La filière bio veut pouvoir inscrire des semences spécifiques
La mise en culture de certaines variétés pourrait offrir de nouvelles perspectives à la filière bio, désireuse de valoriser son alterité
« L’agriculture biologique, c’est le parent pauvre de la sélection en France. » Pour Bernard Rolland, chercheur à l’Inra de Rennes, il faut de toute urgence donner l’opportunité à la filière d’inscrire des variétés qui lui conviennent. Ne serait-ce que pour parvenir à passer 6 % de la SAU en bio d’ici 2012, comme le demande le projet de loi Grenelle 1. C’est en tout cas l’un des messages qu’ont porté les intervenants lors des journées agriculture biologique et sélection variétale, organisées à Paris les 28 et 29 avril par l’Itab (Institut technique de l’agriculture biologique). En blé tendre, « les variétés du catalogue ne répondent pas vraiment aux spécificités de l’agriculture biologique », a précisé Isabelle Goldringer, chercheuse à l’Inra du Moulon. Une explication parmi d’autres : « Ce n’est pas la même chose de sélectionner un blé pour faire du pain au levain ou pour faire de la panification industrielle à levée rapide », a-t-elle rappelé.
Des critères d’évaluation définis avec les agriculteurs
La scientifique travaille depuis deux ans sur le projet Picri (Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation) en collaboration avec le réseau Semences paysannes. Objectif : « Sélectionner des variétés parmi des populations adaptées à l’Ile-de-France mais aussi de haute qualité gustative », a-t-elle expliqué. Pour l’instant, Renan, inscrite en 1989, reste la principale variété de blé tendre cultivée en France et l’une des rares à avoir passé le cap de l’inscription classique. Dans ce contexte, le projet Picri vise à tester un ensemble de ressources (variétés locales et régionales issues de banques de graines, variétés inscrites au catalogue français, mélange de variétés plus hétérogènes) par la mise en culture dans des fermes biologiques. Les essais sont ensuite évalués selon des critères techniques, agronomiques mais aussi technologiques, comme la note de panification, définis avec les paysans et les boulangers.
CF99102 en attente d’inscription
Mené à plus grande échelle et depuis plus longtemps, le programme de sélection de blé tendre pour l’agriculture biologique sur lequel travaille Bernard Rolland repose sur une démarche voisine. Il a commencé en 2001 avec un tri multilocal dans un pool de blés dits rustiques, pris dans plusieurs régions. Des tests ont été effectués chez des agriculteurs biologiques sur des parcelles expérimentales, puis le réseau de criblage variétal de l’Itab a permis d’évaluer les meilleures lignées pures. Bilan : « Nous avons identifié la variété CF99102 », a mentionné Bernard Rolland. D’un rendement supérieur de 10 % à celui de Renan, elle se montre résistante à la fusariose, à la septoriose et aux rouilles, offre une bonne aptitude boulangère… et ne demande qu’à être inscrite. Cependant, si grâce au bonus accordé aux variétés qui obtiennent des résultats très similaires dans les essais traités et non traités, le système français permet d’homologuer des variétés à bas intrants, ce n’est pas le cas pour les variétés biologiques. « Nous avons favorisé le rendement jusqu’à présent », reconnaît Jean Wohrer, du Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences).
L’Autriche en avance
Aujourd’hui, la filière attend la mise en place d’une VAT (Valeur agronomique et technologique) bio. Rien d’impossible puisqu’elle existe déjà en Autriche, pays qui avec 11,7 % de surfaces en bio, a le plus fort taux de production biologique en Europe. « Le test VAT a favorisé l’introduction de plusieurs nouvelles variétés qui peuvent améliorer la production en bio, par exemple des variétés à très haute teneur en protéines ou des variétés spécialisées », a commenté Franziska Löschenberger, qui travaille pour le semencier Saatzucht Donau. Pour être plus efficace, la société associe cinq années d’essais en conventionnel suivi de cinq années en biologique pour une variété en cours d’inscription. Ce qui lui permet d’avoir plus de données.
Saatzucht Donau détient en 2009 70 % du marché autrichien des semences bio. Plusieurs réunions devaient avoir lieu entre le CTPS (Comité technique permanent de la sélection) et la filière avant l’été. Peut-être porteront-elles leurs fruits. Au moins pour les céréales.