Le Grenelle de l’Environnement ou la rupture agricole annoncée
Le discours du président de la République, même non chiffré, laisse présager un grand changement dans les pratiques agricoles françaises
RÉVOLUTION ? La photo (que nous n’avons pas eu le droit de prendre pour d’obscures raisons élyséennes) était parfaite. D’un côté José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne, de l’autre, Al Gore, prix Nobel de la Paix et nouvel apôtre de l’écologie, et au centre Nicolas Sarkozy, le président français qui veut un « New Deal économique et écologique planétaire ». Une belle opération de communication pour le chef de l’état, jusqu’ici peu épris d’écologie, mais qui a su tirer parti de la vague verte, initiée lors de la présidentielle, en organisant le Grenelle de l’Environnement.
Le discours de Nicolas Sarkozy, qui devait tracer les principales orientations, était fort attendu d’autant que les négociations semblaient se poursuivre jusqu’au prononcé final. Les représentants du syndicat agricole majoritaire apparaissaient confiants avant l’intervention de Nicolas Sarkozy. « Je sors avec le sourire » avait lâché le matin même le président de la FNSEA à l’issue de l’ultime table ronde du Grenelle. Et il arrivait même, l’après-midi dans la salle de réception de l’élysée, au bras de Nathalie Kosciusco-Morizet, secrétaire d’état à l’écologie. Le discours a finalement laissé de sérieuses traces sur les visages des représentants du premier syndicat agricole français, si enthousiaste quelques minutes auparavant.
« La vérité est que nous avons des doutes sur l’intérêt actuel des OGM pesticides »
La question des OGM, qui a fait couler tant d’encre tout au long des négociations du Grenelle, n’a pas été complètement tranchée par le Président. Ce dernier a tout de même envoyé un message fort à l’intention des écologistes et des syndicats agricoles minoritaires, clairement opposés à la culture des OGM. «La vérité est que nous avons des doutes sur l’intérêt actuel des OGM pesticides,(…), sur le contrôle de la dissémination des OGM, (…), sur les bénéfices sanitaires et environnementaux des OGM», a déclaré Nicolas Sarkozy. Et de poursuivre : « Je souhaite que la culture commerciale des OGM pesticides soit suspendue. Ceci en attendant les conclusions d’une expertise à conduire par une nouvelle instance qui sera créée avant la fin de l’année ». La question du maïs Mon 810, seul OGM cultivé à des fins commerciales en France, et en attente d’une nouvelle autorisation pour permettre les semis en 2008, n’est donc pas réellement résolue. Mais la suite du discours laisse présager d’une nouvelle donne en matière d’autorisation de cultures transgéniques. En effet Nicolas Sarkozy s’est engagé à « ce que soit transposé au printemps 2008 la directive OGM(européenne ndlr) ». Et cette traduction en droit français s’accompagnera selon le Président « de nouveaux principes pour encadrer la recherche et la culture des OGM ». à savoir le « principe de transparence,(…), le droit de cultiver avec ou sans OGM, (…) l’obligation de prouver l’intérêt sanitaire et environnemental des OGM ». Bref si les écologistes n’ont pas obtenu l’assurance de voir disparaître les surfaces de maïs transgéniques en 2008, le changement de ton gouvernemental a été bien reçu. José Bové a même salué le discours du chef de l’état. Pour Arnaud Apoteker, responsable de la campagne OGM à Greenpeace, le message du Président est « un signe fort, qui va plus loin que prévu ». Mais il reste toutefois « attentif à la suite des évènements », comptant notamment sur l’emploi de la clause de sauvegarde, seule possibilité juridique pour la France d’interdire la culture d’un OGM sur son territoire.
La Coordination rurale, comme la Confédération paysanne se sont satisfaites de la prudence affichée par le gouvernement concernant les OGM. En revanche, les dirigeants de la FNSEA ont accusé le coup. Interrogé à la suite du discours de Nicolas Sarkozy, Philippe Pinta, président de l’AGPB, s’est dit « catastrophé de cette position sur le seul OGM légal », dénonçant « la dangerosité du principe de précaution ». « Il faut arrêter toutes ces kermesses » a-t-il pesté s’interrogeant sur « le rôle des parlementaires dans le pays ». Et ce ne sont pas les dernières déclarations de Nathalie Kosciusko-Morizet, assurant que plusieurs représentants de l’UE on fait « le constat du manque de crédibilité de l’évaluation européenne », qui rassureront les dirigeants de la FNSEA favorables aux cultures transgéniques.
La recherche biotechnologique a toutefois été défendue par Nicolas Sarkozy. « Cette suspension de la culture commerciale des OGM pesticides ne signifie pas que nous devons condamner tous les OGM, et notamment les OGM d’avenir. Ils sont un immense espoir. Peut-être le seul pour nourrir la planète demain.»
Le président a fait preuve de fermeté à l’égard de certaines actions anti-OGM. « Il faut sanctionner ceux qui détruisent des parcelles de recherche », a-t-il déclaré.
« Revoir la politique de soutien aux biocarburants »
Autre grosse déception pour la FNSEA et plus particulièrement pour l’Association générale des producteurs de blé et pour la Fédération des producteurs d’oléagineux, le recul du gouvernement sur le soutien de la filière de production d’agrocarburants de première génération (éthanol et Diester, à base de graines de blé et de colza). « Nous devons revoir la politique de soutien aux biocarburants pour l’avenir et sans remettre en cause les engagements pris. Je souhaite que la priorité soit donnée au développement des biocarburants de deuxième génération plus pertinents face au défi environnemental et alimentaire ». La remise en question de l’intérêt environnemental des agrocarburants de première génération par les écologistes aura finalement eu raison du travai de lobbying de la filière bioéthanol qui n’a pas d’autre choix que de prendre acte de ce nouveau positionnement gouvernemental. « On continue, mais on augmente plus, on s’arrête aux objectifs », a assuré Philippe Pinta, ajoutant qu’il faudrait attendre au « moins dix ans » pour voir arriver les premiers agrocarburants de seconde génération. « J’espère que la France n’aura pas le culot d’importer de l’éthanol » a-t-il conclu.
Pour clore ce volet énergétique agricole, Nicolas Sarkozy a annoncé que serait engagé « avec Michel Barnier un grand plan pour l’autonomie énergétique des exploitations agricoles ».
Moins de produits phytos et plus d’agriculture bio
Alors que les producteurs agricoles craignaient de se voir obligés de réduire de moitié l’utilisation de produits phyosanitaires, le président de la République n’a pas annoncé de calendrier définitif. « Je demande à Michel Barnier de me proposer avant un an, un plan pour réduire de 50 % l’usage des pesticides, si possible dans les dix ans qui viennent ». Nicolas Sarkozy a également défendu l’idée « d’une agriculture à haute valeur environnementale ». L’agriculture biologique a aussi bénéficié du soutien présidentiel. « Je m’engage à ce que toutes les cantines publiques proposent au moins une fois par semaine un repas issu de l’agriculture biologique », a promis Nicolas Sarkozy.
Finalement, même si les écologistes regrettent le manque d’ambition du Président sur certains points concernant l’agriculture, comme l’absence de délai fixe pour la réduction des pesticides ou l’incertitude concernant le dossier OGM en 2008, le discours de Nicolas Sarkozy marque un véritable tournant pour l’agriculture française. Reste maintenant à traduire toutes ces bonnes volontés affichées par des actes législatifs.