Il faut réhabiliter l’agriculture dans sa fonction nourricière”
Philippe Chalmin, économiste et expert réputé des marchés des matières premières, a livré une analyse percutante des causes de l’inflation record des prix agricoles.
Une situation sans précédent
S’il s’est gardé de toute prédiction définitive, Philippe Chalmin, arrière petit-fils de “castanhaires”, n’en a pas moins conduit l’assistance à un vaste tour d’horizon des facteurs, selon lui, à l’origine du retournement du marché des “commodités” (énergie, métaux, pâte à papier, produits agricoles), analyse à même de dévoiler quelques perspectives pour les décennies à venir. “Nous vivons un moment historique, une situation économique comme jamais nous n’en avons connu par le passé” : le décor est planté. Des parallèles ont pu être établis avec le choc pétrolier des années 70, à une différence près selon l’économiste, et de taille : “L’évènement majeur de ce début de 21e siècle est que les marchés agricoles s’envolent eux aussi”. Un phénomène que Philippe Chalmin analyse comme la résultante directe de la “fin de la Pac telle que nous l’avons connue”. Selon lui, à l’été 2006, une parenthèse historique s’est fermée : celle ouverte le 15 août 1936 avec la création de l’Office du blé qui mit fin aux fluctuations du marché des céréales. “70 années de protection, de marchés régulés et organisés”, résume P. Chalmin. En supprimant les subventions à l’exportation et en synchronisant les prix européens et mondiaux des céréales, l’Union européenne et l’OMC ont donc fait le choix de basculer “du stable à l’instable”. Dont acte, mais la politique agricole ne peut expliquer l’extraordinaire flambée du prix du pétrole, de l’acier, du caoutchouc... L’économiste revient alors aux fondamentaux du marché, en rappelant qu’un prix est toujours la résultante de l’offre et de la demande. “En agriculture, on a eu du mal à entrer dans cette logique simple”, juge-t-il, excluant de fait le principe de prix rémunérateurs.
Les égarements de la “décroissance”
Et si les prix s’envolent, c’est donc que l’offre n’arrive plus à assumer une demande qui explose avec la croissance économique mondiale, inégalée jusqu’alors et qui a atteint ces dernières années 5 % par an. Une croissance dopée par l’émergence au début du 21e siècle de pays qui ne sont pas loin de représenter la moitié de la population mondiale. Il y eut d’abord les petits, les “tigres et dragons”, puis la Chine, l’Inde... Avec son 1,4 milliard d’habitants, sa croissance annuelle qui dépasse les 10 %, la Chine, longtemps considérée comme un grenier, est devenu le premier importateur mondial. Et si l’offre n’a pas suivi, c’est la conséquence d’un temps de latence nécessaire pour relancer investissements et productions après des années de prix très bas, qui n’ont guère incité investisseurs et banquiers à miser sur la production agricole, minière... “Dans le domaine agricole, on est en train de payer des erreurs politiques majeures et une pensée unique selon laquelle produire, c’était mal. On a dit à l’agriculture : produisez bio, surtout sans OGM, soyez des jardiniers...”. L’économiste est encore plus sévère lorsqu’il juge que ce raisonnement a été appliqué aux pays du tiers monde. “C’est écoeurant de voir le FMI et la Banque mondiale s’alerter aujourd’hui d’une situation qu’ils ont eux-mêmes engendrée en imposant à ces pays le démantèlement de leur agriculture au profit des importations”. Alors où allons nous ? “Je reste optimiste, considérant que nous ne sommes pas loin d’avoir atteint des prix plafonds et qu’on sous-estime la capacité humaine à réagir à travers le progrès technique”. Pour l’agriculture, le challenge est plus ardu : doubler la production à surfaces constantes avec moins d’eau et des sols appauvris. P. Chalmin ne voit donc que deux voies - de nouvelles révolutions vertes basées sur l’innovation et la carotte des prix - et un précepte fondamental : “réhabiliter l’agriculture dans sa fonction nourricière”.