Une stratégie pour encadrer l’essor du big data
Accompagner l’essor du numérique tout en gardant la main sur les données collectées, est la stratégie de la Commission européenne pour les vingt-sept pays de l’Union. En France, un label « Cloud de confiance» a même été créé.
Compte tenu du volume d’informations collectées, « la donnée agricole devient un nouvel or vert qui intéresse de nombreux acteurs : agriculteurs, semenciers, équipementiers, industries alimentaires etc…», écrit Jérôme Lerbourg, auteur de l’étude « Les grands enjeux de l’agriculture du numérique : équipements, modèles agricoles, big data ». Mais l’exploitation des données collectées et l’utilisation qui en est faite, suscitent beaucoup de méfiance. Elles sont même un frein à l’essor des techniques du numérique. Les stratégies adoptées par l’Union européenne pour mettre en place une gouvernance technologique structurée entre les Vingt-sept respecteront leurs règles et leurs valeurs. Elles visent à relocaliser le stockage et le traitement des données. Dans le même temps, « le stockage labellisé des données collectées permettra au secteur agricole de bénéficier de l’avance technologique des géants du numérique tout en soumettant ces données aux réglementations européennes », affirme Jérôme Lerbourg.
Sécurisation des informations
Par exemple, les techniques d’intelligence artificielle, notamment le deep learning, (apprentissage par la machine s’appuyant sur des réseaux de neurones artificiels) « offrent des capacités d’investigation très importantes qui permettent de réaliser des modèles et des applications dans tous les domaines », affirme l’auteur de l’étude. « Mais la réglementation européenne et nationale protège la masse des données collectées et stockées pour réaliser ces nouvelles applications ».
Au niveau national, l’instauration du label « Cloud de confiance » s’inscrit dans cette logique de sécurisation des informations des entreprises et des individus présentée précédemment. Dorénavant, seules les entreprises (OVH Cloud par exemple) basées en France, et qui vendent des données, devront être possédées par des Européens, précise le ministère de l’Économie. Ce nouveau cadre réglementaire européen et national accompagnera l’essor du numérique dans les exploitations afin de répondre à la demande alimentaire de traçabilité de la société. Il permettra aussi de suivre la transition écologique à travers les pratiques agricoles adoptées. Mais cet essor, même encadré impactera l’évolution des modèles agricoles.
Un taux de pénétration très élevé
Selon les partisans du « low-tech » adeptes des outils les moins technologiques, les outils high-tech du numérique favoriseront l’agrandissement des exploitations et l’uniformisation des modèles agricoles. Leurs coûts restent très élevés et leurs utilisations réduisent considérablement le degré d’autonomie des agriculteurs. En attendant, la stratégie européenne de gouvernance technologique s’oppose au « Cloud Act », la loi fédérale américaine qui permet aux agences de renseignement ou aux forces de l’ordre, l’accès aux informations stockées par les services américains quelle que soit leur localisation sans avoir à informer le pays où est fait le stockage.
L’informatique est entrée dans tous les foyers d’agriculteurs. 86 % des éleveurs et cultivateurs interrogés consultent quotidiennement Internet, 70 % possèdent un smartphone, un chiffre légèrement inférieur aux taux d’équipement de la population générale française (77 %).
Plus de 95 % des exploitations sont couvertes par les réseaux mobiles et 67 % des répondants ont accès au réseau 4G. L’ordinateur est utilisé pour gérer les exploitations, pour faire des déclarations PAC ou pour gérer les comptes bancaires de l’entreprise. Les smartphones, leurs applications et leurs « aides à la décision » accompagnent la journée de travail des agriculteurs. Dans les champs, les matériels équipés d’outils numériques de géolocalisation et les robots de traite collectent quotidiennement des milliers d’informations agronomiques ou zootechniques.
Data en agriculture : qui peut accéder à mes données et à quel prix ?
Viticulteur dans le Bordelais, Thomas Solans utilise plusieurs outils d’aide à la décision sur son exploitation. Les données recueillies sont partagées avec sa coopérative. S’il fait confiance à sa coop, le viticulteur s’interroge sur l’absence de maîtrise sur le destinataire final de ses informations.
À Courpiac en Gironde, Thomas Solans a repris l’exploitation viticole du Clos d’Arnaudet en 2008 avec son père. Devant son écran d’ordinateur, il navigue sur le logiciel DeciTrait®, utilisé depuis deux ans. L’outil d’aide à la décision (OAD) lui permet d’appliquer au mieux les traitements de protection contre le mildiou et l’oïdium notamment. En cours de conversion en agriculture biologique, il lui assure aussi le strict respect des doses de cuivre, à savoir 4 kg annuels maximum. Couplé à sa station météo connectée, DeciTrait® modélise les risques de contamination. « Cet OAD calcule et prévoit le lessivage de la quantité de cuivre appliqué, détaille le viticulteur. Et il m’indique le jour pour positionner un traitement et être couvert par rapport à la période épidémiologique ».
La valeur apportée par la traçabilité est un enjeu
Le logiciel permet d’optimiser les traitements phytosanitaires et d’éviter les applications systématiques. Les données collectées sont ensuite transmises à la coopérative de Grangeneuve. Thomas Solans en est administrateur et fait « confiance à sa coop ». Le viticulteur voit dans cette traçabilité la possibilité d’accéder à certains marchés à l’avenir. « On pourrait s’en servir pour contractualiser avec les acheteurs, pour les rassurer. C’est un enjeu pour demain ». La question de la valorisation de ces données et de cette traçabilité se pose également.
Les contrats ne sont pas assez lus
Toutefois, Thomas Sotrans reconnaît ne pas contractualiser avec sa coopérative sur ses données. Il n’a pas non plus entièrement lu son contrat d’abonnement au logiciel. « Je ne me suis pas assez soucié de l’utilisation qui allait être faite de mes données. Si je me désabonne, elles seront perdues pour moi et je ne sais pas ce qu’elles deviendront ».
Il s’inquiète : « Les données pourraient être transmises à des gens susceptibles d’en faire un mauvais usage ». Dans un contexte d’agribashing, le viticulteur y voit une potentielle dérive avec le risque « qu’on dise que la pratique agronomique est mauvaise parce qu’il y a des traitements ».
L’agriculteur peut exiger une contractualisation du consentement