Prospective
Le développement du fret ferroviaire passera par une logique de services
La relance du transport ferré en France nécessite massification des flux, qui sous-tend la création d’un « intégrateur ferroviaire ».
« NOUS PENSONS TRÈS FORT qu’il y a de la place pour le développement du fret ferroviaire dans les années qui viennent », a déclaré Luc Roger, le directeur des affaires européennes et internationales de Réseau Ferré de France (RFF), à l’occasion des “Journées européennes du fret ferroviaire” qui se sont déroulées fin mars dans le cadre de la Semaine internationale du transport et de la logistique (Sitl 2012). Et de reconnaître que « même si la situation conjoncturelle du fret ferroviaire en France n’est pas optimiste, au niveau européen, le trafic de marchandises par la voie ferrée est en légère progression en 2011 par rapport à 2010 ». Une opinion corroborée par les conclusions d’une étude d’Eurogroup Consulting, intitulée “Le fret ferroviaire, un mode d’avenir compétitif pour l’Europe : regards croisés de chargeurs, opérateurs et pouvoirs publics”. Il ressort des témoignages du terrain, recueillis par le cabinet de conseil en stratégie et en organisation européen, que « la phase de transition dans laquelle se trouve le fret ferroviaire doit l’amener progressivement à basculer d’une réponse technique à une vision plus orientée “service” ».
Clarifier les rôles de chacun des acteurs
En France, au-delà des difficultés liées aux infrastructures, à la gestion des sillons, des travaux..., l’offre des opérateurs ferroviaires n’arrive pas à répondre correctement à la demande des chargeurs. Ces derniers attendent que « les opérateurs s’adaptent à leurs contraintes en proposant des offres plus flexibles et plus compétitives de bout en bout ». Réciproquement, les opérateurs souhaitent que « les chargeurs adaptent leur chaîne logistique aux moyens de transport ». Ce statu quo est-il inéluctable ? Les entretiens, passés par Eurogroup Consulting, ont montré qu’une « relation tripartite entre le gestionnaire d’infrastructure, les opérateurs et les chargeurs pourrait être instaurée », notamment pour permettre une meilleure compréhension des besoins et contraintes de chacune des parties. Cependant, le rôle du gestionnaire d’infrastructures n’est-il pas avant tout d’offrir des sillons adaptés aux contraintes logistiques (horaires, qualité...) ? Quant aux commissionnaires, au-delà de proposer de meilleures offres, ne se doivent-ils pas d’être plus entreprenants sur le mode ferroviaire pour être à l’origine de regroupements entre les chargeurs afin de mutualiser les flux aller-retour ?
Créer un maillage optimal avec la route et cohérent avec les flux de marchandises
Le fer ne doit pas être considéré comme une alternative exhaustive au routier mais plutôt comme l’opportunité de positionner des tronçons ferroviaires pertinents par rapport aux enjeux de la chaîne logistique, souligne le cabinet de conseil. En effet, pour les chargeurs, « proposer systématiquement des offres de rail ne permettra pas de répondre à toutes les situations ». Pour les clients ayant de nombreux sites de livraison non embranchés, comme la grande distribution, l’offre ferroviaire n’a pas vocation à exister puisqu’elle ne correspond pas aux exigences de cette clientèle (livraisons plusieurs fois par jour, rotation multi-sites...). De plus, la possibilité de choisir entre plusieurs modes de transport est un atout pour les chargeurs. Non seulement il leur confère un pouvoir de négociation plus important face aux transporteurs, mais cela leur permet aussi d’avoir un mode alternatif si le premier n’est pas facilité.
Cependant, le volume des flux qui pourraient être transférés sur le fer semble limité et, selon certains chargeurs, « dans l’état actuel du réseau, il suffirait de basculer 10 % du trafic routier pour arriver à saturation ».
Développer la capacité de massification et adapter l’organisation du système
Massifier davantage les flux redynamiserait le recours au fret ferroviaire. Au-delà des regroupements ponctuels de chargeurs, qui pourraient être relayès par des OFP (dont l’implantation régionale reste à densifier), il semble nécessaire de développer et de pérenniser cette massification, en passant d’une logique individualiste à une logique collective. Selon Eurogroup Consulting, il semblerait alors pertinent de « voir assumé le rôle d’intégrateur ferroviaire chargé d’identifier des besoins et d’agréger la demande ». Cet acteur n’existe pas en France, contrairement à l’Allemagne où « DB Schenker maîtrise toute la chaîne et a pour mission de faciliter l’industrie allemande dans le monde ». Par ailleurs, les acteurs du secteur font part d’une forte volonté de voir un réseau européen davantage structuré et intégré.
La phase de transition que vit le fret ferroviaire doit donc être l’occasion de repréciser les rôles de chacun, conclut l’étude, avec « des opérateurs davantage orientés performance et sens du service, des commisionnaires plus engagés dans un rôle d’intégrateur multimodal, des chargeurs qui n’hésitent pas à assouplir leurs contraintes et des pouvoirs publics qui renforcent leur champ d’action au niveau européen ».