Marie Pichenet, la femme qui murmurait à l’oreille des animaux
Éducatrice spécialisée, Marie Pichenet, 36 ans, a ajouté une corde à son arc en se formant à la médiation par l’animal.
Éducatrice spécialisée, Marie Pichenet, 36 ans, a ajouté une corde à son arc en se formant à la médiation par l’animal.

Elle l’avoue elle-même dans un grand éclat de rire : “Je suis barge, je leur parle tout le temps !” Nala n’a pas l’air étonné sur les genoux de Marie Pichenet. Imperturbable, la chatte continue de se faire caresser et de ronronner sur le canapé de la maison d’Espradel, sur la commune de Calvinet. “C’est une boîte à ronrons, elle est hyper câline”, précise, si besoin était, sa propriétaire de 36 ans. Et un chat qui ronronne, ça a des bienfaits thérapeutiques. “Lors d’une séance de médiation intergénérationnelle, j’ai amené mes chats. Ils étaient libres d’aller à où ils voulaient. Leur intervention a permis de faire discuter enfants et personnes âgées, qui fabriquaient des couronnes de Noël. Ça a créé du lien.” Nala, mais aussi sa compère Fraya, Zoé l’oie, Maurice le coq, Pogo et Éole, les ânes, les dindons, les canards… “font partie de la famille. Nous avons énormément de chance, ils s’entendent tous très bien, ce sont des bonnes pâtes”.
Éducatrice spécialisée, Marie Pichenet voit en son attachante ménagerie en liberté sur deux hectares de terrain “des partenaires. Les animaux lisent en nous comme dans un livre ouvert. Ils ne cherchent pas la performance, ni le résultat, ils sont dans le moment présent”. Après avoir œuvré auprès de publics en difficultés (enfants, adolescents, personnes vieillissantes polyhandicapées, psychiatrie, jeunes trafiquants de drogues, d’armes,…), et s’être initiée à la communication non-verbale, la jeune femme originaire d’Île-de-France se forme à l’institut de zoothérapie français et crée “Du Renard à la Rose”, en hommage au Petit Prince. “S’apprivoiser, c’est la phase renard. S’épanouir et comprendre que l’on a de l’importance, c’est la phase rose.”
“Des entreprises sur la médiation animale, ça pousse comme des petits pains. Mais on n’accompagne pas n’importe comment !, s’insurge-t-elle. Non ne fait pas du nursing, il faut un bagage soin, éducatif, médico-social. L’animal n’est pas un outil, c’est notre partenaire. On n’est pas là pour faire du papotage, ou simplement faire des caresses. Nous avons un vrai objectif avec la personne. À nous d’analyser, de traduire ce qu’il se passe et de travailler sur de nouveaux exercices. La médiation par l’animal n’est pas un métier, c’est un façon de travailler. Je suis avant tout éducatrice spécialisée.”
Avec Argos, un jeune Berger d’Auvergne, Marie Pichenet, également formatrice à l’Infa auprès des futurs moniteurs-éducateurs ou accompagnants éducatif et social (AES), peut aborder la problématique du harceleur/harcelé. “Il est génial pour ça ! On va apprendre à dire non au chien, qu’on ne veut pas le subir. C’est un effet miroir : on va essayer de mieux faire comprendre ce que peut ressentir une victime. Notre cerveau fonctionne mieux par le jeu, le ludique, il faut mettre du sens dans nos actions.”
Sublimer les qualités innées des animaux
Reyka, elle, va intervenir dans l’école de Puycapel, après les vacances scolaires, dans le cadre du Programme d’éducation à la connaissance du chien et au risque d’accident par morsure (Peccram). “Cette formation devrait être obligatoire, comme les premiers secours… Je vais donner des billes aux enfants pour qu’ils aient moins peur et qu’ils sachant comment réagir face à un chien qu’ils connaissent ou qu’ils ne connaissent pas. Lors de la première séance, je vais amener des peluches, histoire qu’ils ne soient pas stressés, sinon ils ne retiendront rien.” Trois séances sont au programme pour les maternelles, six pour les plus grands, dans le cadre des temps d’activités périscolaires.
Aucun des animaux de Marie n’a été dressé. “Ce ne sont pas des chaussettes ni de la pâte à modeler. C’est plutôt un levier pour entrer en contact avec les gens, pas une attraction.” Elle les observe, voit comment ils se comportent, les teste (“Je veux être sûre de mes animaux”) et en tire le meilleur : “C’est la sublimation. Nala, je profite de sa façon d’être pour apaiser les gens. Le ronronnement est proche de notre fréquence cardiaque, c’est naturel chez les chats. Elle aime faire ça. Chez nos chiens, on utilise leurs compétences innées. Au départ, je pensais qu’Only n’était pas faite pour la médiation. Et puis un soir, elle m’a accompagnée sur mon lieu de travail. Elle a regardé une dame assez agitée, elle ne l’a pas touchée. La dame s’est concentrée sur Only, qui est très douce, et on a pu faire ce qu’on avait à faire sans prendre le risque qu’elle se blesse. Maurice, le coq, a un petit caractère bien sympa. Il s’intéresse à l’humain. Je lui fais faire quelques exercices et je lui apprends que se faire caresser, ça peut être bien !” Maurice l’a semble-t-il bien compris, bien décidé à rester sur l’épaule de Marie plutôt que de rejoindre ses congénères.
“J’ai trois chats mais le mâle, je me suis rendu compte que la médiation, il n’y a pas trouvé grand intérêt ! Tous n’y prendront pas du plaisir. Ils aiment les humains, mais de loin ! Ils ne se sentent pas médiateur. L’animal est une excuse pour créer du lien, il nous aide et il faut écouter son inconfort sinon ils vont se servir de leur tête, de leurs pattes,… pour nous le faire comprendre. Chez eux aussi, il y a le consentement. Ils sont doués de sentiment et d’émotion et nous sommes garants de leur bien-être et de la sécurité du public. Si un âne lève le sabot en randonnée par exemple, je fais une pause.”
Pogo, 15 ans, et Éole, plus de 25 ans, sont justement dédiés à cette activité saisonnière, développée en 2020 par Marie, Les Bergers d’Espradel. “Ils sont plus connus que moi dans le Cantal ! Même si ce n’est pas facile, je leur ai montré que ça pouvait être sympa la rando. Ils sont récompensés, et ils ont des pommes et des carottes, des petits plus qui font du bien ! Maintenant, quand ils voient l’escargotine, ils chantent !” Un âne peut vivre jusqu’à 45 ans et travailler au moins 30 ans, à condition d’en prendre soin : ostéo, dentiste, ils sont traités “comme des sportifs ici !”
Les animaux ne travaillent pas toute la semaine, et les séances de médiation ne durent pas plus d’une heure. “Juste une présence peut suffire, on n’a pas besoin de le tripoter. On peut lui préparer à manger, c’est une excuse pour imaginer un exercice autour. C’est à nous professionnels de nous adapter, d’être inventif.” Comme récemment avec une chasse au trésor coopérative, sans gagnant ni perdant, organisée avec l’association Ladinhac patrimoine. “Chaque équipe avait soit un âne soit un bouc. Il fallait récupérer les indices et les mettre ensemble pour résoudre l’énigme, la recette pour aider le boulanger à faire du pain, qui était vendu ensuite. Les animaux ne cherchent pas le meilleur.”
Alors oui, Marie le consent, former un animal à la médiation, “ça prend du temps, mais je ne le vois pas passer. Il faut être passionné, sinon on est vite usé, surtout quand on travaille avec l’humain. Les animaux font partie de ma vie. Avec le pouvoir qu’ils ont, ils m’ont beaucoup aidé. Quand on part avec mon conjoint, c’est compliqué au bout de deux jours… On demande des photos, des vidéos aux copains qui viennent les garder ! On doit être ridicules !” Difficile de quitter sa famille et un département qui l’a adoptée : “On est tombé amoureux du Cantal il y a une dizaine d’années et quand on rentrait sur Paris, on faisait la gueule !” Maintenant installée, Marie fait partager sa passion des animaux. Chaque année, elle offre une prestation gratuite à une association. L’an dernier, c’était les Petits frères des pauvres qui avaient découvert l’escargotine. Et dimanche, des participants d’Octobre rose ont participé à la rando de 5 km grâce à Éole, délicieusement paré de rose...