Exploitations
Le tourisme à la ferme résiste à la crise
Avec une rentabilité en déclin depuis plusieurs années et une réforme de la Pac aggravante, la diversification par le tourisme semble être une bonne opportunité pour les exploitations
La crise, connais pas. Ou si peu : en dépit des difficultés économiques qui frappent les loisirs des Français depuis quelques années, le tourisme à la ferme se porte bien. Côté offre, le nombre d’adhérents du réseau Bienvenue à la Ferme vient de dépasser les 6 000 exploitations. Ils étaient 3 600 en 2001. Côté demande, les taux de remplissage s’annoncent pour cet été très corrects. La plupart des exploitants qui ont investi dans l’hébergement touristique témoignent d’une bonne année 2010. Pour tous ceux qui ont développé cette activité, le bilan est plutôt positif : c’est un complément de revenu parfois non négligeable, une possibilité de vendre des produits de l’exploitation et un atout pour l’image de la ferme, voire de l’agriculture en général. Chiffre symbole : le nombre d’exploitants devenu adhérents du mouvement Bienvenue à la Ferme a dépassé, il y a quelques semaines, les 6000. Une preuve qu’en dépit du concept encore un peu flou de la multiactivité, il y a une réelle volonté des agriculteurs à développer ce type de prestation. Globalement, 3% des agriculteurs s’adonneraient à ce complément d’activité. Pour 2010, la plupart des exploitants interrogés ne semblent pas déçus. Déjà, en 2009, après quelques années plus compliquées, le taux de réservation avait connu des bons scores, selon Bernard Artigue, président du réseau Bienvenue à la ferme. 2010 devrait le confirmer.
Presque un Smic
Chez Laurence et Jean Claude Larroque, éleveurs de porcs dans le Tarn, on explique qu’on a retrouvé, cette année, le bon niveau de réservation d’il y a cinq ans. A cette date, la gestion des chambres n’était pas loin de rapporter l’équivalent d’un Smic.
Depuis, la période de crise a sérieusement remis en cause le nombre de nuitées. Mais aujourd’hui, cela remonte. Laurence Larroque constate aussi que la formule s’est développée dans le voisinage. Presque seuls à pratiquer l’agritourisme il y a quinze ans, à leurs débuts, il sont entourés de plusieurs dizaines d’exploitants qui s’y sont mis à leur tour. Pour eux comme pour les autres, la grande question est celle du repérage sur internet, le média n°1 pour la réservation. Les Larroque sont bien sürs signalés sur le réseau Bienvenue à la Ferme mais pas seulement : Gîtes de France, Le Routard, et quelques autres réseaux, il faut y être. D’autant que la clientèle se diversifie. Il ne s’agit plus seulement de recevoir des vacanciers. Juan Kerwyn, producteur viticole en périphérie de Montauban, a fait de son « Mas des Anges » un lieu où il reçoit autant des VRP tout au long de l’année que des vacanciers qui restent ou font juste une étape. Une activité qui correspond à environ la moitié de son chiffre d’affaires, ce qui lui permet de maîtriser sa production viticole, produire des vins de qualité vendus chez des cavistes, restaurants de la région mais aussi pour 40% à l’export. Pas question de vendre chez un Auchan voisin qui le lui demande pourtant. «L’année 20110 ne se présent pas mal du tout», témoigne Juan Kerwyn. Ailleurs, une activité d’hébergement peut aussi représenter un apport contra-cyclique. Chez Jean Hébrard, viticulteur à Donzac (Tarn-et-Garonne) on ressent les effets de la crise et de la lutte anti-alcool sur les ventes de vins. En revanche, la location de nuitées dans un gîte rural s’avère le maillon stable de l’activité.
La tendance écolo
Il n’y a pas que le réseau Bienvenue à la Ferme. Au siège du réseau «Accueil Paysan», à Grenoble, on compte environ 800 membres répartis en 15 associations régionales. «Le taux de remplissage sera correct», affirme Yasmine Bardin, une animatrice du réseau. La crise a-t-elle un effet ? Moins sur le nombre de réservations que sur les délais. « Les gens réservent de plus en plus au dernier moment », affirme Yasmine Bardin. Un phénomène de société sans doute, autant qu’un effet de la crise. Les spécialistes du tourisme le constatent de plus en plus : les Français organisent leurs vacances de plus en plus au dernier moment. De quoi donner des sueurs froides aux hôtes et leur compliquer la tâche. Et dans ce réseau qui prône surtout une agriculture plutôt écolo, avec beaucoup d’activités, de ventes de produits de terroirs, de bio, on constate que deux sortes de demandes ont le vent en poupe : une demande plutôt populaire, louant des places de camping et une demande plus haut de gamme, désirant des prestations de qualité.La diversité de cette offre permet de répondre à une demande nourrie.
Un tiers des nuits en milieu rural
Selon le ministère du tourisme, les vacances en milieu rural correspondent à 33% des nuitées et 20% du chiffre d’affaires (par rapport au tourisme en général, les séjours en milieu rural représentent, selon certaines sources, 36% du tourisme en France). Deux chiffres qui montrent que le tourisme rural peut encore monter en gamme, même s’il sera difficile d’atteindre les hauts niveaux de prestation que les Italiens proposent dans les fermes de Toscane ou d’Ombrie. Mais il y a de quoi se développer. D’autant que la crise ellemême profite, d’une certaine manière, au tourisme rural. Les Français partant moins pour les destinations lointaines, reviennent sur des séjours en France, et dans les milieux ruraux. Mais ils n’y resteront fidèles que si les prestations sont à la hauteur.
« Toutes les prestations de qualité fonctionnent bien », témoigne François Moinet, ancien journaliste, devenu un des spécialistes du tourisme rural en France (1). Malgré une hausse des tarifs depuis quelques années (de 30 euros la nuit à 50 euros en moyenne en une dizaine d’années), il estime que cette activité n’a pas encore atteint une rentabilité normale. Le fait même d’investir en qualité peut, dans les premiers temps, obérer cette rentabilité. Mais cette rentabilité ne se juge pas seulement par les nuits passées par les touristes. Dans le réseau Bienvenue à la Ferme, explique François Moinet la vente de produits de l’exploitation a fait un bond. La hausse de la vente directe estune des conséquences de l’agritourisme. Dans le vin, cette vente directe représente 6% du marché. A cela s’ajoute le phénomène des marchés de producteurs qui atteignent le nombre de 1 300. « L’angle d’attaque de l’agritourisme passe de plus en plus par la vente directe, les circuits courts, le bio, etc. », explique François Moinet.
Expériences nouvelles
A cette démarche commerciale s’ajoutent des expériences nouvelles. Certains exploitants proposent des séjours « Forme en ferme », associant une alimentation diététique, des activités physiques et une information sur la nutrition. Sans oublier, évidemment, une meilleure connaissance de l’agriculture grâce à l’observation de la ferme. Le temps n’est donc plus à proposer, seule, une restauration. Le nombre de fermes auberges est plutôt stable et représente, souvent une activité lourde en investissement et personnel, pas toujours rentable. Le touriste ou, plus généralement, le voyageur, recherche des prestations supplémentaires, ayant du sens par rapport à l’activité agricole. En témoigne le développement du concept de fermes découvertes. C’est, pour chaque exploitation, mais pour le monde agricole dans son entier, une occasion de soigner son image et de faire de la pédagogie auprès du citadin. Et par les temps qui courent, c’est une priorité.
(1) Le Tourismes rural, Edition La France agricole, 2006