Irak-Syrie
Le pillage des terres agricoles, outil financier et stratégique de Daesh
Les auditions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les “Moyens de Daech”, créée le 1er décembre dernier, ont débuté le 12 janvier. Comme l'indiquaient déjà plusieurs études sur la question, il apparaît que, parmi les moyens de l'État islamique, l'agriculture joue un rôle important, tant sur l'aspect financier que stratégique.
Au-delà des extorsions (taxes) et trafics divers (antiquités irakiennes, notamment), l'État islamique (EI) finance son organisation par l'exploitation des ressources naturelles présentes « sur son califat autoproclamé », expliquait Myriam Benraad le 12 janvier devant les membres de la mission de l'Assemblée nationale. La chercheure à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) et à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) citait notamment l'exploitation des puits et raffineries de pétrole irakiens et syriens, mais également l'agriculture à travers la production de blé et d'orge. Selon une étude de Jean-Charles Brisard, expert en financement du terrorisme, réalisée pour Thomson Reuters en octobre 2014, les ventes de blé et d'orge – bradées sur le marché noir – représentaient 7 % des revenus de l'EI, soit « plus de 200 M$ ».
Confiscation de l'eau et des terres
L'EI, à la différence d'Al Qaïda qui vit majoritairement de dons, mène un véritable « projet territorialisé », selon Myriam Benraad. L'organisation terroriste s'est emparée de banques, de puits de pétrole, mais aussi des terres agricoles les plus productives d'Irak et de Syrie, à proximité des deux principaux fleuves de la région que sont l'Euphrate et le Tigre. L'EI avait même pris possession, à l'été 2014, du barrage de Mossoul. S'il a été perdu depuis, l'organisation terroriste a cependant gardé la main sur les terres agricoles des plaines fertiles de Ninive et de Raqqa. Selon la FAO, les terres agricoles et les silos à grains sous contrôle de l'EI produisent 40 % de la production nationale irakienne de blé et 53,3 % de la production d'orge. « Daech a saisi 1 Mt de blé à Kirkouk » au nord de l'Irak, et a « entrepris de les vendre à prix réduits », explique le ministre de l'Agriculture irakien, Falah Hassan Al-Zedan (1). L'EI profiterait, comme il le fait pour revendre le pétrole, des frontières poreuses avec la Turquie.
La faim pour tenir la population locale
Selon Myriam Benraad, « les fermiers ont vu leurs récoltes de blé, de céréales, et leur bétail confisqués pour les affamer […] ou vendus pour nourrir les sujets du califat, au nombre de 8 M en 2015 ».
Au-delà de la manne financière, la maîtrise de la production des céréales est également un moyen de contrôler les populations pour Daech. L'accaparement des terres agricoles lui permet de nourrir sa population, l'organisation étant « autosuffisante en blé », selon Myriam Benraad. De l'autre côté, l'EI contribue à affamer les populations « rebelles » ou en zone « libre ». Un rapport de la FAO du 23 juillet 2015, issu d'une mission envoyée dans les zones syriennes encore contrôlées par le gouvernement syrien, révèle qu'en 2015, « 9,8 millions de personnes étaient en situation d'insécurité alimentaire ». Il faudrait 800.000 t de blé supplémentaires pour satisfaire les besoins nationaux, estime la FAO. En 2015, malgré « des pluies satisfaisantes », la production de blé, meil-leure qu'en 2014, restait inférieure de 40 % aux niveaux « d'avant le conflit ». À tel point que le prix du pain a augmenté de 87 % entre 2014 et 2015. Ainsi, toujours selon la FAO, les ménages syriens ont consacré, en 2015, 55 % de leurs revenus à l'achat de nourriture, contre 46 % en 2011.
L'Irak et la Syrie se sont trouvés contraints d'importer de plus en plus de céréales.
Sébastien Abis, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques, constate, de son côté, que, depuis le début du conflit en 2011, « la Syrie s'est retrouvée contrainte d'importer de plus en plus de céréales ». L'Irak subit le même sort, poursuit Sébastien Abis. L'État « importe en moyenne 3 Mt de blé sur les dernières campagnes, le plaçant parmi les 20 plus grands acheteurs de la planète ». Comme il pille les antiquités d'art, les ressources en pétrole ou les banques, l'EI pille les terres agricoles jusqu'à les épuiser. « Les combats armés font toujours des dégâts considérables et durables sur les sols, rappelle Stéphane Abis. Leur dégradation à cause de la guerre peut entraîner une chute brutale de production ».
Et Myriaam Benraad d'analyser : « L'organisation terroriste est contrainte de prendre de nouveaux territoires et de nouvelles ressources pour maintenir un flux constant de revenus et financer ses opérations. » Elle commence à s'étendre vers « d'autres théâtres de conflit », hélas abondants, « comme la Libye ».
* Daech, naissance d'un État terroriste, réalisé par Jérôme Fritel.
La mission d'information sur les moyens de Daech, créée le 1er décembre dernier à l'occasion de la conférence des présidents de l'Assemblée nationale, réunit 30 députés des divers groupes politiques. Présidée par le Républicain Jean-Frédéric Poisson, la mission se réunira tous les mardis après-midi, jusqu'à juin 2016, afin d'auditer différents experts sur le sujet. L'agriculture pourrait d'ailleurs « faire l'objet d'une audition spécifique », précise l'entourage de Jean-Frédéric Poisson. Les travaux de la mission ont pour but d'identifier les moyens de Daech et vérifier que des États occidentaux ne contribuent pas, indirectement, à financer l'organisation terroriste.