« Redonner du sens à notre métier »
Alors que la contractualisation est obligatoire depuis le 1er janvier, les modalités d'application restent encore floues. Explications avec Jean-François Maurin, président de la FDSEA.
La contractualisation est obligatoire dans certaines filières depuis le 1er janvier. Pouvez-vous rappeler ses principes ?
La contractualisation, c'est l'agriculteur qui établit un contrat avec un ou plusieurs de ses acheteurs pour la vente de ses produits. Dans le contrat se trouvent différents renseignements dont le type d'animaux, la période de commercialisation, le pourcentage de variation d'apport, et le plus important : la construction du prix.
Je suis convaincu que cette révolution va apporter de la valeur à notre produit, et du coup, plus de sens à notre métier.
Quels seront les bénéfices pour les éleveurs de signer ces contrats ?
Les bénéfices pour les éleveurs seront énormes, puisque pour la première fois, on va construire le prix en fonction de ce que coûte réellement la production d'un animal, en comptant aussi, et c'est là la vraie révolution, la rémunération de l'agriculteur. Il permet d'établir une transparence au niveau de la filière. Ce changement de pratique fait certes peur, et cela se comprend. Il est évident que de faire des contrats avec nos acheteurs est stressant car on a peur de ne pas le faire comme il faut.
Ce contrat fait passer l'agriculteur au premier plan de la filière économique alimentaire, puisque c'est désormais lui qui va fixer une méthode de calcul du prix qui va se répercuter sur toute la chaîne. Sur quelles références les agriculteurs pourront-ils s'appuyer pour espérer valoriser au mieux ces contrats à leur profit ?
Pour le contrat, on fixe la méthode de calcul du prix : c'est-à-dire que l'on définit la proportion avec laquelle sera fixé le prix, avec un pourcentage du coût de production et un pourcentage du cours du marché.
Mettre un pourcentage du cours du marché dans le prix assure aux agriculteurs que si les cours du marché remontent, le prix vendu remontera aussi. Pour le calcul du coût de production, l'interprofession le calcule et l'actualise tous les six mois. En l'occurrence, pour la viande, c'est Interbev qui établit ce calcul avec toutes les familles professionnelles (de l'éleveur aux grandes surfaces en passant par les négociants en bestiaux). Ce n'est pas chaque agriculteur qui va calculer ce que lui coûtent ses animaux.
Dans le massif Central, une certaine opposition se fait jour à ces contrats. Qu'est-ce qui fait peur aux opposants à cette nouvelle forme de commercialisation ?
Je constate que bon nombre de craintes sont surtout la conséquence d'un manque d'information. La plus grosse crainte, je pense, est d'être obligé de vendre toujours à la même personne, mais cela est faux car l'on peut mettre des pourcentages de variation qui permettent d'être libres.
Une autre fausse idée qui circule, c'est que l'on doit commercialiser à date fixe : c'est faux. Chacun décide de son calendrier d'approvisionnement. Rien n'empêche d'écrire que les animaux seront livrés entre le 1er janvier et le 31 décembre. Quand on regarde les contrats calmement, on s'aperçoit que suivant ce que l'on souhaite définir dans le contrat, on peut être aussi libre qu'auparavant. La seule grosse différence, c'est le prix.
Ces contrats sont présentés comme une simple « formalité » par leurs initiateurs, qui ne changera rien à la relation agriculteurs-premier acheteur. Qu'en est-il vraiment ?
Oui, c'est une simple formalité, mais forcément, cela va faire évoluer les relations, et je comprends qu'il est difficile de changer 50 ans de pratique. Le prix ne sera plus négocié comme actuellement, c'est le contrat qui est négocié avec la construction du prix.
Pour les broutards, je pense qu'il y aura toujours une négociation sur le classement des animaux.
Des évolutions de cette contractualisation sont-elles prévues ?
Il y a aura forcément des évolutions, notamment pour les labels, car il n'y a, pour l'instant, pas de calcul de coût de production pour les labels ou le bio.
Crainte régulièrement exprimée : les consommateurs ne risquent-ils pas de se détourner de produits qui seront plus chers, dans un contexte où les produits agricoles ont déjà du mal à se vendre ?
La viande augmente régulièrement chez le boucher ou dans les GMS, pas chez les agriculteurs. L'augmentation sera indolore, 15 centimes d'euro pour un steak haché, environ 1,20 euro par mois pour un adulte. Est-ce qu'un français moyen ne peut pas dépenser 1,20 euro par mois pour que les agriculteurs vivent dignement ? C'est le prix d'un café. Ou comparé à la hausse du carburant, cela ne représente rien. Ce n'est pas à l'agriculteur de payer les pots cassés de l'inflation générale.
N'avez-vous pas peur que les négociants ou coopératives soient ceux qui payent « les pots cassés » ?
Non, car le prix doit être construit en montant, donc tous les intermédiaires doivent avoir leur marge. Il faut absolument que tous les acteurs de la filière gagnent leur vie pour que l'on s'en sorte tous. Toute la filière aura tout intérêt à jouer le jeu : d'abord, nous les agriculteurs, cela nous permettra de vivre dignement de notre travail. Du moment que l'on a envoyé un contrat à un acheteur, même sans retour de sa part, on respecte la loi. La loi interdit de revendre plus bas que le prix qui a été négocié avant. Après, il y aura des contrôles, mais je suis convaincu que ces contrôles auront lieu en priorité dans les GMS.
En pratique
La FDSEA rappelle que pour les agriculteurs qui le souhaitent, adhérents ou non, une offre de service est proposée pour aider à mieux comprendre cette contractualisation et accompagner ceux qui le souhaitent dans la rédaction des contrats. Pour en savoir plus, l'accueil téléphonique de la FDSEA est ouvert de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 17 h 30, du lundi au vendredi. Ils sont joignables au 04 66 65 08 60.