L’inoxydable Chez Georgette, et nulle part ailleurs
Georgette Mazières a passé sa vie derrière son bar en zinc, sur la place du village de Saint-Saury. À 87 ans, elle a été au cœur du “Week-end dans le lard” organisé en son honneur par la Maison Laborie.
Georgette Mazières a passé sa vie derrière son bar en zinc, sur la place du village de Saint-Saury. À 87 ans, elle a été au cœur du “Week-end dans le lard” organisé en son honneur par la Maison Laborie.

À Saint-Saury, tout le monde connaît Georgette. Ou Georgette connaît tout le monde, peu importe. À 87 ans, c’est l’âme et la joie de vivre de ce petit village de la Châtaigneraie cantalienne. Elle y a connu des fêtes patronales mémorables. Y a construit sa propre famille, elle qui a été abandonnée sept jours après sa naissance. “J’ai d’abord atterri à Parlan, chez une famille d’accueil. Puis, à 11 ans, je suis venue chez la dame qui tenait l’hôtel Chez Lacoste, Valérie Lacoste, ancienne receveuse des postes. Elle m’a adoptée j’avais 14 ans.” Elle devient Georgette Lacoste. “Ça m’a perturbé de changer de nom, je m’appelais Georgette Bonnefoy avant.” Puis Georgette Mazières, après son mariage.
Huit jours de vacances
Au décès de Valérie Lacoste, en juin 1962, la jeune maman prend la suite du café, qui n’avait ni eau courante ni toilettes… “Je ne savais rien faire, même pas la soupe ! Mais il a fallu que je m’y mette !” À l’époque, son fils Bernard est déjà né. Viendront ensuite Marie-Claude 19 mois plus tard, et Daniel. “L’eau a coulé deux jours avant la naissance de Marie-Claude. On a fait un puits, sous la salle à manger. À 4 mètres de profondeur, on est tombé sur du granit pur. On est descendu à la mine dans la maison, on a un peu ébranlé les murs, rigole-t-elle. Nous n’étions pas riches, alors on a fait avec les moyens du bord ! Mon beau-père ne voulait pas qu’on fasse de crédit, on a vendu un pré pour 300 000 anciens francs et on a coupé des pieds d’arbres dans les bois. Ça nous a aidés à faire ce puits.”
Et puis, un nouveau drame à affronter, avec la disparition de son époux, à 40 ans, d’un diabète bronzé. “Je n’avais pas trop envie de continuer à travailler mais je devais faire manger mes enfants. Ils avaient 13, 14 et 15 ans, je ne pouvais pas les laisser comme ça. Heureusement, ça a bien marché leurs études.” Elle rend aussi hommage à Bernard, “mon soutien. J’étais toute seule, il a pris la relève”.
Les 6 et 7 septembre, c’est cette fois tout un village et une famille enrichie de quatre petits-enfants et deux arrière petits-enfants qui ont rendu hommage à “leur” Georgette, à l’occasion d’un week-end préparé par la Maison Laborie, qui a tissé au fil des années des liens plus que professionnels avec “la patronne”. Des portraits de Georgette ont fleuri un peu partout, elle a lancé avec son enthousiasme habituel les festivités au micro, des barnums ont été installés sous ses fenêtres avec de la musique jusque (très) tard dans la nuit. Comme avant… “Je suis une cliente et une amie. La maman de Simone Laborie m’a fait l’école à Parlan. Et quand j’ai besoin de quelque chose ici, je vais au magasin. J’ai des employés ou des clients de chez eux qui viennent manger ici. À midi, midi et demi, 13 heures ou même plus tard, je ne dis jamais rien ! Je leur sers une cuisine traditionnelle : de la tête de veau, de la soupe,… On parle ensemble, j’ai la parole facile, et des liens se sont formés. Ce sont des gars qui bossent.”
Comme elle. Durant toute sa carrière de tenancière, elle n’a déserté son quartier général que… huit jours, pour visiter Marseille avec sa fille. “J’ai ouvert tous les jours. Je n’ai pas besoin de vacances ! Quand on ne travaille pas, on ne fait rien, on n’a pas besoin de se reposer !” Elle n’a jamais compté ses heures, avec un point postal, un tabac, ni ses pas pour traverser la place et répondre au combiné de la cabine téléphonique de l’époque. “Je galopais et j’allais chercher les voisins quand c’était pour eux ! C’était de la rigolade, on n’a pas toujours pleuré, heureusement !” Ce qui lui serre toutefois le cœur, c’est qu’aujourd’hui, “tout est fermé. Il y avait deux épiceries, deux cafés, une menuiserie, un forgeron, deux sabotiers. Maintenant, il n’y a plus personne. J’ai pensé arrêter mais mes enfants n’ont pas voulu. Ils ont peur que dans la tête, ça n’aille plus. Les clients, les voisins aussi, m’ont demandé où ils allaient aller. Je suis la seule ici. Et puis il faut que je reste en activité pour payer l’Urssaf, eux aussi ils ne m’oublient pas !”
La star du week-end
Alors, Georgette continue, tablier noué autour de la taille. Elle ne monte plus à l’étage, où il y a quatre chambres, ne fait que très rarement le repas, se contente de servir le café sur l’inoxydable bar en zinc, face à un cantou d’antiquité. Mais l’essentiel est ailleurs, elle est là, fidèle au poste, faisant d’elle l’une, ou plus sûrement la, plus vieille tenancière de France. “Je lis, j’écris un peu, sur ma vie. Je tricotais aussi avant, je cousais, j’y vois bien sans lunettes mais je n’ai plus beaucoup envie. Les copines viennent faire causette avec moi, ça je sais faire ! Plein de monde est venu ce week-end, je connais les têtes mais je ne sais pas qui c’est !, confie-t-elle, dans l’ancienne salle à manger de l’hôtel. Là c’était la fête, mais sinon, c’est devenu un petit café qui ne travaille pas beaucoup. On vendait que des canons de rouge à l’époque au comptoir. Les gens vidaient leur sac, on participait. Des fois on riait, des fois on pleurait, c’était la vie. Maintenant il faut faire attention, les gars mangent dans les camions. Mais les petits commerces, on amène de la vie. L’entreprise Laborie, m’a embringué là dedans, ça leur faisait plaisir !”
Tout ce tapage autour de son histoire semble dépasser la discrète Georgette, couvée fidèlement par sa famille. Quand on lui demande si c’est elle la star du week-end, elle répond modestement “Si on veut...” Avant de quitter les lieux, elle vous offre un café. Le café de Georgette.