Interview Cohesis
« Avec un blé à 140 €/t, on ne pourra pas produire de l’éthanol à 50 €/hl »
La Dépêche-Le Petit Meunier : Des médias vous ont attribué des propos remettant en question la viabilité économique de l’éthanol de blé. Pouvez-vous préciser votre position ?
J.-P. Cochet, directeur général de Cohesis : Il y a 3 ans, au moment de la mise en place des projets biocarburants, un ensemble de paramètres étaient au vert et permettaient une réflexion autour de ceux-ci. A savoir, un prix du blé assez bas (90 €), avoisinant le prix de revient de l’agriculteur ; l’obligation de jachères destinées à des utilisations industrielles ; la mise en place d’une défiscalisation significative, avec le soutien de l’ensemble de la société ; le prix de l’éthanol à 60 €/hl et un stock d’énergies fossiles annoncé faible face à une consommation croissante. Entre temps, le prix du blé a montré qu’il pouvait monter à 250 € et se tient, à ce jour, autour des 130 €/t, avec un coût de revient pour l’agriculteur d’au moins 120 €/t. En parallèle, la défiscalisation a été réduite et pourrait disparaître. La jachère et l’obligation d’envoyer des produits vers l’utilisation industrielle n’existent plus. Le prix de l’éthanol, qui a montré une certaine indifférence face à l’envolée du pétrole, est aujourd’hui compris entre 45 et 50 €/hl. De surcroît, la société et le gouvernement ne soutiennent plus les agrocarburants. La situation a donc changé et nous ne connaîtrons plus les circonstances permettant à cette industrie de s’équilibrer. Il est évident qu’aucun projet éthanol de blé n’est susceptible de démarrer aujourd’hui. Cohesis souhaite alerter les différentes instances et mettre en place une réflexion sur l’avenir de ces outils industriels, encore intéressants pour l’équilibre du marché du blé.
LD-LPM: Le retour du prix du blé autour de 140 € menace t-il la rentabilité des usines ?
Hugues Dazart, président de Cohesis : Avec un blé à 140 €/t, on ne sera jamais capable de produire de l’éthanol pour un marché à 50 €/hl. Si les usines françaises payaient le blé à ce niveau, elles subiraient de très lourdes pertes remettant en cause leur pérennité.
LD-LPM: L’ engouement de vos adhérents est-il le même qu’au lancement de la filière ?
H.D. : Nos adhérents, engagés dans des productions de blé éthanol pour 5 ans dans le contexte précité, attendent une solution pour continuer. On constate chez eux une forte interrogation sur le renouvellement de leur contrat arrivant à échéance. Ils ont besoin de l’assurance que le prix du blé éthanol soit équivalent au prix de marché pour se décider. La mise en place d’un schéma de rémunération de leurs apports, similaire au colza diester, pourrait leur convenir.
LD-LPM : Le changement d’évaluation de l’Ademe intégrant la culture du blé modère t-il l’intérêt écologique de la filière bioéthanol ?
H.D. : L’évaluation du bilan carbone de l’Ademe intègre la fabrication de l’éthanol mais aussi “ la fabrication du blé ”. Dans ce cadre, les bilans ne sont plus les mêmes : cela aura des effets sur le regard “ écologique ” de la filière bioéthanol française, à la fois pour le gouvernement et pour la société. Il faut s’y préparer dès maintenant, en examinant les autres filières de production (qu’en est-il de l’éthanol de betteraves, qui produit 3 fois plus sur le même hectare ?) et en mettant en valeur les autres bilans (emplois, ressources fiscales produites par la filière de production agricole, indépendance énergétique, etc). Il faut aussi continuer à travailler sur des méthodes de production agricoles plus économes en ce qui concerne le bilan carbone : les pistes ne manquent pas.