EAU
Manifestation anti "giga-bassines" de Billom : à boire et à manger…
Plusieurs milliers de personnes se sont réunies le week-end dernier à Billom, dans la plaine de la Limagne, pour manifester contre l'implantation de deux réserves d'eau.
Plusieurs milliers de personnes se sont réunies le week-end dernier à Billom, dans la plaine de la Limagne, pour manifester contre l'implantation de deux réserves d'eau.
Samedi dernier avait lieu dans les alentours de Billom dans le Puy-de-Dôme une « rando festive et déterminée », en contestation au projet de réserves d'eau, porté par un groupe de 36 agriculteurs des environs. Le Collectif Bassine Non Merci 63, La Confédération Paysanne, les Soulèvements de la Terre et les Faucheurs Volontaires étaient les instigateurs de ce rassemblement qui a vu converger plus de 4 000 personnes d'après les forces de l'ordre et 6 500 selon les organisateurs. Presque un an après les violents affrontements qui avaient éclaté en marge d'un cortège similaire à Sainte Soline dans les Deux-Sèvres ; les agriculteurs et les autorités puydômoises craignaient un bis repetita. La Préfecture avait ainsi déployé pas moins d'une centaine d'agents des forces de l'ordre et l'hélicoptère de la gendarmerie. Fort heureusement, la manifestation s'est déroulée sans heurts, en causant toutefois quelques dégradations puisque deux buses d'irrigation ont été obstruées dans les parcelles proches du projet des réserves.
Vrai ou faux ?
Ce mouvement contestataire a été largement relayé dans les médias locaux et nationaux notamment du fait de la présence d'élus de La France Insoumise (Marianne Maximi, Clémence Guetté et Mathilde Panot) et d'Europe Écologie les Verts (Benoît Biteau). Ces derniers, ainsi que dans les rangs des opposants aux projets, ont relayé leurs messages parmi lesquels : «les cultures qui seraient arrosées par ces bassines sont essentiellement liées aux besoins de la multinationale Limagrain (...) son emprise sur la Limagne est visible partout » ; « le projet est porté par des administrateurs de Limagrain » ; « l'eau servira principalement à irriguer du maïs » ou encore « le niveau de l'Allier ne permettra pas de remplir ces bassines ». Qu'en est-il réellement ? Nous avons posé la question aux agriculteurs de l'ASL* des Turlurons, à l'ADIRA et à Limagrain pour démêler le vrai du faux.
Projet des réserves de Billom : de quoi parle-t-on ?
Le projet des 36 agriculteurs réunis au sein de l'ASL des Turlurons consiste à la construction de deux réserves. La première devrait s’implanter sur la commune de Bouzel et occuperait une surface de 15 ha pour permettre le stockage de 1,05 M de mètre cube. La seconde sera construite non loin de là, sur la commune de Saint-Georges-sur-Allier sur une surface de 18 ha pour 1,25 M de mètre cube. Chacune permettra l'irrigation de 400 hectares de cultures dont du maïs semence et du blé mais aussi de l'ail, des prairies, des pommes de terre et autres légumes de plein champ. Le foncier concerné appartient aux membres du collectif.
Quant à l'eau, elle proviendra de l'Allier par pompage hivernal (entre le 1er novembre et le 31 mars) lorsque le débit de la rivière sera supérieur à 47,5 m3/s, « conformément aux autorisations départementales » souligne le collectif.
Et afin d'optimiser au mieux cet investissement et réduire les pertes par évaporation, l'ASL* étudie la possibilité d'installer des panneaux photovoltaïques à la surface de l'eau. Des études environnementales sont en cours. Les premiers résultats invalident d'ailleurs l'implantation de la réserve de Saint-Georges-sur-Allier. « Nous sommes à la recherche d'un autre emplacement » précise Cédric Duzelier, président de l'ASL des Turlurons « toujours sur du terrain appartenant aux agriculteurs de l'ASL ».
Ces réserves serviront-elles à irriguer uniquement du maïs ?
La taille moyenne des exploitations des porteurs du projet est de 80 hectares. « Parmi les agriculteurs, il y a des producteurs de maïs semence et d'autres non. Ils ne le deviendront pas pour autant » assure Sébastien Vidal, président de Limagrain.
Comme la majorité des fermes puydômoises, les exploitations engagées dans le projet se sont transmises de génération en génération. Malgré les impacts du changement climatique, les producteurs ont conservé des cultures historiques de la zone à l'image de l'ail rose de Billom. Face à la hausse des températures et les épisodes de sécheresse, l'irrigation est devenue indispensable pour garantir à cette culture ancestrale un rendement quantitatif et qualitatif. « Sans eau, les têtes d'ail sont trop petites pour être commercialisées aux normes GMS» explique Florian Laloire, membre de l'ASL des Turlurons, qui espère développer les surfaces d'ail sur son exploitation grâce au projet des réserves.
15 agriculteurs du projet n'ont pas l'irrigation
Philippe Planche est producteur de lait sur les coteaux d'Égliseneuve-près-Billom et lui aussi s'engage dans le projet pour ouvrir un réseau d'irrigation sur son exploitation qui en est actuellement dépourvue. Il espère ainsi sécuriser l'alimentation de son troupeau de 100 vaches. « Aujourd'hui j'achète des tourteaux mais j'aimerais pouvoir m'en détacher par la production de pois, de luzerne et d'autres protéagineux pour devenir autonome et optimiser mes charges de production. »
Comme lui, ils sont une quinzaine d'agriculteurs pour qui les deux réserves permettront d'avoir accès pour la première fois à l'irrigation.
« Tous les agriculteurs des environs ont été contactés lors de la réflexion du projet » assure Philippe Aymard, vice-président de l'ADIRA**, en charge de l'accompagnement du projet.
De l'argent public va-t-il financer le projet ?
Le projet sera effectivement financé à hauteur de 70% par la Région AuRA via le fonds européen Feader. Les 30% restant seront portés par les agriculteurs explique Cédric Duzelier. Le président de l'ASL des Turlurons préfère ne pas avancer d'estimations d'investissements : « tant que les études paysagères, géologiques... n'auront pas rendu leurs résultats, l'investissement total reste approximatif ».
Limagrain est-il à la manœuvre ?
La coopérative et multinationale Limagrain est accusée par les manifestants, et les élus de la France Insoumise et d'Europe Écologie les Verts, d'être à l'origine du projet mais également « d'imposer un modèle (agricole) aux agriculteurs ». De même, les opposants dénoncent la présence d'administrateurs et du président au sein du collectif.
« Limagrain n'est pas derrière ce projet. Ce sont bien les agriculteurs du secteur qui le portent pour remédier aux effets du changement climatique sur leurs exploitations »explique Sébastien Vidal. Ce que confirme Cédric Duzelier : « le soutien de Limagrain est purement moral (...) aucun enjeu financier ne se cache dans ce projet .»
Sur la présence d'administrateurs de la coopérative au sein de l'ASL des Turlurons, Sébastien Vidal dément là aussi toute influence de Limagrain dans le projet. « Il n'y a pas cinq administrateurs de Limagrain dans l'ASL comme peuvent le dire les opposants au projet mais trois dont moi. Encore une fois, nous ne sommes pas présents dans ce projet au nom de Limagrain mais en tant qu'agriculteurs. Je suis agriculteur. Je dois faire face, moi aussi, à des problématiques de sécheresse notamment sur mes cultures spécialisées. Ce projet, je le soutiens avant tout à titre personnel pour mon exploitation. » Cédric Duzelier ajoute : « les premières réflexions autour de ce projet ont démarré en 2012 et l'ASL a été créée en 2016. À cette époque les agriculteurs administrateurs de Limagrain n'occupaient pas ces fonctions au sein de la coopérative ».
Un mouvement politisé
Alors pourquoi un tel raccourci ? Selon Sébastien Vidal, les opposants au projet s'attaquent à Limagrain comme à tous les autres grands groupes français, « Danone a également été cité », et rejettent avant tout un modèle économique.
« La manifestation s'est énormément politisée. L'extrême gauche a récupéré le sujet. Ils se fichent bien des terres de Limagne. Ce qu'ils combattent c'est un modèle agricole. Limagrain a aussi été visé parce qu'il est plus facile de s'en prendre à une grande entreprise qu'à un collectif d'agriculteurs ; surtout depuis les manifestations de janvier où les agriculteurs ont gagné en capital sympathie auprès de la population. »
Il en faudra davantage à Limagrain pour remettre en cause son soutien à « 100% » des projets de gestion de l'eau. «Toutes ces initiatives permettront de sécuriser les outils économiques présents sur le territoire et valoriseront les productions des agriculteurs ». Les aléas climatiques occasionnent en effet une importante fluctuation des rendements et les outils industriels ont parfois du mal à suivre. « L'irrigation est un moyen de sécuriser l'approvisionnement de nos outils. »
La rivière Allier pourra-t-elle remplir les réserves ?
C'est un autre contre-argument avancé par les opposants. Selon eux, le niveau d’étiage de la rivière Allier dans laquelle sera pompée l’eau ne permettra pas de remplir les réserves. L'ASL des Turlurons avait d'ailleurs commandé une étude sur ce sujet. « Sur les 20 dernières années, une seule d'entre elles, ne nous aurait pas permis de remplir les réserves, si elles avaient été vides » explique Cédric Duzelier.
Le volume qui sera prélevé dans la rivière Allier est de 2,3 M de mètres cubes soit « 0,12% du volume annuel de la rivière ».
Ces réserves vont-elles retarder le changement des pratiques agricoles ?
Là encore selon les porteurs du projet et leurs soutiens, les opposants font un raccourci. Cédric Duzelier l'affirme « tous les agriculteurs s'engagent dans l'adaptation de leurs pratiques face au changement climatique mais c'est un jeu d'équilibriste ». Entre économie, social, écologie et agronomie, les agriculteurs de Limagne comme ceux de toute la France naviguent sur des eaux troubles où le moindre faux pas coûter cher.
« Les réserves permettent aujourd'hui de répondre, dans un cadre légal, à la problématique du moment. C'est une solution pérenne mais pas unique » explique Sébastien Vidal.
Selon le président de Limagrain, des projets de réserves comme celui de Billom permettront d'accompagner les agriculteurs et maintenir leurs exploitations, en attendant que la recherche fasse son œuvre et offre davantage de solutions. « La sélection variétale et l'étude des systèmes de productions agricoles demandent du temps. Le projet Matrice de Limagrain, qui a été conçu dans ce but, ne donnera ses premiers résultats que dans cinq ans. »
*Association Syndicale Libre
**Association pour le développement de l’irrigation en Auvergne
Lire aussi -> Irrigation : « Sans eau, on ne produit rien »