Climat
L’élevage face au changement
Depuis quelques années, les agriculteurs français ne se contentent plus d’observer les évolutions du climat : ils les subissent. Les éleveurs corréziens en font le constat chaque année un peu plus nettement avec un quotidien bouleversé.
Depuis quelques années, les agriculteurs français ne se contentent plus d’observer les évolutions du climat : ils les subissent. Les éleveurs corréziens en font le constat chaque année un peu plus nettement avec un quotidien bouleversé.

La météo devient de moins en moins prévisible, les saisons semblent se décaler, les sécheresses reviennent plus souvent et les animaux souffrent de la chaleur et subissent des maladies vectorielles plus fréquentes. Ces perturbations, confirmées par les données scientifiques, posent la question de la résilience des systèmes d’élevage face aux évolutions climatiques.
Une intensification des aléas
Depuis deux décennies, les éleveurs observent une accélération des phénomènes extrêmes tels que les vagues de chaleur plus longues, des hivers secs ou très humides, des périodes de sécheresse au printemps, des grêles destructrices, des gelées tardives ou des automnes sans pluie. Cette variabilité ne permet plus une planification fiable des cultures fourragères, de la reproduction des animaux ou de la mise à l’herbe. Le cycle des saisons, socle de l’activité agricole, perd de sa régularité. Derrière ces phénomènes, les données climatiques indiquent un réchauffement certain. À horizon 2100, selon les scénarios étudiés, la température moyenne annuelle pourrait augmenter de 2 à 4 °C en France et, a fortiori en Nouvelle-Aquitaine. Or, c’est surtout la hausse des températures maximales estivales qui inquiète. Certaines simulations montrent que le nombre de jours avec des températures supérieures à 30 °C pourrait doubler, voire tripler dans certaines zones d’élevage.
En Corrèze, les sécheresses estivales posent des problèmes croissants. Les prairies naturelles souffrent dès le mois de juin, obligeant certains éleveurs à entamer prématurément leurs stocks de foin. Dès que les températures dépassent 28–30 °C, la pousse de l’herbe ralentit fortement. Puis, au-delà de 35 °C, la pousse s’arrête quasi totalement, surtout sans eau. Les espèces actuellement dominantes montrent des signes de fatigue, tandis que certaines plantes plus opportunistes prennent le dessus, altérant la qualité du fourrage.
À cela s’ajoute un stress thermique important chez les animaux. L’élevage bovin, majoritaire dans le département, est particulièrement concerné.
Des animaux éprouvés par la chaleur
Les bovins, majoritaires en Corrèze, sont particulièrement sensibles à la chaleur. Dès 22 °C avec 60 % d’humidité, le stress thermique commence à s’installer. Il devient marqué au-delà de 28 °C, surtout si l’humidité dépasse 70 %. Dans ces conditions, les vaches réduisent leur ingestion de matière sèche jusqu’à -15 %, avec un résultat direct sur la production laitière, la rumination, la fertilité ou encore le comportement des animaux.
Ce phénomène s’explique par la biologie même de la vache : sa température interne (entre 38 et 39 °C) est difficile à réguler par temps chaud. Sa peau épaisse, ses poils, ses faibles capacités de sudation et une capacité pulmonaire limitée (12 l pour un bovin de 600 kg, contre l’équivalent de 35 l chez l’humain) réduisent son aptitude à dissiper la chaleur. En période de stress thermique, elle reste debout plus longtemps pour faciliter les échanges thermiques, ce qui accroît la pression sur les membres, favorise les boiteries, et réduit d’autant ses temps de repos, d’alimentation et d’abreuvement.
Adapter les pratiques
Pour répondre à ces défis, l’adaptation est devenue incontournable. Cela commence souvent par des ajustements techniques comme créer des zones d’ombrage en pâture, mieux gérer les accès à l’eau, aménager les bâtiments pour limiter la chaleur, implanter des espèces fourragères plus tolérantes à la sécheresse, ajuster les périodes de reproduction… Mais ces gestes, aussi utiles soient-ils, pourraient ne plus suffire sur le long terme.
Ce serait l’organisation même des systèmes d’élevage qui devrait être repensée. Diversification des cultures, renforcement de l’autonomie alimentaire, ajustement du nombre d’animaux, nouveaux itinéraires de culture fourragère, allongement des rotations, intégration de l’agroforesterie… Les leviers sont nombreux, mais nécessitent du temps, des moyens et surtout de la communication assortie de formations.
L’échelle collective a aussi un rôle à jouer. Mutualisation du matériel, des stocks, des pâturages temporaires ; réseaux d’entraide en cas d’aléas ; projets de territoire pour la gestion de l’eau ; structuration de filières locales plus souples : ces pistes doivent être explorées dans nos campagnes.
Des outils au service de la transition
Pour accompagner ces changements et les éleveurs, plusieurs initiatives voient le jour. Le projet Fermadapt, par exemple, propose des diagnostics de vulnérabilité climatique à l’échelle des exploitations. Dans le cadre des projets Climatveg et Fermadapt, l'Institut de l'Élevage a développé en collaboration avec les Chambres d’Agriculture, CIVAM et GAB un diagnostic de vulnérabilité dont l’objectif est de chiffrer les conséquences d’un aléa climatique sur un système fourrager en Bretagne et Pays de la Loire. Basé sur des références locales et des données de l’exploitation, cet outil est un support de calculs et de discussions pour anticiper et tester des solutions face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents. Il ne s’agit pas seulement de survivre aux crises climatiques, mais de renforcer la robustesse et la pérennité des exploitations.
Une ruralité en question
Ce bouleversement climatique interroge aussi notre rapport à l’élevage et au territoire.
En Corrèze, où l’élevage structure l’économie, le paysage et l’identité rurale, l’adaptation au climat est un enjeu territorial. Les politiques publiques doivent accompagner cette transition, via une recherche appliquée ambitieuse, des aides ciblées, une réglementation plus connectée aux réalités du terrain, et des dispositifs assurantiels adaptés.
Préserver l’élevage corrézien, c’est préserver un mode de vie, une agriculture de proximité, une alimentation de qualité et des emplois ancrés dans nos campagnes. C’est aussi se donner les moyens de résister aux défis du siècle.
Sources
Projet Fermadapt (2023) – Élevage et changement climatique ; INRAE / RMT ClimatAgri – Projections climatiques en Nouvelle-Aquitaine ; Chambre régionale d’agriculture Nouvelle-Aquitaine – Études prairies et adaptation ; APCA (2022) – Adaptation des élevages ; Debaeke et al. (2025) Agriculture et changement climatique ; Chatellier & Vérité (2003) – Élevage bovin et environnement ; Joe Armstrong & Kevin Janni, University of Minnesota. Gwennaëlle SCHMID — Sources : Projet Fermadapt – Synthèse "Élevage et changement climatique" (2023) INRAE / Réseau Mixte Technologique Climat et Agriculture (RMT ClimatAgri) – Données climatiques sur les projections en Nouvelle-Aquitaine Chambre régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine – Études d’évolution des prairies et pratiques d’adaptation Synthèses APCA – Adaptation des systèmes d’élevage face au changement climatique (2022) Debaeke P., Graveline N., Lacor B., Pellerin S., Renaudeau D., Sauquet É., coord., 2025. Agriculture et changement climatique. Impacts, adaptation et atténuation, Versailles, éditions Quæ, 398 p., https://doi.org/10.35690/978-2-7592-4012-8.CHATELLIER, V., & VÉRITÉ, R. (2003). L’élevage bovin et l’environnement en France : le diagnostic justifie-t-il des alternatives techniques ?. INRAE Productions Animales, 16 (4), 231–249.https://doi.org/10.20870/productions-animales.2003.16.4.3662Joe Armstrong, DVM and Kevin Janni, Extension bioproducts and biosystems engineer - University of Minnesota
Ce bouleversement climatique interroge aussi notre rapport à l’élevage et au territoire.