Réforme des retraites : Les agriculteurs rentrent dans le rang
Symboliquement, le projet de réforme des retraites du gouvernement marque une étape décisive
dans la normalisation du régime agricole, qui avait toujours été en retrait depuis sa création en 1955.
?L'atterrissage de la réforme des retraites est encore flou. D'un côté, un débat parlementaire qui débutera le 3 février en commission spéciale, en procédure accélérée. Et de l'autre, une conférence de financement, grande consultation avec les partenaires sociaux, au périmètre mal défini, qui a débuté le 30 janvier et doit s'achever en avril. Mais le texte tant attendu est enfin sur la table ; le gouvernement a publié le 24 janvier deux projets de loi.
Un système qui restera hybride
Si l'on s'en tient simplement aux chiffres, la réforme des retraites va induire de nombreux changements pour les agriculteurs : hausse des taux de cotisation et pensions plancher, baisse des cotisations minimales et de l'assiette de CSG...
Mais, si l'on s'en tient aux grands principes, le changement de fonctionnement ne concernera qu'une partie des agriculteurs : ceux qui ne sont pas concernés par les pensions plancher. Ceux-ci vont basculer entièrement dans un système à « cotisations définies »*.
Le système va donc rester hybride, divisant la population agricole en deux. « Sur 30 000 agriculteurs qui partent en retraite, 20 000 ont une retraite inférieure à 1 000 euros par mois, soit deux tiers des retraités qui ne sont pas au niveau de la réforme universelle », expliquait Didier Guillaume à l'Assemblée le 28 janvier. Parmi les agriculteurs déjà retraités (non concernés par la réforme), ils sont 45 % à toucher les pensions plancher, selon François Charpentier.
Avant d'en venir aux chiffres, précisons qu'une autre nouveauté touchera tous les agriculteurs : la simplification du calcul des cotisations.
Taux de cotisation normalisés
Les agriculteurs vont désormais cotiser au même taux que les salariés. Ils cotisent à 21,11 % actuellement, dans la limite dite d'un plafond annuel (Pass), d'environ 40 000 euros. Ils cotiseront demain à 28,12 % (dans la limite d'un Pass), 12,94 % entre 1 et 3 Pass, et 2,81 % au-delà de 3 Pass. Le rythme de basculement vers les nouveaux taux n'est pas encore connu, le projet de loi limite la période de transition à 15 ans ; elle sera précisément dévoilée par ordonnance.
Mais concrètement, cette hausse sera largement compensée. D'abord par une baisse de la CSG ; son calcul sera désormais assis sur un « brut » et non plus sur un « super brut ». Si bien que, selon la FNSEA, la hausse de cotisation retraites serait ramenée à 1,5 point.
Ensuite, pour les plus bas revenus, une compensation supplémentaire est prévue, grâce à la réduction de l'assiette de cotisation minimale. Selon la FNSEA, 40 à 50 % des agriculteurs relèvent chaque année de la cotisation minimum.
Aujourd'hui, les trois cotisations agricoles ont chacune leur assiette minimale (600, 800, et 1 820 Smic horaires par an). Demain, ils cotiseront sur une assiette réduite à 600 Smic horaires.
Les agriculteurs, gagnants ?
Venons-en au coeur du sujet : les agriculteurs sont-ils gagnants ? Pour le savoir, il faudrait pouvoir connaître l'évolution du ratio cotisation/pension pour la population agricole. Exercice difficile.
Le gouvernement s'est essayé à l'exercice au travers de trois cas-type d'agriculteurs partant à la retraite à taux plein et sans décote en 2068. Dans ces exemples, seuls leurs revenus moyens annuels diffèrent (7 000 ; 12 000 ; 40 000 euros). Résultat : tous bénéficient de pensions revalorisées (entre +300 et +700 euros par mois) dans le nouveau système.
Mais la méthodologie a été vertement critiquée, notamment par le chercheur de Sciences po, spécialiste des retraites, Mickaël Zemmour. Il note que les cas-type sont calculés avec un âge pivot à 65 ans, alors que la règle fixée par le gouvernement doit conduire en 2069 à un âge pivot de plus de 66 ans. Autrement dit : les cas-types échappent à une décote à laquelle ils devraient être soumis en principe.
Pension plancher revalorisée
Pour les plus bas revenus, le calcul est plus simple, car ils sont soumis à une pension plancher, autrement dit « garantie », qui devrait augmenter réglementairement pour les agriculteurs partant à la retraite à partir de 2022. Et, selon l'étude d'impact, les agriculteurs à bas revenus vont cotiser moins, et devraient gagner davantage. C'est de cette population que le gouvernement parle quand il affirme dans son projet de loi que « 40 % des exploitants agricoles verront leur pension sensiblement s'améliorer et leurs prélèvements légèrement diminuer».
Pour eux, il est prévu que le plancher passe progressivement à 1 000 euros net en 2022, à 83 % du Smic en 2023, 84 % en 2024 et 85 % en 2025. Contre 75 % aujourd'hui, soit 904 euros en 2020. Il s'agirait d'un rattrapage en comparaison des autres professions. Les agriculteurs semblent bel et bien rentrer dans le rang.
* Systèmes à « pensions définies » : comme de nombreux régimes de base actuels, dans lequel le calcul de la pension est entièrement fixé à l'avance par le gestionnaire
Systèmes à « cotisations définies », comme les retraites complémentaires et le système universel à points proposé par le gouvernement, où le calcul de la pension laisse place à des inconnues assurant l'équilibre financier du régime.