Décarboner l'élevage : à quel prix ?
Le très écouté Jean-Marc Jancovici a présenté au Sommet de l’élevage un scénario de décarbonation de l’élevage. Oui à la finalité, gros bémol sur les moyens, ont répondu les éleveurs.
Le très écouté Jean-Marc Jancovici a présenté au Sommet de l’élevage un scénario de décarbonation de l’élevage. Oui à la finalité, gros bémol sur les moyens, ont répondu les éleveurs.

Qu’il le veuille ou non, l’élevage français va devoir se décarboner : au-delà de la seule question climatique, c’est un autre déterminant, sa dépendance à des énergies fossiles en voie de contraction, qui va l’imposer. Mais plutôt que subir cette décarbonation, autant la piloter. C’est le message porté par Jean-Marc Jancovici (le père du bilan carbone), à la tête du think tank The Shift Project (lire L’union du 4 octobre), lors d’une conférence qui a fait le plein mardi 7 octobre au Sommet de l’élevage.
La dépendance massive au pétrole
Au préalable, le scientifique, polytechnicien, enseignant et conférencier, a montré combien le pétrole a été un moteur de modernisation et développement de l’agriculture, permettant de la doter d’auxiliaires surpuissants que sont les tracteurs et autres moissonneuses ou ensileuses. Un tracteur de 60 CV, “c’est la puissance de 600 paires de jambes...” Grâce au machinisme agricole donc, 1 % de la population active - les agriculteurs - peut nourrir 100 % de ses concitoyens. Revers de la médaille, cette dépendance massive de l’agriculture et des filières aval en France et en Europe (qui importe 97 % de sa consommation de pétrole) les fragilise car il va falloir se passer de cet “or noir”. La production des principaux pays fournisseurs de l’UE est en effet amenée à se raréfier, divisée par deux à moyen terme.
Décarbonation pilotée plutôt que subie
Quant au changement climatique, même en actionnant le frein à main aujourd’hui, son inertie est telle qu’on en va en subir les effets à très, très long terme, a prévenu le scientifique : pour éliminer le surplus de CO2 injecté depuis le début de l’ère industrielle dans notre atmosphère, il faudra en effet patienter... plus de 10 000 ans. Voilà le décor, guère réjouissant, posé.
L’équipe du Shift Project a planché sur plusieurs scénarios de décarbonation avant de retenir celui dit de “conciliation”, répondant à la fois à l’objectif de réduction des émissions carbone assignée au secteur, de non concurrence avec les surfaces nécessaires à l’alimentation humaine, et de résilience énergétique enfin. Sachant que ces travaux prospectifs n’ont pas encore intégré comme paramètre l’évolution potentielle de la consommation, un volet qui sera ajouté l’an prochain.

Pas d'échappatoire à la baisse d'effectifs
Dans ce scénario, le potentiel nourricier est conservé (nourrir les 87 millions de Français attendus en 2050), la dépendance aux importations est réduite d’un facteur 2,5 et le potentiel de contribution à la production énergétique du secteur agricole est triplé. Quid de la place de l’élevage herbager dans ce scénario ? Il a des atouts à faire valoir (prairies captant le carbone) mais aussi un talon d’Achille : le pouvoir réchauffant du méthane (émis par les ruminants) sur 20 ans est 80 fois supérieur à celui du CO2. Conclusion : la réduction des émissions de méthane est un levier majeur et rapide.
Dès lors, la décarbonation de l’élevage prônée par Jean-Marc Jancovici passe en premier lieu par une réduction des effectifs à un rythme cependant moindre que la décapitalisation actuelle (soit - 1 %/an).
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Stopper le retournement des prairies
Avec comme conditions complémentaires de tripler les surfaces consacrées aux légumineuses (pour s’affranchir en partie de l’azote minéral), de déployer des pratiques favorables (diminuer le nombre d’animaux improductifs, mieux valoriser les effluents...) et stopper le déstockage de carbone issu du retournement des prairies. “Il y a autant de stock de carbone sous un hectare de prairie que sous un hectare de forêt”, a appuyé le scientifique, dont la démarche se veut tout sauf un diktat imposé à une profession. “Nos armes, ce sont la réflexion, la pédagogie, la collaboration. Ça ne marchera que si on réfléchit avec ceux qui vont devoir le faire, les agriculteurs.”
Moins de bovins ici, c’est plus d’importation...
Autour de la table, en tribune, les responsables professionnels - Patrick Bénézit (FNB), Yannick Fialip (Sidam), David Chauve (Chambre agriculture 63), ont avancé un préalable, incontournable : l’axe économique, avec la nécessité de rémunérer ces services climatiques et l’existant tout comme la valeur des produits issus de ce modèle herbager du Massif central dans le prolongement des lois Egalim. Sans oublier la question de l’attractivité et de la main d’œuvre. Le tout en étant accompagnés par une volonté politique affirmée qui protège cet élevage vertueux, une volonté et une ligne politiques qui font cruellement défaut en France ces dernières années tandis qu’au niveau européen, le choix est fait par la Commission de livrer le marché communautaire aux importations sud-américaines. “Quand on baisse la production, comme c’est actuellement le cas avec la décapitalisation, on augmente les importations, cet été d’ailleurs on a battu des records d’importations de viande”, a mis en garde Patrick Bénézit, pour qui l’objectif doit être le maintien des effectifs bovins.
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