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Vétérinaire
La médecine vétérinaire à la croisée des chemins

Entre anthropomorphisme, émergence de l'intelligence artificielle et rupture du maillage rural, les vétérinaires sont face à autant d'enjeux que de défis à relever pour préserver leur rôle.

© Annick Conté

70 % des épidémies à travers le monde sont d'origine animale. Rage, leishmaniose, grippe aviaire, fièvre aphteuse, peste porcine... Les épizooties s'enchaînent avec la complicité du dérèglement climatique, jusqu'à devenir parfois incontrôlables. Les enjeux de la médecine vétérinaire se renforcent et les frontières avec la médecine humaine s'amoindrissent. « Les vétérinaires sont les sentinelles de notre système sanitaire » a résumé Gérard Larcher, président du Sénat et lui-même vétérinaire, lors d'une conférence la semaine dernière, dans les locaux de VetAgro Sup à Lempdes. Ce rendez-vous a réuni les vétérinaires diplômés des promotions de 1983-1984 jusqu’à la promotion 2024-2025. Durant près de trois heures, ils ont débattu des enjeux pesant sur leur profession et comment les relever alors que le maillage de la santé animale dans notre pays est au bord de la rupture.

La désertification des vétérinaires ruraux compensée en partie par l'amélioration des pratiques d'élevages

Qu'est-ce qu'un vétérinaire ? Que sera-t-il demain ? Un docteur pour les animaux du point de vue de la société mais pour les premiers concernés, la réponse n'est pas aussi simple. 

En milieu rural, la désertification des vétérinaires, additionnée à la baisse du nombre d'exploitations, met en péril le maillage du territoire et in fine le système sanitaire. Line Jolivet, vétérinaire spécialisée en rural dans l'Ain l'observe chaque jour. « La taille de nos secteurs augmente. Il est impossible de tout réaliser dans une journée. Nous avons perdu 30 % des élevages. Ceux qui restent sont plus éloignés les uns des autres et ont des troupeaux plus grands.» Pour assurer la continuité du suivi, le vétérinaire urgentiste tend à disparaître au profit du vétérinaire formateur et préventeur. « La prévention est primordiale pour réduire nos interventions et faire économiser de l'argent aux éleveurs. Les former à intervenir en urgence sur leurs animaux est aussi une brique pour rompre l'isolement médical. »

Le perfectionnement des pratiques d'élevages est une des réponses à ce déficit de vétérinaires ruraux. Les praticiens n'hésitent plus à se rapprocher des différents intervenants dans les fermes pour construire avec eux un travail à l'échelle du troupeau voire du système. « La gestion des prairies et la sélection génétique sur les animaux permettent de réduire le recours aux antibiotiques. Les agronomes ont cette vision systémique que n'ont pas les vétérinaires, comme nous n'avons pas la vision médicale. Nos deux métiers peuvent et doivent fonctionner ensemble » assure Audrey Michaud, ingénieur agronome et enseignante chercheur en sciences animales. Certaines cliniques vétérinaires ont déjà pris ce chemin en recrutant des agronomes pour offrir un service complet à leurs clients, de la formation à l'intervention. 

Un tel chantier demande cependant de reconsidérer les relations entre éleveurs et vétérinaires. Pour Line Jolivet, un tel travail partenarial nécessite « une adhésion de l'éleveur » à un contrat de soin, non moins pour sceller la confiance entre les deux parties que garantir une sécurité économique au praticien.  

A lire aussi : «Vétérinaire rural, c'est une vocation avant tout»

Les vétérinaires face à un carrefour éthique

Du côté des animaux de compagnies, la crise de vocation des vétérinaires n'a pas lieu. Au contraire, les jeunes praticiens sont encouragés dans leurs pratiques, et la spécialisation de ces dernières. Au sein des familles, les animaux de compagnies prennent de plus en plus de place allant jusqu'à revêtir le statut de membre à part entière. Les praticiens témoignent de clients de plus en plus exigeants, les obligeant à se poser la question : « jusqu'où on accepte cette exigence ? » Des défis éthiques et capitalistes s'imposent alors faisant naître de nouveaux enjeux tant pour les vétérinaires que la société.

Pierre Buisson, vétérinaire et ex-président du syndicat national des vétérinaires libéraux affirme que les praticiens sont « au carrefour d'un piège (...) face à des dilemmes éthiques auxquels ils ne sont pas préparés et qui peuvent les entraîner vers une attitude totalement soignante alors que ce n'est pas notre essence ». Devant ce nouvel équilibre entre l'Homme et l'animal, le vétérinaire pourrait se faire entraîner vers un rôle similaire à celui des médecins. Quid alors de l'équilibre entre économie et éthique ? « On ne doit pas oublier que l'on ne soigne que les animaux que les propriétaires veulent bien soigner. »

Ce rôle d'arbitre, Gérard Larcher encourage les jeunes vétérinaires à s'en ressaisir. « Il est de notre responsabilité de vétérinaire de nous investir davantage dans le débat public sur la souffrance animale, les devoirs de l'Homme envers les animaux mais aussi sur leur place respective pour porter un discours raisonné et raisonnable. »

Une position partagée par Jean-Luc Cadoré, professeur émérite de médecine interne vétérinaire. « Le vétérinaire doit tenir en respect la surmédicalisation, le surdiagnostic et l'obstination déraisonnable à toutes les étapes de la démarche clinique. »

A lire aussi : Dans la peau d’un vétérinaire

La médecine vétérinaire face à l'IA

Les évolutions technologiques au sein de la profession participent pourtant grandement à amincir les frontières entre médecine vétérinaire et humaine. Les praticiens ont désormais accès à des techniques d'imageries médicales similaires. Échographie, radios, endoscopies ou encore scanners aident aux diagnostics et améliorent les taux de survie. L'accès à une information dense et améliorée à travers divers supports, participe à faciliter l'exercice de la profession et d'alimenter les connaissances des vétérinaires.

Dans un avenir proche, l'IA viendra elle aussi apporter sa pierre à l'édifice. Sébastien Lefèbvre, directeur d'enseignement à VetAgro Sup met en garde face cet afflux d'outils et la perte de relations humaines qu'il induit. « On devient vétérinaire avant tout pour protéger la santé humaine puis soigner les animaux. L'IA est un outil qui nous augmente, pas qui nous remplace. Les jeunes vétérinaires doivent s'en servir dans ce but. L'enjeu de la formation vétérinaire est de replacer de l'humain dans un système où, oui les connaissances sont importantes, oui on soigne des animaux mais surtout on sert la société. » 

Mélodie Comte

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