est transformé à Gabès dans la zone portuaire, ce qui cause des rejets de phosphogypse et de matières polluantes dans le golfe de Gabès. L’asphyxie de plusieurs dizaines d’habitant·e·s de Gabès (dont des enfants) ces derniers mois a relancé la contestation autour des installations industrielles. « La contestation via le mouvement Stop Pollution date d’avant la Révolution tunisienne en 2011, et était déjà présente sous Bourguiba et Ben Ali. Elle ciblait principalement la consommation en eau des usines, qui se fait au détriment des oasis de la région. Le gouvernement tunisien a calmé le jeu en développant l’emploi dans la région, y compris via des emplois fictifs », révèle l’activiste. 

Lire aussi : Pourquoi les prix des engrais risquent de flamber à l’horizon 2026

La présence militaire sur les installations devrait empêcher un nouvel arrêt des exportations

En 2012, après la Révolution, le port et les exportations avaient été bloqués par des manifestants pendant trois mois. Des tractations ont eu lieu avec plusieurs gouvernements et ont abouti à la promesse du démantèlement des installations en 2017. « La décision a été prise, mais n’a jamais été effective. La maintenance a été arrêtée, ce qui a accentué le rejet de gaz toxiques responsables des asphyxies dans la région », explique Safouan Azouzi.

À partir de 2017, la zone portuaire de Gabès où se trouvent les installations du GCT a été déclarée zone militaire. Des soldats sont déployés pour défendre les usines. « Pour l’instant, il n’y a pas de grève dans les installations ni de blocage des exportations comme en 2012. La décision a même été prise d’augmenter la production ! », s’exclame le porte-parole.

Lire aussi : En quoi consiste le partenariat sur les fertilisants signé entre le Maroc et la France ?

Peu de réaction de la part du gouvernement tunisien

Si les premières manifestations à Tunis ont été réprimées, le gouvernement a finalement décidé de laisser la colère des citoyens s’exprimer. Le président Kaïs Saïed a dénoncé l’intervention d’ « ennemis de l’intérieur », comme à son habitude dans ce genre de contexte politique. Aucune annonce officielle précise n’a été faite, ni sur une éventuelle rénovation des installations, ni sur l’arrêt des activités, structurantes pour les deux régions de Gafsa et Gabès.

La France a des intérêts stratégiques à Gabès

Le groupe Roullier via sa filiale Phosphea pour la nutrition animale est implanté à Gabès. Contacté, celui-ci s’est défendu d’exercer un impact néfaste sur l’environnement : « Bien que nos opérations représentent une petite fraction de l'activité industrielle globale dans la région (4 %), nous prenons très au sérieux notre responsabilité sociétale et environnementale. ». Celui-ci est également importateur d’engrais phosphatés tunisiens, transformés ensuite en France, aux côtés d’autres importateurs en Inde notamment. « Nous menons des échanges réguliers et structurés avec notre fournisseur centrés sur la performance environnementale et l'amélioration continue. Ces discussions sont collaboratives et visent à réduire l'empreinte environnementale de notre fournisseur », ont-ils ajouté. « Remplacer des produits fabriqués en France aux normes françaises par des produits importés avec de fortes conséquences sur les riverains locaux n’est pas une solution », objecte Frédéric Amiel, coordinateur général des Amis de la Terre France, très engagés sur le sujet des engrais.

Lire aussi : La Commission européenne projette de taxer les engrais russes : les producteurs sont vent debout

« Les usines du GCT représentent une importance stratégique pour la France », renchérit Safouan Azouzi. L’ambassadeur français André Parent avait d’ailleurs visité le GCT lors d’un déplacement à Gabès en 2022.

Les plus lus

Photo montant quelques graines de tournesol
Récolte 2025 : la déception se confirme sur le tournesol en France

Alors que la récolte de tournesol 2025 touche à sa fin, la déception domine dans les principaux bassins de production dans l’…

graines de soja dans la paume d'une main
Les accords commerciaux sur le soja entre la Chine et les Etats-Unis : faits et chiffres

Depuis le 20 octobre et jusqu’à ce jour, le marché mondial du soja est sous influence de la rencontre entre les président…

Engrais chimique en granulé.
Marché des engrais : retard des achats face aux incertitudes géopolitiques et à la hausse des prix

Ces dernières semaines enregistrent un raffermissement progressif des cours des engrais, notamment des produits azotés.…

champ sous un ciel nuageux, Creuse, octobre 2025.
Céréales et oléoprotéagineux bio : le marché du tournesol est toujours tendu

Après des conditions météorologiques favorables aux récoltes d’automne ces dernières semaines, l’arrivée d’un front…

Champ de blé à Mercedes, province de Buenos Aires, Argentine.
Une moisson de blé annoncée exceptionnelle en Argentine

Le volume attendu des moissons de blé à peine engrangées dans les Pampas en Argentine s’annonce au minimum record de 23 Mt,…

Photo d'un intervenant lors d'une conférence sur le réchauffement climatique lors des JTIC 2025
JTIC 2025 - Comment la filière céréalière s’adapte au réchauffement climatique en Espagne ?

Le réchauffement climatique impacte déjà sévèrement la filière céréalière en Espagne. À l’occasion de l'édition 2025 des…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 958€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site La dépêche – le petit meunier
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez votre revue numérique la dépêche – le petit meunier
Recevez les évolutions des marchés de la journée dans la COTidienne