Marché du blé
Conséquences du retour de la Russie
Après la levée de son embargo à l’export, la Russie suscite beaucoup de questions autour de sa production et de ses ventes à l’étranger.

Le retour de la Russie aux exportations soulève encore une question fondamentale pour les marchés agricoles : quel est l’état des stocks ? Pour la plupart des traders, « du blé en Russie, il y en a, indépendamment de la récolte 2011 », peut-on lire dans un article de Leandro Pierbattisti de France Export Céréales, paru dans Actualités Agricoles du 1er juillet. Les opérateurs sont en effet très méfiants envers les prévisions de stocks russes, autant pour la campagne 2010/2011 que pour la prochaine récolte. Et pour cause, les marchés pensent que la production 2010 serait sous estimée, sans compter que, par une surestimation du nombre de bêtes, la consommation domestique fourragère serait elle aussi prévue à un trop haut niveau. Les stocks 2010/2011 seraient ainsi plus importants que les prévisions russes le laissent entendre. De plus, le volume disponible dans les silos du sud du pays est connu et atteint des chiffres importants à 7 Mt de blé à la fin du mois d’avril, selon Leandro Pierbattisti. Et ce, malgré les expéditions du sud vers le centre du pays qui ont dépassé les attentes. Les autorités russes ont en effet transféré des marchandises du sud et de la Sibérie vers les régions sinistrées par la sécheresse de la campagne précédente. Ces régions ont ainsi envoyé, entre le 1er janvier 2010 et le 28 février 2011, 5,7 Mt de blé vers les régions sinistrées, notamment le Centre et la Volga. C’est par les subventions au transport appliquées par le gouvernement depuis le 1er janvier 2011 que ce transfert de masse a pu se mettre en place, évitant à la Russie d’importer au moins 3 Mt de blé en 2010/2011.
Une campagne bien partie
Sur la nouvelle campagne, les informations ne sont pas moins optimistes. Même si, pour le moment, les premiers retours font état d’une perte de 20 % des semis d’hiver dans les régions Centre et Volga, en raison de conditions climatiques défavorables, elle serait compensée en majeure partie par des conditions clémentes durant la période végétative. Au Sud d’ailleurs, le climat est favorable aux cultures depuis le début de la saison. Des températures basses ont certes retardé le démarrage des semis de printemps, mais les objectifs d’ensemencements fixés par le gouvernement russe étaient déjà pratiquement atteints à la fin du mois de juin. Même la sécheresse dans la région du Centre qui commençait à inquiéter les opérateurs ne se sera finalement limitée qu’à une fausse alerte, des précipitations rassurantes ayant écarté toutes craintes. L’institut Ikar est d’ailleurs optimiste quant à la production de blé russe. Dans son estimation du 12 juin dernier, il prévoyait en effet une production de blé russe de 54 Mt et une capacité d’export de 11,5 Mt. Quant à la société SovEcon, elle a, dans ses prévisions du 8 juin dernier, estimé à 53 Mt la production dont 15 Mt seraient destinées à la vente sur pays tiers.
Quelle politique d’exportation ?
Sans grosse catastrophe climatique avant la fin de la campagne, le retour de la Russie sur le marché international se fera avec des stocks conséquents à l’appui. Mais les interrogations du marché ne se limitent pas seulement à la quantité de céréales disponible dans le pays, mais aussi à la politique d’exportation qui sera adoptée par le Kremlin. Car c’est bien la présence intermittente ou permanente, plus que le volume disponible, qui aura une véritable influence sur les cours des marchés mondiaux. Deux courants se déchirent pour le moment, la politique “libérale” et la politique “interventionniste”. Si la première défend la libéralisation totale des exportations, avec une taxation fixe, la seconde est plus axée sur la taxation variable et donc à la libéralisation partielle, qui permettrait au gouvernement russe de contrôler le flux et les prix. Le risque d’une levée de l’embargo non règlementée risque en effet de provoquer un mouvement inflationniste qui toucherait directement le pouvoir d’achat des retraités urbains à faibles revenus. Mais les taxes à l’export empêcheraient les ruraux de bénéficier des prix de vente pratiqués sur le marché mondial. A l’approche des élections parlementaires, le pouvoir est donc partagé entre deux bases d’électeurs majeures du pays. Mais si l’orientation politique semble vouloir s’appuyer sur des considérations nationales et électorales, c’est bien l’ensemble des cours mondiaux du blé, et donc des matières premières agricoles, qui seront impactés par la décision russe. « La situation mondiale du blé n’est pas, à nos yeux, désespérée, mais elle est fragile », expliquait un trader à Actualités Agricoles. Dans ce contexte tendu, c’est donc désormais l’ensemble des marchés qui se tournent vers la Russie. Cette dernière risque de se révéler être un véritable arbitre dans les cours des marchés mondiaux ces prochains mois.