Filières
Les productions animales dans l’étau des prix
Déjà affaiblie par la crise de 2007 et la crise financière, qui a freiné la consommation, la situation financière des éleveurs devient éminemment critique.
Cours des viandes déprimés et hausse des prix mondiaux des grandes cultures : les éleveurs sont sous presse. En porc, les cours de l'été n'ont pas été au rendez-vous et devraient chuter en septembre. La viande bovine ne s'exporte plus et les prix restent bas depuis quelque temps. En parallèle, voici que le cours des céréales est en sérieuse hausse partout dans le monde (+ 40 % pour le blé en France depuis mai, 20 % pour le maïs, 7 % pour le soja), accompagnée d'une sécheresse qui réduit les rendements en fourrage. Et comme le précise Caroline Monniot de l'Institut de l'élevage, « l'augmentation du prix des céréales aura un fort impact sur les coûts de production, en particulier pour les viandes de monogastriques. Mais la répercussion sur le prix de vente est difficile à prédire car le prix dépend aussi de la demande. En tout cas, les viandes bovines et ovines auront un petit avantage compétitif sur le porc et la volaille car leur production nécessite moins de céréales… ». Coop de France complète : « Pour l'ensemble des animaux, les céréales constituent la base énergétique des rations alimentaires. Cependant, si elles constituent la composante principale des aliments monogastriques (porcs et volailles), elles jouent un rôle plus marginal dans les aliments pour les ruminants (25 % en bovin viande, 20 % en bovin lait contre 55 % en porc et 63 % en volaille) au profit des tourteaux protéagineux et des aliments plus cellulosiques, tels que les pulpes, la luzerne ou les co-produits céréaliers ». Une certitude donc, la hausse des céréales va faire augmenter le prix de l'aliment.
Mais cette hausse va dépendre des productions animales et de la « contagion » de la hausse du cours des céréales aux cours des matières premières de substitution. Par ailleurs, le prix du tourteau de soja est aussi en augmentation et charge donc encore plus le prix de l'aliment. Le rôle « tampon » des fabricants d'aliment Les fabricants d'aliments répercutent déjà, pour certains, cette augmentation des prix. Mais cette répercussion sera plus nette dans quelque temps, pour une durée malheureusement inconnue aujourd'hui. Importance des stocks des fabricants, maintien de prix de l'aliment concurrentiel, exploitation ou non des marchés à terme, évolution des cours du soja, etc., toutes ces incertitudes ne donnent effectivement pas une bonne visibilité. Par contre, comme le précise Coop de France, dans un communiqué, les fabricants d'aliments devraient dans une certaine mesure « lisser l'amplitude des variations de prix des matières premières ». Au-delà de cette hausse du cours des céréales, les éleveurs de bovins viande, du fait de la sécheresse exceptionnelle de cette année, vont s'orienter vers une alimentation à base de concentrés. Ainsi vont-ils faire pression sur la demande en aliment et très probablement faire monter encore les prix. La Fédération nationale porcine (FNP) s'en inquiète déjà. Tout concourre donc pour porter le prix des aliments à la hausse.
Une faible trésorerie
Si les coûts de production augmentent avec la hausse du cours des matières premières et la sécheresse, la trésorerie n'est plus là. Les éleveurs de porc se sont endettés, souvent à court terme, du fait de la crise de 2007. Mais les cours du porc n'ont pas permis depuis de retrouver un équilibre du fait de la crise financière et de la chute de la consommation. Les éleveurs de bovins allaitants subissent « une crise continue depuis 2007 » avec un « revenu inférieur de 40 % à la moyenne nationale agricole », selon la FNB. Avec la sécheresse, pas ou peu de fourrages ont été récoltés. Obligation donc pour alimenter les animaux cet hiver d'acheter de la paille dont les prix explosent (+/- 100 euros/T) et des concentrés. Les éleveurs laitiers se sont, pour beaucoup, endettés en 2008 à la suite d'une euphorie des cours du lait. Dans tous les cas, les finances sont absentes et les dépenses à venir importantes.
Faire appel à la filière
Aussi le président d'Inaporc (interprofession porcine), Guillaume Roué, en appelait à l'ensemble de la filière, lors d'une rencontre avec la presse mercredi 18 août. « L'ensemble des maillons de la filière doit participer à un plan de sauvetage de la production porcine ». Il proposera lors du prochain conseil d'administration d'Inaporc (le 8 septembre) à la distribution et à la salaisonnerie de s'engager à privilégier la viande d'origine française ; il demandera aux acheteurs d'accepter une hausse de 15 centimes du prix du kilo de viande répercutée aux consommateurs. Du fait de la récente envolée des cours des matières premières agricoles, le prix de l'aliment porcin a déjà augmenté de 35 euros/t, toujours selon Guillaume Roué, ce qui entraîne une hausse des coûts de production de 14 centimes/kg. L'aliment représente dans ce secteur souvent plus de 60 % du coût de production. « Les éleveurs ne pourront pas survivre à une nouvelle crise comme celle de 2007, estime-t-il. Je crains que l'on entre dans un conflit à la rentrée, c'est ce que je veux éviter », précise Guillaume Roué. « Cet hiver, le prix du porc va naturellement redescendre de 10 %, il va donc atteindre 1 euro à peine comme l'année dernière, s'inquiète pour sa part le président du Comité régional porcin (CRP) de Bretagne, Fortuné Le Calvé. Ce n'est pas tenable, d'autant que l'hiver dernier le prix de l'aliment était de 180 euros la tonne alors que cet hiver il sera de 230 euros avec la hausse du prix des matières premières ».
Porc, bovin, volaille, même stratégie
Depuis le début de l'année, le prix du kilo de porc payé au producteur est en moyenne de 1,28 euro, un niveau à peu près équivalent au prix de revient. « Mais cela signifie quand même que 50 % des éleveurs perdent de l'argent », souligne Guillaume Roué. « Les 400 à 500 millions d'euros perdus en 2007 par les entreprises n'ont jamais été récupérés depuis, explique le président d'Inaporc. Pour preuve, le cheptel français est resté stable alors que normalement il aurait du augmenter ». Selon lui, « la France est passée d'une position de leader européen de la production porcine jusqu'en 2005 à un rôle de challenger qui va obliger toute la filière à se restructurer dans les années à venir ». La FNB tire elle aussi la sonnette d'alarme et demande de la part de la filière, une augmentation des prix à la production de 20 %. Aux pouvoirs publics, elle demande un plan financier de soutien et le respect des normes et contrôles européens pour les viandes importées des pays tiers. Les éleveurs de volaille, quant à eux, travaillant pour une production très intégrée, vont aussi faire appel à la filière. Comme les aliments de leurs animaux se composent de 60 à 80 % de céréales, avec une faible possibilité d'incorporation de matières premières de substitution, ils vont subir de plein fouet la hausse des cours des céréales. Toute l'interprofession, selon l'Association de promotion de la volaille française (APVF), s'organisera donc pour limiter l'impact de la hausse et préserver le marché des importations.
Bovins : les pays acheteurs en crise
« Les cours des bovins sont actuellement bas en raison de la consommation qui se porte sur des morceaux meilleur marché. L'ensemble de la carcasse est donc moins bien valorisé. En outre, la situation est très difficile sur les marchés d'exportation comme la Grèce et l'Italie, qui sont fortement touchés par la crise économique. La viande française devient donc difficile à placer », résume l'Institut de l'élevage dans une étude. En juillet déjà, le marché italien du jeune bovin souffrait de la concurrence des viandes de l'est de l'Europe et de la descente en gamme des achats des ménages. En Allemagne aussi, la demande s'effondrait. « La récente augmentation du cours des bovins finis est saisonnière. Elle n'est due qu'à la reprise de la demande à l'approche de la rentrée », reprend l'Institut de l'élevage. Cet été, l'achat des broutards par l'Italie était aussi ralenti par la crise et les races charolaise et limousine semblaient particulièrement touchées. Cependant les acheteurs étrangers ne se tournaient pas vers d'autres sources d'animaux. Ils attendaient encore une baisse des prix liée à la conjoncture, à l'image des acheteurs français. La hausse des coûts de production, liée à la progression du cours des céréales, va certainement inciter à la décapitalisation et donc amplifier l'offre ce qui devrait encore contribuer à faire baisser les cours.