Aller au contenu principal

Commerce du blé tendre : le calme avant la tempête de 2023-2024 ?

Stratégie Grains a pour l’instant une vision plutôt baissière du marché des céréales pour 2023-2024. Agritel s’inquiète de la concentration de l’offre de blé en Russie. De son côté, VisioCrop juge les conditions de culture très bonnes dans l’UE.

© Alois_Wonaschuetz - Pixabay

La campagne commerciale de céréales 2022-2023 n’est pas encore terminée que le marché a déjà les yeux rivés sur la suivante. Les analystes contactés ont à ce sujet quelques divergences. Le cabinet Agritel estime que le monde ne pourra pas se permettre un accident climatique, Stratégie Grains et VisioCrop jugeant qu’il est encore un peu tôt pour se prononcer. Seule certitude, la volatilité sur les marchés n’est pas près de s’estomper en cette période trouble : guerre en Ukraine, changement climatique, phénomène El Niño, risque de récession économique, etc. Les spécialistes rencontrés sont, en revanche, plutôt d’accord sur le fait qu’on ne manquera pas de blé en 2022-2023.

Les moissons sont achevées dans l’ensemble des pays et les volumes ne devraient guère évoluer d’ici à juin 2023. Citons par exemple la récolte en Russie qui s’est avérée record, dépassant les 110 millions de tonnes (Mt), selon les autorités locales (chiffre qui fait débat), tout comme en Australie, autour des 40 Mt. « La Russie et l’Australie représenteront 45 % du commerce mondial de blé durant les prochains mois », a relevé Nathan Cordier, analyste d’Agritel, lors du Paris Grain Day du 26 janvier.

Si l’Ukraine a déploré un repli des volumes collectés entre 2021 et 2022 à cause de la guerre, passant de 33 Mt à 20,2 Mt, d’après Agritel, « la campagne d’exportation 2022-2023 a démarré lentement, tout comme en Russie, générant des stocks qui sont ressortis grâce aux corridors humanitaires et l’assouplissement des restrictions sur les exports russes », rappelle Nathan Cordier. La production européenne a été correcte, et la France a pu compenser l’absence ukrainienne, voire russe, sur le marché mondial en début de campagne.

Des stocks records de blé chez les grands exportateurs

Selon Agritel, les volumes exportables au sein des sept plus importants exportateurs mondiaux (UE, Canada, Australie, Russie, Ukraine, États-Unis, Argentine) jusqu’à juin 2023 se situent à un niveau record, aux alentours de 83 Mt. Les stocks au sein de ces pays culminent depuis 2018-2019, à 64,9 Mt, d’après la même source. Tout cela s’est fait ressentir dans les prix. Ceux du contrat blé tendre Euronext en spot s’élevaient à 438,25 €/t le 17 mai 2022, puis sont redescendus sous les 300 €/t début 2023, un niveau semblable à celui observé avant la guerre en Ukraine (24 février 2022). C’est là que les inquiétudes commencent pour Agritel. « On a l’impression que le marché ignore le contexte actuel très instable. Les primes “guerre en Ukraine” et “risque climatique” semblent aujourd’hui avoir disparu », opine Gautier Le Molgat, directeur général adjoint d’Agritel.


Le cabinet d’analyse projette certes des stocks de blé abondants pour 2022-2023, mais il rappelle que c’est essentiellement du fait de la Russie. En effet, sur les 64,9 Mt au sein des sept plus gros fournisseurs mondiaux, 21,9 Mt en sont issus. Si l’on exclut la Russie, les réserves de fin de la présente campagne tombent à 43 Mt, un plus bas depuis 2007-2008. Par conséquent, celles de début de campagne 2023-2024 risquent de ne pas être aussi plantureuses qu’espéré. La moisson ukrainienne 2023-2024 chuterait à 15,2 Mt, contre 20,2 Mt l’an dernier, conséquence d’une sole qui passe de 5 Mha à 4 Mha sur la période, selon Agritel.

Aux États-Unis, un désenchantement des producteurs locaux pour le blé depuis plusieurs années est constaté. « Il y a eu un rebond des surfaces entre 2022-2023 et 2023-2024, mais les conditions de culture sont très mauvaises dans certains endroits, notamment le Kansas », soulève Nathan Cordier. La production dans l’UE ne changerait guère, à 129 Mt en blé tendre (136,5 Mt en considérant le blé dur). Au sein des sept grands exportateurs, la production tournerait autour des 365 Mt en 2023-2024, contre plus de 375 Mt en 2022-2023 (voir graphique).

 

 

Mais d’autres experts ont une vision quelque peu différente. Le cabinet d’analyse Stratégie Grains est pour le moment plutôt baissier en matière de prix des céréales : blé tendre, orge et maïs. « Certes, la récolte de blé s’effriterait en Australie à cause du phénomène El Niño. Mais elle augmenterait au sein des principaux pays importateurs, notamment en Afrique du Nord ou au Proche-Orient », confie Benoît Fayaud, analyste à Stratégie Grains. Par exemple, la récolte au Maroc, catastrophique en 2022, repartirait à la hausse cette année, à condition que le climat reste clément. La Turquie connaîtrait également un léger rebond de sa production. Bien entendu, ces prévisions peuvent changer en fonction des conditions climatiques.

Demande mondiale de la nutrition animale en baisse

Mais surtout, Stratégie Grains constate une destruction de la demande internationale en grains assez significative de la nutrition animale. « Les mauvaises conditions macroéconomiques en 2022 ont pesé sur la consommation de viande et, par ricochet, de grains. La demande peut s’améliorer un peu en 2023, mais insuffisamment à l’heure actuelle pour surpasser l’offre », estime Benoît Fayaud.
Certes, la production ukrainienne chuterait drastiquement. « Mais l’Ukraine a davantage d’effet sur le marché du maïs ces dernières années », argue le spécialiste de Stratégie Grains. Et bien que les assolements de maïs s’écroulent, eux aussi, en Ukraine, ceux aux États-Unis se stabiliseraient. Et la potentielle baisse des cours du blé tendre ferait pression sur ceux du maïs.

Luc Lorin, dirigeant et fondateur de VisioCrop, se veut également plus prudent qu’Agritel : « Les conditions de culture de blé sont excellentes actuellement dans l’Union européenne. Le phénomène El Niño pourrait significativement relever la production en Argentine, et les moissons en Inde sont, pour le moment, prometteuses. » L’analyste précise que la récolte indienne 2023 est susceptible de culminer à 112-116 Mt, en raison de surfaces bien au-dessus de la norme. Ces opinions sont amenées à évoluer tout au long de l’année 2023. Il s’agira d’accorder une attention toute particulière à la demande internationale, mais aussi aux récoltes au sein des pays n’étant pas des gros exportateurs, voire importateurs. Sans oublier la situation macroéconomique internationale. Une récession planétaire en 2023 affecterait potentiellement la consommation de denrées alimentaires, alors qu’une croissance plus forte qu’attendu aurait l’effet inverse.

Les plus lus

« Le gouvernement russe entretient la non-transparence sur le marché des céréales, affectant même les opérateurs russes »

Philippe Mitko, chargé des relations extérieures de Soufflet Négoce by InVivo, a accepté de nous donner sa vision des marchés…

À qui profitent vraiment les dons de blé russe?

Li Zhao Yu, Yann Lebeau, Roland Guiraguossian et Delphine Drignon, experts du département relations internationales…

Blé dur - Comment la filière et le gouvernement comptent relancer la production en France ?

Les surfaces de blé dur décrochent en France depuis des années. Un soutien de l'État français leur permettrait de rebondir,…

Les stocks français de blé tendre et de maïs grimpent encore, selon FranceAgriMer

Alors que les stocks français de blé tendre et de maïs s'étoffent, la demande chinoise en orge permet d’alléger le bilan…

Groupe Avril - Échange de postes de direction au sein de ses filiales

Le groupe Avril espère faire bénéficier à ses filiales Lesieur et Saipol les regards nouveaux des deux dirigeants.

Un marché des céréales sans boussole en 2024

La moitié de la population mondiale va élire de nouveaux gouvernants cette année, ce qui est susceptible d’affecter l’état du…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 352€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site La dépêche – le petit meunier
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez votre revue numérique la dépêche – le petit meunier
Recevez les évolutions des marchés de la journée dans la COTidienne