Les cinq premières années, un baptême du feu ?
En partenariat avec l’Inra, le réseau Jeunes agriculteurs a recueilli
les témoignages de porteurs de projets installés à l’échelle du Massif central.
Comment les agriculteurs vivent les cinq années suivant leur installation ? Les choix et les envies couchés sur le papier à travers le projet qu’ils ont construit avec les différents partenaires de l’installation se sont-ils révélés en phase avec la réalité ou bien en complet décalage ? De quelle manière ont-ils fait évoluer leur système ? Quels freins, quelles réussites mettent-ils en avant ? Comment jugent-ils leur situation cinq ans après avoir sauté le pas ?
C’est pour répondre à cet ensemble de questions, et bien plus encore, que le réseau Jeunes agriculteurs a lancé, il y a deux ans, un travail d’enquête assez approfondi en partenariat avec l’Inra (UMR Metafort du centre de Clermont-Theix).
Trente-et-un porteurs de projets installés dans le Massif central ont été rencontrés dans ce cadre. L’échantillon a été raisonné de manière à capter à la fois la diversité des porteurs de projets (cadre familial ou non, aidé ou non, sexe, pluriactifs ou pas…) et à la fois la diversité des situations d’exploitation (sociétaire ou pas et types de productions, difficultés rencontrées et situations plus ou moins satisfaisantes à dire d’expert).
«Le syndicat Jeunes Agriculteurs s’interroge sur la capacité de l’accompagnement national à préparer les porteurs de projets à faire face à des aléas tant humains qu’économiques ou techniques. Nous avons initié cette étude pour mieux comprendre ces aléas et leurs impacts sur les évolutions des trajectoires des systèmes de production au cours des cinq années suivant l’installation», explique Benoît Julhes, président des JA Auvergne.
Une démarche inédite
Cécile Fiorelli chercheuse à l’INRA décrit la démarche : «Pour cette étude, nous avons analysé à la fois des données concernant la trajectoire socioprofessionnelle des agriculteurs (ce qu’ils faisaient avant de s’installer, là où ils habitaient, pourquoi ils se sont installés, comment ils se sont installés, comment ils ont configuré leur projet), l’évolution du système d’activités du ménage (l’évolution de la composition du ménage et des activités professionnelles de ses membres), les évolutions marquantes du système de production, avant et après l’installation officielle (les types de production, les façons de produire, de commercialiser, l’évolution des outils de production (bâtiments, équipement, surfaces).»
L’expérience du terrain
Forte de tous les témoignages recueillis, analysés puis synthétisés, l’étude a par exemple mis en évidence que pour de nombreux porteurs de projet rencontrés, l’appropriation de l’outil de travail et des processus de production pose des difficultés techniques. Les installés apprennent à leurs dépens à maîtriser leurs productions, avec les atouts et contraintes de leur structure, de leurs terrains, ainsi que leur commercialisation. «Ce résultat abonde les recherches en cours sur les questions d’apprentissage du métier d’agriculteur, de transmission des savoirs entre agriculteurs ainsi que sur les expérimentations de nouvelles modalités d’accompagnement à l’installation davantage centrées sur l’acquisition de compétences par l’expérience (les stages, le parrainage, les espaces-test, les pépinières…)», précise Cécile Fiorelli.
La question du temps libre
L’étude a également démontré que si le travail n’est, au moment de l’installation, pas un problème, ni une question, pour celui qui s’installe, cinq ans après l’installation, il n’en est pas de même : sa quantité et la difficulté à se dégager du temps libre sont évoquées comme première raison d’insatisfaction. «Ce résultat interpelle la façon dont la recherche peut travailler avec l’enseignement et le développement agricoles pour expérimenter différentes modalités de sensibilisation à la question du travail en amont de l’installation ainsi que des modalités d’accompagnement pour aider les agriculteurs à améliorer leurs situations après les premières années d’installation », insiste la chercheuse.
Quelles perspectives ?
Ces travaux menés dans le Massif central vont alimenter les recherches concernant la coexistence des modèles agricoles, nouvelle thématique à l’agenda du département INRA SAD Sciences.
Pour l’Action et le Développement. En effet, il semble que les dynamiques autour de l’installation agricole en France fassent écho non seulement à la polarisation des modèles agricoles à l’œuvre dans le monde entre agriculture capitalistique et agriculture familiale, mais aussi à l’émergence d’une nouvelle figure d’agriculteur, notamment caractérisée par une vision temporaire/réversible de cette activité, un métier – un emploi exercé au cours d’une trajectoire professionnelle-, au lieu d’un état hérité, ou choisi pour toute sa vie professionnelle…. Ce qui change considérablement le rapport aux capitaux (financiers, connaissances, sociaux) mobilisés, aux dynamiques de capitalisation financière entre les générations, à la propriété, à l’acquisition des savoir-faire… «Notre étude a permis de capter une forte diversité d’évènements marquants au cours des cinq années suivant l’installation. Bien sûr, et c’est d’ailleurs une remarque des jeunes rencontrés, il faudrait pouvoir aller plus loin, et s’intéresser à des trajectoires plus longues. Néanmoins, on voit déjà bien le caractère fictif de la date d’installation. Chacun acquiert progressivement la maîtrise de son outil de production. Pour nous JA, il s’agit de pouvoir proposer un accompagnement dans lequel chaque porteur de projet puisse se construire, avant et pendant l’installation, et qui dépasse largement la date officielle», conclut Benoît Julhes.