ÉVÉNEMENT
« Le fantasme de la France qui doit nourrir la planète est une sottise »
Yannick Jadot, le candidat d’Europe Écologie-Les Verts à l’élection présidentielle, est partisan d’une transition pour permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.
La Dépêche-Le Petit Meunier : Quelles solutions proposez-vous pour l’agriculture française en crise ?
Yannick Jadot : Il faut organiser la conversion de notre agriculture vers une agriculture paysanne plus durable, et monter en puissance sur le bio. On est dans un secteur qui connaît un plan social qui ne dit pas son nom : 30 000 emplois perdus par an, au moins un suicide par jour, une explosion des maladies dans certains secteurs de l’agriculture à fort usage de pesticides. Parallèlement, on observe une défiance de plus en plus grande des consommateurs et des citoyens par rapport à l’image du paysan nourricier, aujourd’hui considéré comme pollueur irresponsable. C’est un piège dont il faut aider les agriculteurs à sortir.
LD-LPM : Par quels moyens ?
Y. J. : Il faut aller vers la valeur ajoutée. Le fantasme de la France qui doit nourrir la planète est une sottise, d’autant plus que ces raisonnements ont conduit à la destruction des agricultures vivrières dans certains pays où l’on a exporté soit des surplus, soit des bas morceaux. Et ce modèle détruit l’environnement, abîme la santé et nous coûte très cher. Il faut être capable d’utiliser l’argent public différemment, pour lutter contre la disparition des paysans, organiser la protection de l’environnement et garantir la sécurité alimentaire, au sens sanitaire du terme. Je propose que la moitié des fonds de la Pac aille vers la conversion des exploitations agricoles et que l’on approvisionne les cantines à 100 % en agriculture bio, ou paysanne, car il est impossible d’arriver à 100 % de bio dans les cinq ans.
LD-LPM : Pouvez-vous définir ce que vous appelez “agriculture paysanne” ?
Y. J. : Nous avons toujours défendu l’idée d’une agriculture à taille humaine, où on plafonne les aides par exploitation à 100 000 €, avec de la rotation des cultures. Une agriculture de proximité plutôt qu’une agriculture d’exportation, pas uniquement, bien sûr, car c’est normal d’exporter certains produits à haute valeur ajoutée.
LD-LPM : Au-delà des produits de qualité, êtes-vous opposé à la vocation exportatrice de la France ?
Y. J. : Je ne dis pas qu’il ne faut pas de commerce international. Il y a des complémentarités mondiales à assumer ou alors on arrête de manger des bananes ! Nos échanges doivent être faits dans une logique de surplus par rapport à nos besoins. Il faut arrêter de faire du poulet bas de gamme congelé qu’on exporte en détruisant les filières avicoles et bovines du Sahel et d’ailleurs.
LD-LPM : Comment comptez-vous réduire l’usage des pesticides ?
Y. J. : Si on gagne, dès le lendemain, il n’y a plus de glyphosate ! Ensuite, on peut sortir des pesticides, en réduisant de 50 % les IFT sur cinq ans, et supprimer les 50 % restants sur quinze-vingt ans car on sait que sur certaines maladies, c’est plus compliqué, il faut de la recherche et de l’innovation.
LD-LPM : Le revenu d’existence que vous proposez est-il une solution aux faibles revenus agricoles ?
Y. J. : Le revenu d’existence n’est pas un minimum social. Le principe d’un agriculteur, c’est de vivre de sa production et il n’y a pas de raison qu’il ne puisse pas le faire si on est sur des cultures à valeur ajoutée. Les agriculteurs ont trop souffert d’une vision de la société qui en fait les assistés de l’argent public. L’agriculture, c’est 120 à 130 € par Européen par an, c’est beaucoup d’argent, et cela oblige la Pac à associer les consommateurs à la réflexion. Mais je ne veux pas que les paysans deviennent bénéficiaires d’un minimum social. Ils doivent pouvoir vivre de leur travail.
LD-LPM : Certains producteurs vendent à perte…
Y. J. : J’ai vu un commissaire européen dire que ça n’existe pas. Cela montre l’inculture du commissaire Phil Hogan. Nous devons interdire la vente en dessous du coût de production et mettre en place des mécanismes de régulation comme le prix minimum garanti.
LD-LPM : Le revenu des agriculteurs est également plombé par les relations commerciales déséquilibrées. Avez-vous des propositions sur cette question ?
Y. J. : À partir du moment où une bonne partie des débouchés sont la restauration collective, et donc qu’une bonne partie des productions agricoles ne sont pas uniquement dirigées vers des géants de l’agroalimentaire, on rééquilibre déjà un rapport de force. De plus, je suis pour la restauration de mécanismes de régulation de la production. Sans cela, vous n’avez pas de rapport de force avec Lactalis par exemple. Il faut à tout prix éviter les surproductions qui se font au détriment des animaux et des revenus des éleveurs. La dernière crise de l’élevage est aussi une crise des grosses structures. Je fais un parallèle avec le diesel : à force de mettre des normes, aujourd’hui il n’est plus rentable. L’enjeu est donc, à l’échelle européenne, de restaurer des normes en matière sociale et environnementale pour que les fermes de 1000, de 10 000 ou de 50 000 vaches ne soient pas rentables et ne soient pas le pari industriel.
LD-LPM : Vous dénoncez donc l’élevage industriel, du type Ferme des 1 000 vaches, mais quel est votre point de vue sur le regroupement d’éleveurs de la Ferme des 1 000 veaux ?
Y. J. : Pour moi c’est pareil, c’est industriel en raison des conditions d’élevage. Ce n’est pas seulement la taille, mais le fait que ce soit clos, que les vaches ne soient pas à l’herbe toute une partie de l’année. L’idée, c’est de retrouver cette réalité. Une vache, ça mange de l’herbe.
LD-LPM : Quelles sont vos propositions en matière de bien-être animal ?
Y. J. : Nous faisons nôtres les soixante-cinq mesures de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage… mais la maltraitance animale a aussi lieu lors du transport. Il faut recréer des abattoirs itinérants dans le respect des règles sanitaires. Enfin, il y a les conditions d’élevage elles-mêmes. Il faut lutter contre l’élevage intensif et favoriser l’élevage sous label. Et pour relever l’enjeu climatique, il faut diminuer la consommation, notamment la viande rouge et passer progressivement à de la viande blanche bio.
LD-LPM : L’avenir de l’élevage se joue aussi dans le cadre des accords bilatéraux. Les négociations avec le Canada et les États-Unis vous inquiètent-elles ?
Y. J. : Oui ! Quand les Canadiens vont créer une filière viande bovine sans hormones à près de 70 000 t, ce sont des morceaux arrières, des pièces de qualité qu’ils nous enverront, pas du haché. Or l’élevage canadien sera toujours 30 % moins cher que l’élevage européen car ils ont moins de normes environnementales et de bien-être animal. Il y aura des problèmes de concurrence avec nos éleveurs.
« Dans nos sociétés occidentales, la viande est un plaisir, pas une nécessité. »
« Nous devons interdire les ventes en dessous des coûts de production. »
« Je suis pour la restauration de mécanismes de régulation de la production. »