La crise laitière analysée, décryptée, dans un langage de vérité et responsable
La semaine dernière, les responsables de la FDSEA et des JA de Haute-Loire ont organisé 4 réunions d'information et d'échanges sur le terrain. À Costaros, Langeac, Polignac et Yssingeaux, ils ont rencontré leurs adhérents pour aborder dans toute sa dimension le grave problème de la crise laitière. Les débats ont été houleux certes, mais néanmoins très constructifs. Les adhérents en mal d'informations attendaient ces rendez-vous au cours desquels ils se sont largement exprimés. Quant aux responsables, ils ont répondus à toutes les questions expliquant avec force détails le contexte et les enjeux.
président de la section laitière pour la FDSEA ; Jérome Veysseyre secrétaire général
et Jean-Julien Deygas président pour les JA.
«On est là pour tout se dire», d’entrée Gilbert Guignand président de la FDSEA met tout le monde à l’aise. Dans le contexte actuel de grave crise agricole, et tout particulièrement de crise laitière, les responsables professionnels de la FDSEA et des JA ont choisi d’aller à la rencontre de leurs adhérents pour un débriefing complet. Ils ont donc participé à 4 réunions, Costaros le 24 septembre, Polignac le 30, Langeac le 1er octobre et Yssingeaux le 2. Nous étions ce jeudi soir à Langeac au milieu de plus de 100 adhérents de la FDSEA ou des JA venus du Brivadois, du Langeadois ou du secteur de Saugues.
Nous nous étions préparés à assister à une réunion animée, voire à des débats houleux. Et la rencontre fut à la hauteur de nos attentes.
Des questions nombreuses et pertinentes, une inquiétude très perceptible avec parfois une colère contenue mais une réelle volonté de s’en sortir et de vivre de ce métier, la salle n’a pas manqué ce rendez-vous avec les responsables. Et côté tribune (pour la FDSEA, Gilbert Guignand président, Jean-Michel Durand secrétaire général et Yannick Fialip président de la section laitière, et pour les JA, Jean-Julien Deygas président et Jérôme Veysseyre secrétaire général), une parfaite connaissance du dossier, du contexte et des marges de manoeuvre, des explications concrètes et objectives, des argumentaires forts, étayés et néanmoins réalistes, une réelle prise en compte des «souffrances» exprimées par les producteurs, dont ils font partie, ont donné, sans ambages, de la teneur au débat.
«Il fait reprendre la main sur la maîtrise de la production»
Pour lancer la réunion, Yannick Fialip a fait un point détaillé de la situation de la filière laitière aujourd’hui en partant de l’historique de la PAC (voir encadré). Il a ensuite tracé les perspectives à court et moyen terme. «Il faut reprendre la main sur la maîtrise de production, au niveau européen» - et ce sujet est à l’ordre du jour de la réunion des Ministres européens du 5 octobre - dira-t-il en insistant «il faudra jouer collectif. Mais ce ne sera pas facile. En Europe on n’a pas tous le même langage et les même enjeux». Sur le prix, les responsables restent prudents tout en notant quelques signes permettant de dire que le prix 2010 sera supérieur au prix 2009. Quelques éléments d’explications : au niveau international, reprise de la consommation et baisse de la production, remontée des cours beurre et poudre ; et en France légère reprise de la consommation…
Yannick Fialip s’est ensuite intéressé aux modalités françaises si tant est que l’on ait quelques latitudes. «Il y a 400 entreprises laitières en France, contre 1 ou 2 dans les autres grands pays laitiers européens. Nous devons nous organiser et garantir des identifiants lait français. Sur le plan départemental aussi, il y a du travail. 180 millions de litres de lait pour l’entreprise de Brioude, 50 millions à Beauzac et 40 à Araules, c’est plutôt rassurant» souligne le président de la section laitière. «Mais nous devons trouver des solutions pour optimiser le potentiel de 70 millions de litres de lait pour l’usine du Puy, qui tourne aujourd’hui avec 20 millions».
Yannick Fialip n’occulte pas la réalité : «Depuis 25 ans, avec les quotas laitiers et les soutiens européens, on n’a jamais eu le souci du devenir de notre lait. On a maintenant 4 ans avant la fin des quotas pour nous organiser, identifier et valoriser notre lait».
La salle n’est pas restée muette
Face à ces explications, la salle a réagi, demandant des explications en détail sur l’URCVL, les différences de prix payés aux producteurs, la contractualisation, la grève du lait et les relations entre le syndicalisme majoritaire et l’APLI, l’image du métier, les primes…
Sur la contractualisation, les responsables FDSEA et JA sont catégoriques : «C’est à nous de l’organiser. Nous devons créer des groupes de producteurs pour négocier collectivement auprès des entreprises. C’est notre seule chance de tirer la couverture à nous ; il existe déjà, c’est le guide contractuel». Gilbert Guignand ajoute que «l’État, qui par ailleurs se désengage de tout, doit avoir un rôle de surveillance dans ce dossier». Toujours dans cette voie, les responsables s’interrogent : «faut-il continuer à laisser la facturation aux entreprises, les tanks à lait propriétés des entreprises, les résultats d’analyses payés par les producteurs mais à destination des entreprises…» et de regretter : «Pendant 25 ans, on a tout laissé aux entreprises…».
Sur les différences de prix payés aux producteurs, les responsables ont reconnu des situations à éclaircir et à régler, mais ils ont aussi appuyé là où ça fait mal… Gilbert Guignand souligne : «Entre le meilleur producteur et le moins bon, il peut y avoir un différentiel de prix jusqu’à 100 €/tonne. 30 % seulement des livreurs de lait à Sodiaal sont au prix maximum sur notre région alors que dans d’autres régions, ils sont 70 %…» Il y a donc encore une marge de progrès pour un meilleur prix. Les responsables ont aussi insisté sur la maîtrise des charges d’exploitation, indispensable pour améliorer son revenu, «car entre cette année 2009 et 2006, année où les prix du lait étaient les plus bas, la différence est la hausse des charges qui a grevé les trésoreries».
Et concernant l’URCVL, les professionnels ont clairement dit qu’il fallait aujourd’hui trouver des solutions pour que d’autres entreprises absorbent les 70 millions de litres de lait d’excédents de l’Union de coopératives. La FDSEA et les JA, entre autres, travaillent d’arrache-pied sur ce dossier, toujours dans la même optique, ne pas laisser des producteurs sur le carreau.
Et la grève du lait…
Concernant la «grève du lait», le débat s’est d’abord focalisé sur des chiffres, 6 ou 7 % de grévistes pour les uns contre 30 % pour les autres, avant que Gilbert, Yannick et Jean-Julien n’expliquent pourquoi la FDSEA et les JA n’ont pas appelé à suivre le mouvement. «L’expérience de 1972 en France ou récemment en Allemagne a laissé des traces indélébiles dans les campagnes et une division parmi les producteurs. Une diminution importante de la production permettrait une remontée des prix, à condition que les frontières soient étanches… Ce n’est pas le cas. Pour être efficace, une grève devrait concerner 100 % des producteurs et pas seulement français…». Autres arguments lancés par Jean-Julien Deygas : «pousser à la grève du lait, même s’il appartient à chacun de suivre ou non, serait faire prendre un trop grand risque aux éleveurs en raison des grandes difficultés de trésoreries. Et certains secteurs allaient droit vers un arrêt de collecte…». Parmi les adhérents FDSEA et JA présents à Langeac, quelques uns ont regretté qu’il n’y ait pas eu d’échanges entre le syndicalisme majoritaire et l’APLI. Interrogation à laquelle il leur a été répondu de lire le compte rendu dans la presse de la session de janvier de la Chambre d’Agriculture, qui met en avant la stérilité d’un dialogue de sourds.
Les responsables professionnels ont par ailleurs fait part des revendications qu’ils ont présenté à François Fillon lors de sa visite en Haute-Loire. Gilbert Guignand a expliqué que pour permettre aux agriculteurs, toutes productions confondues, de passer ce cap difficile, la FDSEA et les JA ont demandé une aide directe à l’exploitant pendant quelques mois ; aides qui viendrait bien sûr en plus des mesures nationales. Et en réponse à ceux qui disent avoir honte de recevoir des primes, Yannick Fialip rétorque : les primes à l’agriculture, ça représente 100 € par citoyen. Et pour 100 €, les agriculteurs nourrissent tout le monde en quantité et en qualité, et entretiennent les campagnes. Alors, non, moi je n’ai pas honte !» lance-t-il. Et Gilbert Guignand de renchérir : «En Haute-Loire, si on n’a que les marchés sans compensations, on a tout perdu… L’agriculture de montagne, avec ses handicaps ne pourra jamais rivaliser avec les autres régions».
Jean-Julien Deygas a eu bien du mal à parler d’installation et de besoin d’installation dans un contexte où les perspectives sont particulièrement sombres. Néanmoins, il a tenu à affirmer qu’une profession qui n’installe pas est une profession qui meure. Cette année le Point Info installation a reçu 120 candidats. Aujourd’hui, 49 sont installés. «Même si c’est pas facile, même si la conjoncture est mauvaise, on ne peut pas dire à un jeune qui a la volonté de devenir agriculteur, de renoncer… Il le fera néanmoins sans les aides…».
Les débats ont été riches et argumentés. Cette réunion, les 3 autres également, était attendue par les adhérents FDSEA et JA en mal d’informations et de dialogue. Le mot de la fin revient à la FDSEA, avec Jean Michel Durand qui appelle les adhérents à se servir du réseau pour faire remonter leurs inquiétudes et leurs questions, et pour s’informer. Et Gilbert Guignand ajoute : «dans cette situation de crise, il est important que le monde agricole reste soudée. Le Gouvernement et son président Nicolas Sarkozy, font tout pour nous diviser et anéantir la force du syndicalisme. À nous de ne pas tomber dans ce piège…».
Y. Fialip revient sur l’historique et la conjoncture laitière actuelle
Notre Métier est régi par la Politique Agricole Commune. Mais cette PAC est passée d’une politique de soutien des marchés à une politique de soutiens des producteurs. Ça a commencé en 1982 avec les ovins, puis en 92 avec les céréales, en 94 pour la viande bovine et en 2003, c’est au tour du lait : la Commission européenne a dit «on ne soutient plus le marché du lait».
Sur la scène internationale, en 2007, un manque de lait conduit à une flambée des cours jusqu’à + 100 €/1000 l, situation qui dès la fin 2008 s’inverse et provoque un effondrement des cours.
A cette situation, on rajoute le contexte national. On avait une interprofession qui fonctionnait. L’État l’a dénoncée, conduisant ainsi à une libéralisation des cours qui font le yoyo entre 200 à 400 €/t. Ce printemps, un accord a été signé à 280 €/t. Un mauvais accord, il est vrai, mais sans accord, chaque entreprise a le champ libre pour décider de son prix (proche du cours mondial) ; exemple, le prix payé en avril était de 210 à 220 €/t environ. L’exemple des autres productions, céréales, porcs, est éloquent.
Et pour compléter le tableau, Yannick Fialip revient sur le contexte local, avec le dossier Via Lacta qui a retenu l’attention des professionnels pendant de longs mois avec pour seul mot d’ordre, «éviter de laisser sur le bord de la route 150 producteurs de Haute-Loire ; ce qui a été évité de justesse».