La filière du lait bio prise en étau entre reprise du marché et poursuite des déconversions
À la fin de l'année, la région AuRA devrait compter 6 % de producteurs de lait biologique en moins par rapport à 2024. Pourtant, depuis cet été, le marché donne des signes de stabilisation voire de rebondissement.
À la fin de l'année, la région AuRA devrait compter 6 % de producteurs de lait biologique en moins par rapport à 2024. Pourtant, depuis cet été, le marché donne des signes de stabilisation voire de rebondissement.

Depuis l'effondrement de la demande de lait bio en 2021, la filière peine à sortir la tête de l'eau. Jusqu'à 40 % des volumes ont été réorientés vers le conventionnel, au plus fort de la crise. Le lait bio a été privé de valorisation tandis qu'en parallèle, le prix du lait conventionnel augmentait. L'écart de prix entre les deux a été réduit à peau de chagrin passant de 120 €/1 000 l en 2019 à 42 €/1 000 l sur l'année glissante de 2024. La conversion au bio n'est alors plus justifiable sous l'angle économique et la filière fait face depuis à des vagues de déconversions.
La région Auvergne Rhône-Alpes continue de perdre des producteurs de lait bio
À la fin de l'année, la région AuRA devrait compter 586 producteurs, soit 6 % de moins qu'en 2024. La collecte sur cette année accusait d'ores et déjà un net recul de 7,4 %. «
Selon les premières prévisions en date de juillet, la collecte régionale 2025 devrait être au niveau de celle de 2018 » explique Claire Broucke de la FRAB*.
À l'époque, le bilan de conjoncture d'Agreste comptabilisait 123 millions de litres collectés dans toute la région. Le service de statistique du ministère de l'Agriculture notait alors : « les volumes de lait biologique bondissent (+ 68 %/2017) ». Les prix élevés et la demande croissante soutenaient et encourageaient les éleveurs à la conversion, entretenant l'espoir d'une meilleure rémunération. « On pouvait observer des vagues de conversions suite à des crises laitières majeures, comme celle de 2009 ou 2015. » Sept ans plus tard, la majorité des exploitations en déconversions ont moins de 10 ans d'ancienneté dans le bio. La conjoncture actuelle n'incite pas non plus à la reprise des exploitations après à un départ à la retraite.
À lire aussi : Quel avenir pour la filière biologique après la crise du marché ?
Les ventes des magasins bio repartent, les GMS réduisent drastiquement leur nombre de références
L'urgence pour la filière est de redonner de la valeur au lait bio pour stopper cette érosion.
Depuis cet été, les volumes transformés ont augmenté de 1 % » précise Claire Broucke.
Yaourts (+ 5,3 %), desserts frais (+6,0%) et fromages (+ 6,5 %) affichent en effet une légère progression des ventes sur le premier semestre 2025, d'après la note de conjoncture de juin 2025 de l'Agence Bio. Ces niveaux offrent une stabilisation à la filière et un peu de baume au cœur des producteurs mais ils restent en deçà des niveaux d'avant crise. De plus, d'autres produits ont reculé tels que les fromages frais (-1,6 %), le beurre (-5,1 %) et la crème (-17,2 %).
Dans les rayons, ces changements de consommation de la part des ménages français se ressentent dans leur agencement. Bien que les volumes de bio vendus en GMS aient augmenté de 2 % au mois d'août, le linéaire consacré à ces produits représente désormais 2 % de la surface des magasins contre 15 % il y a quelques années encore. « Le nombre de références a cruellement baissé sauf pour les fromages. Or, moins il y a de références, moins les consommateurs sont tentés d'acheter. »
Les magasins spécialisés voient en revanche leurs ventes rebondir tout comme les volumes de consommation de la RHD (restauration hors domicile).
Sodiaal et Biolait parviennent à réduire les déclassements de lait bio
Cette légère reprise du marché bio et la baisse de la collecte suffisent à rééquilibrer le déclassement du lait bio chez les opérateurs.
Seulement 18 % des volumes collectés ont été déclassés en 2024 » annonce Maxime Charret, administrateur chez Sodiaal qui ajoute « c'est encore trop ».
L'offre est toujours excédentaire par rapport à la demande et la saisonnalité accentue le phénomène. « Nous parvenons à valoriser la totalité du lait bio produit en été mais aux alentours d'avril, nous avons inévitablement un pic de déclassement. » La coopérative se tourne vers les marchés extérieurs à la France. En 2024, elle a noué un partenariat avec la coopérative Arla (siège social au Danemark, présente dans huit pays d'Europe du Nord) sur les poudres de lait bio infantiles. Elles devraient être fabriquées à partir de la fin de l'année, dans l'usine de Montauban.
Nous n'avons pas encore les volumes exacts mais la fabrication de poudre permettrait d'atténuer les effets des volumes excédentaires sur le marché intérieur. »
Chez Biolait ce rééquilibrage a des airs de mi-figue, mi-raisin. L'entreprise qui collecte 25 % du lait bio français, compte en Auvergne-Rhône-Alpes entre « 120 et 130 producteurs ». Bien que des temps meilleurs s'annoncent pour 2026, François Gillard, administrateur de la laiterie, ne cache pas que l'augmentation des charges de collecte met à mal l'activité.
Nous gagnons 30 adhérents par an mais entre les déconversions et les cessations d'activité, nous avons un solde de producteurs nul. Nous nous battons pour ramener de la valeur dans les fermes et consolider notre collecte. »
Biolait a malgré tout été contraint de déclasser en 2024 encore 20 % du lait bio (contre 30 % en 2023). L'entreprise spécialisée compte elle aussi sur une ouverture vers des marchés extérieurs. « De nouveaux contrats sont en négociation. »
Malgré ces signaux de reprise, le marché intérieur des produits laitiers bio apparaît encore comme incertain notamment face à la concurrence avec les labels et appellations d'origines.
Cette crise de la filière n'est pas propre à la France. La collecte de Grande-Bretagne a elle aussi diminué de 9 % au cours de l'année 2024, tout comme en Italie et au Danemark. Seuls l'Allemagne et l'Autriche affichent une progression respective de + 1,9 % et + 4,7 % (source Tendances lait viande - Idele).
En plus de maintenir suffisamment sa production pour ne pas perdre trop de volumes, la filière doit jouer un jeu d'équilibriste délicat : envoyer son lait sur le marché mondial, sans déstructurer le marché intérieur.
*Lors d'une réunion d'information organisée en collaboration avec bio 63 et la Chambre d'agriculture régionale, à Condat-lès-Montboissier dans le Puy-de-Dôme
À lire aussi : Solutions et innovations pour les agriculteurs au salon Tech and Bio