Sanitaire
Un troupeau creusois intoxiqué
Certaines intoxications végétales sont couramment connues en pathologie vétérinaire. Dans des situations particulières, comme la sécheresse, des cas cliniques plus rares peuvent être observés.
tourbeux dans l’Ouest, le Centre, les Pyrénées. Elle se reconnaît
facilement durant la période de floraison de juin à août, à ses fleurs
jaunes disposées en grappe. Typique des tourbières, des prés humides et des marécages, elle indique toujours des lieux d’écoulements d’eau, car elle a besoin, pour vivre, d’avoir les « pieds » dans l’eau.
Les intoxications végétales chez les herbivores domestiques constituent des entités cliniques assez fréquentes en pathologie vétérinaire. Les cas d’atteinte par les consommations de glands ou de fougère aigle sont régulièrement recensés. L’if ou les colchiques, par exemple, sont connus pour leur toxicité. Dans des conditions particulières, des cas exceptionnels peuvent être observés. Ainsi, la sécheresse de ce début d’année a ouvert une situation favorable à un empoisonnement inhabituel : l’intoxication par la narthécie des marais.
L’éleveur alerté par une vache avec des bouses de couleur et de texture « goudron » …
Mi-juillet, l’éleveur concerné alerte son vétérinaire pour une vache présentant une atteinte de l’état général avec présence de méléna (évacuation par l’anus de sang noir, pâteux et nauséabond mélangé aux fèces indiquant une digestion partielle et que l’hémorragie se situe relativement haut dans le tube digestif) et d’un important oedème au niveau de la vulve. Le bovin est mis sous traitement antibiotique et anti-inflammatoire pendant trois jours. L’état de l’animal se dégrade fortement et il est euthanasié.
… puis une atteinte de plusieurs animaux
Le jour de l’euthanasie, deux bovins du même lot sont montrés au vétérinaire pour anorexie. Le lot est constitué d’une trentaine d’animaux. L’une des vaches « marchant sur des oeufs », une hypothèse d’ehrlichiose bovine est évoquée avec un traitement à base de tétracycline. Deux jours plus tard, deux nouveaux bovins du lot sont rentrés par l’éleveur pour les mêmes symptômes d’amaigrissement et d’anorexie. L’une des deux vaches citées précédemment meurt, l’autre présente un appétit diminué avec, cependant, une amélioration de la démarche. L’autopsie de la vache révèle des hémorragies multifocales : coeur, tissus cutanés, cavité abdominale et des reins décolorés avec un important oedème autour. Un nouvel animal est ramené de la parcelle. Un des quatre animaux gardés sous surveillance est retrouvé pendu au cornadis. L’autopsie révèle les mêmes lésions rénales mais l’absence d’hémorragies multifocales. Le bilan actuel est le suivant, trois bovins sont morts, trois sont convalescents, une vache est dans un état critique, elle mange peu et est très faible, les deux autres ont un appétit pratiquement normal mais ne reprennent pas d’état. Le reste du troupeau ne présente plus de signes de diarrhée ou d’anorexie.
Une suspicion d’intoxication avec un impact rénal…
À la lumière de l’évolution épidémiologique, notamment au regard du nombre d’animaux touchés, l’hypothèse d’une intoxication est avancée avec deux possibilités :
- Des cyanobactéries, les vaches ayant eu accès temporairement à de l’eau stagnante ;
- Une plante toxique.
Les animaux rentrés ont tous présenté des symptômes de diarrhée allant pour certains jusqu’à l’émission de bouses hémorragiques avec rémission pour la plupart d’entre eux. La perte d’état s’est accentuée en raison d’un appétit variable suivant les jours. Les symptômes observés sur les animaux et les lésions relevées lors des autopsies orientent vers une intoxication avec un impact rénal conséquent. Quatre animaux sont testés au niveau de la fonction rénale. Ces examens révèlent une importante atteinte fonctionnelle avec une forte augmentation du taux d’urée et confirment donc la toxicité rénale de l’agent initiateur de cette problématique.
… d’où une enquête rétrospective et la consultation d’un expert
L’étude du passage dans les différentes parcelles sur les trois semaines précédant l’épisode clinique permet de remarquer un passage de deux jours sur un pré de fond (rappelons que fin juin, début juillet 2011, nous étions en pleine période de sécheresse), ce troupeau ne bénéficiait pas de complémentation de fourrage. Une plante est identifiée, il s’agit de la narthécie des marais (Narthecium ossifragum). L’observation de la parcelle montre que la plante était en fleur et qu’elle a été abondamment consommée. La consultation d’un expert, le Pr François Schelcher de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, et des recherches bibliographiques montrent des cas d’intoxication sur des bovins par ce végétal. Cette problématique est d’ailleurs indiquée dans le rapport d’activités 2005 du Conservatoire régional des espaces naturels du Limousin.
Une plante des marais et des tourbières
La narthécie des marais (Narthecium ossifragum) est une plante vivace, que l’on rencontre dans les marais et landes tourbeux dans l’Ouest, le Centre, les Pyrénées. Elle se reconnaît facilement durant la période de floraison de juin à août, à ses fleurs jaunes disposées en grappe. Ses feuilles étroites, allongées, fortement striées, sont comme imbriquées les unes dans les autres à la base. Typique des tourbières, des prés humides et des marécages, elle indique toujours des lieux d’écoulements d’eau, car elle a besoin, pour vivre, d’avoir les « pieds » dans l’eau. Le qualificatif « ossifrage » qui lui est appliqué illustre la réputation qu’a la plante de fragiliser les os du bétail qui la broute, en particulier chez les ovins. Cette observation n’a pas été vérifiée récemment, mais il s’avère que la narthécie des marais Narthecium est toxique pour le bétail :
- Les moutons sont atteints de photosensibilisation ;
- Des cas de néphrotoxicité mortelle touchant les bovins lui ont été attribués.
Des fleurs et des graines toxiques lorsqu’elle est consommée en quantité
La narthécie des marais peut être toxique par ses fleurs et ses graines, structure dans lesquelles semblent se concentrer les éléments toxiques. Les observations effectuées dans les parcelles où est présent ce végétal et qui sont pâturées régulièrement nous apportent les informations suivantes :
- Si la plante est pâturée jeune, avant la floraison, elle ne semble pas induire d’atteinte et donc les animaux ne risquent rien ;
- Ingéré en floraison ou en graine, mais en petite quantité par des animaux matures et habitués, cela s’avère sans conséquence.
Une conjonction de facteurs défavorables
La sécheresse importante du premier semestre 2011 a :
- Permis que cette parcelle, d’habitude trop humide, soit pâturée ;
- Favorisé la consommation de cette plante en raison du manque de fourrage ;
- Provoqué l’intoxication de certains animaux, certaines plantes étant en floraison voire en graines, stades de toxicité de la plante les plus élevés.
Il est donc recommandé sur les parcelles où la narthécie des marais est présente de faire pâturer les bovins une première fois au printemps pour que les bêtes broutent le plant jeune et s’y habituent. Le second passage en été est alors sans danger. Par précaution, les parcelles où la plante est très abondante ne doivent pas être pâturées à partir de la floraison.
Les précautions à prendre, les témoignages à fournir
Les intoxications végétales sont nombreuses. Lors de tout risque de consommation de plante non connue, notamment, lors de conditions météorologiques particulières, il est conseillé de s’informer pour connaitre son éventuel caractère toxique. En cas de doute, on s’abstiendra de les faire consommer. Afin d’informer utilement tous les éleveurs, n’hésitez pas à nous faire part de tout témoignage.