Xavier Bailly, épidémiologiste à l'INRAE : « On a des conditions environnementales qui deviennent favorables à l’installation de maladies qu’on ne connaissait pas »
Directeur de l’unité de recherche Épidémiologie des maladies animales et zoonotiques à l'Inrae de Clermont-Ferrand, Xavier Bailly est l'un des artisans d'une étude récente sur la santé des élevages. Alors que la DNC s'est abattue sur des cheptels français, il tente d'éclairer son cheminement.
Directeur de l’unité de recherche Épidémiologie des maladies animales et zoonotiques à l'Inrae de Clermont-Ferrand, Xavier Bailly est l'un des artisans d'une étude récente sur la santé des élevages. Alors que la DNC s'est abattue sur des cheptels français, il tente d'éclairer son cheminement.
En quoi, selon vous, la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) diffère des épizooties de FCO et MHE auxquelles la France a été confrontée ces dernières années ?
Xavier Bailly : Ce qui surprend avec la DNC c'est son caractère soudain et imprévisible. Pourtant, les travaux d'expertise menés durant la dernière incursion de la maladie en Europe avaient conclu à un risque d'introduction limité en France. Contrairement à la FCO et la MHE qui sont arrivées par le sud, formant une vague épidémique qui se propage, avec la DNC, nous sommes dans un processus beaucoup plus complexe que personne n'a pu voir venir. La maladie a été détectée en Sardaigne fin juin, et une dizaine de jours plus tard, on a eu des cas en Savoie. Le chemin et la vitesse de propagation interrogent.
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La réponse sanitaire des autorités a-t-elle été à la hauteur ?
Xavier Bailly : Ce qu'il faut bien comprendre c'est qu'avec ce type de maladie, la réponse doit être drastique. L'abattage total aussi dur soit-il pour les personnes impactées est indispensable. Une fois la maladie installée, il faut agir vite et fort. Sans ces mesures de gestion sanitaire, les implications seraient catastrophiques à l'échelle de l'élevage en général. La baisse de température de ces prochaines semaines devrait être plus favorable à la gestion de l'épidémie.
Détectée pour la première fois en Afrique en 1929 (voir encadré), la DNC a-t-elle pu se frayer un chemin à la faveur du changement climatique ?
Xavier Bailly : L'impact est fort c'est certain. D’autant que c’est une maladie avec une large part de la transmission qui doit être vectorielle, c’est-à-dire qui passe par des insectes qui la transmettent entre animaux. Et quelque part, la dynamique de tous ces insectes vecteurs est liée à la période qui est favorable à leur activité. En fait, on peut faire un parallèle avec ce qui se passe en santé publique sur les maladies comme la dengue ou le chikungunya, dans le sud de la France, où l’on commence à avoir des séries de cas autochtones. On a des conditions environnementales qui deviennent favorables à l’installation de maladies qu’on ne connaissait pas. On a une accélération des zoonoses, de maladies émergentes qui sont liées aussi au phénomène de mondialisation qui facilite les capacités de migration des pathogènes.
Outre la DNC, quelles maladies animales vous inquiètent-elles ?
Xavier Bailly : On surveille de très près la peste porcine africaine qui a un très gros impact sur les élevages porcins. Le souci avec cette maladie c'est qu'elle peut infecter le sanglier sur lequel on n’a pas de prise. Il y a aussi quelques cas de fièvre aphteuse en Europe de l'Est récemment, dont les symptômes peuvent être confondus avec ceux de la FCO. Aux États-Unis, des problèmes de grippe chez les bovins ont été signalés avec un pathogène peu fréquemment rencontré chez ces animaux.
L'INRAE vient de publier un rapport complet sur la santé des élevages
Sur quels leviers la recherche travaille pour accompagner les éleveurs face à cette recrudescence des risques sanitaires ?
Xavier Bailly : Au sein de l'INRAE, nous contribuons à une plateforme d'épidémiosurveillance internationale dans le but d'améliorer les stratégies de gestion des maladies. Parallèlement, nous mettons en place des programmes de lutte contre les pathogènes. L'idée est de travailler avec des partenaires comme l'Institut Pasteur, sur plusieurs leviers : la sélection génétique, l'immunité, la détection précoce, le suivi du comportement des animaux. Ensuite, il nous faut grandir l'échelle pour modéliser à l'échelle des systèmes d'élevage. Notre but est d'éclairer au mieux les choix des gens sur le terrain.
La DNC est présente depuis 1929 en Afrique
La dermatose nodulaire contagieuse n’est pas nouvelle car elle a été isolée dès 1929 en Zambie et dans divers pays d’Afrique où elle semblait cantonnée jusque dans les années 80 et où elle sévissait essentiellement en Egypte et autour du Sahara. Deux foyers avaient cependant été déclarés en dehors de ce continent en 1989 en Israël et en 1993 à la Réunion. Dans les deux cas, un abattage total avait permis de juguler son extension. Depuis hélas, divers foyers ont été détectés et confirmés dans la péninsule Arabique et au Moyen-Orient et gagnent l’Europe ; la Turquie est touchée depuis Novembre 2013, la Russie depuis mai 2015, la Grèce en Août 2015, la Bulgarie et la Macédoine en avril 2016, la Serbie en Mai, l’Albanie en Juin et le Monténégro en Juillet 2016. Des foyers sont aussi déclarés en Arménie, au Kazakhstan confirmant l’extension vers l’Est aussi.