Pourquoi Ella Piganiol perpétue-t-elle les traditions ?
Pastourelle 2024 - Spécialisée en droit de l’énergie, Ella, 25 ans, originaire de Lafeuillade-en-Vézie, négocie à Paris des contrats à l’international. Mais ses arguments de cœur, c’est au Cantal qu’elle les réserve.
Pastourelle 2024 - Spécialisée en droit de l’énergie, Ella, 25 ans, originaire de Lafeuillade-en-Vézie, négocie à Paris des contrats à l’international. Mais ses arguments de cœur, c’est au Cantal qu’elle les réserve.
Ses journées, intenses et studieuses, Ella Piganiol, 25 ans, les passe à Saint-Denis, rue de la Petite Espagne, au siège de Vinci Energies où elle jongle avec les contrats et les langues. Embauchée comme juriste par la multinationale à peine son diplôme en droit de l’énergie décroché avec brio en septembre 2022, la jeune femme analyse et négocie des contrats de prestation d’ingénierie sur des projets d’envergure, qu’ils soient pétroliers, solaires, hydroélectriques..., sur tous les continents mais majoritairement en Afrique et au Moyen-Orient. “Cela m’amène à rencontrer plein de monde, je m’épanouis dans ce poste”, sourit Ella.
Rien d’impressionnant pour cette jeune Castanhaïre, qui, tout au long de son parcours scolaire et étudiant, a engrangé les superlatifs : bac L avec mention très bien à Duclaux, Lettres sup à Toulouse où elle décide de s’orienter en droit français et anglais, Master en droit international dans la Ville rose toujours après une année de licence en Écosse, Master 2 en droit de l’énergie à la Sorbonne en alternance dans une entreprise spécialisée en ingénierie du nucléaire à la Défense... Une tête tout à la fois bien pleine et bien faite, n’en déplaise à Montaigne. Et c’est par le biais d’un job d’été, comme guide hydrologue au barrage de Montézic dans la vallée du Lot qu’elle s’est découvert un intérêt marqué pour la filière de l’énergie.
“Ça fait partie de mon identité”
Les week-ends et certaines soirées, c’est loin des bureaux high-tech de Vinci qu’Ella révèle sa seconde nature et sa passion pour des racines et traditions ancestrales puisées dans son Cantal natal. Dès son habit de Pastourelle endossé, sa coiffe ajustée, la houlette à la main, la voilà métamorphosée. “J’ai toujours été très attachée à la terre, aux traditions cantaliennes, à tout ce que nos ancêtres nous ont légué, c’est notre héritage et pour moi, c’est très important d’autant que mes études et ma vie professionnelle m’en ont éloignée, revendique la jeune femme. J’ai grandi dedans, ça fait partie de mon identité.”
C’est le hasard des rencontres qui va lui mettre le pied à l’étrier d’une candidature au titre de Pastourelle, dont cette petite-fille d’Auvergnats émigrés à la capitale ignorait même l’existence il y a peu. “Lors de l’inauguration d’une exposition sur les Auvergnats de Paris au musée du Veinazès en août dernier, j’ai rencontré Isabelle Cazals, présidente de la Ligue auvergnate et du Massif central, accompagnée de la Pastourelle 2023, Chloé Vernhes. On a discuté un peu et elle a émis l’idée que je pourrais postuler”, raconte Ella Piganiol.
L’histoire aurait pu s’arrêter là sans que le destin, sans doute guidé par une main d’un Bougnat, ne fasse à nouveau se rencontrer les deux femmes. Ella est invitée en novembre au Sénat pour représenter l’association “Du Cantal aux grandes écoles” qu’elle a créée avec des amis, dans le cadre d’un événement organisé par la Marque Auvergne. Isabelle Cazals fait aussi partie des convives... et réitère sa proposition. “C’était quelques jours avant la clôture des inscriptions, moi qui ait l’habitude de procrastiner, je me suis décidée à tenter l’aventure pour sortir aussi de ma routine parisienne : métro, boulot, dodo”, affiche la Pastourelle.
Le 9 décembre, devant une centaine de personnes, dont un bon tiers de jeunes, réunie au Pavillon Baltard pour la Nuit arverne, Ella Piganiol, qui représente le Cantal, revient aux sources dans son discours, en choisissant de parler... de la châtaigne, qui a donné son âme et son nom au territoire avant d’être délaissé. Un arbre et un fruit réhabilités ces dernières années.
Il est où le bonheur... ? Dans le Cantal !
Les résultats sont très serrés et Ella est désignée Pastourelle 2024 de la Ligue pour 20 centièmes d’une note sur 100. “Je ne m’attendais pas du tout à gagner, sachant que toutes les Pastourelles (des autres départements, ndlr) étaient excellentes, avec un haut niveau d’études, je reste donc très humble”, glisse Ella, que sa réponse à la définition du bonheur a sans doute convaincu le jury. “J’ai dit que le bonheur était là où on savait le trouver, que j’avais voulu le chercher à Paris, mais qu’il était bien dans le Cantal...”
La jeune fille de Lafeuillade-en-Vézie est donc la 100e Pastourelle de la Ligue (au départ, il s’agissait d’un concours de costumes) et a été sacrée dix ans après la dernière Cantalienne, Alix Rousseau. Depuis décembre et encore pour quatre mois durant, sa mission est de représenter le Cantal et la Ligue auvergnate et du Massif central : “Je suis en quelque sorte le visage de la Ligue, je suis là pour transmettre, rassembler, expliquer aux gens nos valeurs et nos traditions, notamment lors des évènements : qu’il s’agisse des banquets des Auvergnats de Paris, d’évènements religieux (messes), culturels (conférences), sportifs comme la course la Pastourelle ou la sortie de la Légendaire...”, liste celle qui intervenait récemment à Vic-sur-Cère en amont d’une conférence sur le centenaire des Pastourelles.
Traditions : tout sauf has been !
Passéiste, has been ce concept de Pastourelle ? “Pour moi, tradition et identité sont indémodables, ce sont des choses qui nous sont transmises pour être perpétuées, d’ailleurs la Ligue réunit beaucoup de jeunes qui portent fièrement leur tenue traditionnelle, qui dansent avec...”, répond, sereine, l’ambassadrice de cet héritage commun, qu’elle nourrit. “Je réapprends l’occitan que je parlais enfant avec mes grands-parents, on m’a aussi offert de nombreux livres sur les légendes auvergnates et j’ai découvert qu’il existait des chaînes Youtube dédiées à l’occitan comme celle de Carladès Abans”, se réjouit Ella.
Ce jour-là dans le hall du centre culturel du Carladès, à peine son habit de Pastourelle revêtu, le public n’hésite pas à venir à sa rencontre, la saluer, solliciter une photo. C’est le cas de Denise Vidal, originaire du Nord-Aveyron et Pastourelle de la Ligue... en 1954. “J’étais très jeune, je dansais bien la bourrée et dès l’âge de 8 ans, j’étais entrée à la Bourrée auvergnate, raconte-t-elle. Tout au long de mon année de Pastourelle, j’ai été très gâtée.”
En habits de lumière
C’est une tenue traditionnelle du Carladès qui a été prêtée à Ella : sur sa robe crème, elle enfile un babarel, ce corset ouvert sur le dessus de la poitrine, dont la tradition veut qu’il ait été remis à l’envers à la hâte par la Reine Margot en fâcheuse posture, et que la reine y ait enfoui des fleurs pour cacher sa poitrine. Tablier, châle et coiffe complètent la tenue, ainsi qu’un accessoire que seule la Pastourelle peut tenir : la houlette, en forme de bâton de berger, et symbole de la mission de transmission de la jeune femme.