Francis Le Bas, président de l’interprofession porcine Auvergne-Limousin
« Les éleveurs sont pris en étau »
En ce début d’année, la filière porcine traverse une conjoncture économique délicate tandis que la progression de la fièvre porcine africaine inquiète les éleveurs, qui depuis le 1er janvier sont soumis à une nouvelle réglementation en matière de castration. Bilan et perspectives avec le président de l’interprofession porcine Auvergne-Limousin.
Depuis le 1er janvier dernier, la castration des porcelets à vifs est interdite. Avec quelles conséquences pour les éleveurs et quel accompagnement ?
Francis Le Bas : Toutes les consignes techniques ont été données aux éleveurs par leurs structures afin qu’ils appliquent cette nouvelle règlementation. Des formations ont été organisées par l’Institut français du porc (IFIP) en ligne. Depuis le 1er janvier, lors des contrôles sont exigibles à minima : l’attestation individuelle de formation et la prescription vétérinaire des médicaments vétérinaires associés au protocole choisi. Le problème aujourd’hui est économique, avec un différentiel entre l’éleveur qui va produire du mâle entier et celui qui va faire du mâle castré. On l’estime à environ à 10 euros. Nous aurions souhaité qu’il y ait une plus-value technique substantielle. Mais pour le moment, cela n’a pas abouti. C’est d’autant plus dommageable dans une région comme la nôtre, et plus globalement dans tous les départements du sud de la France, où la tradition de la salaison est bien ancrée, et où nous savons que le porc castré aura l’avantage des entreprises. La conservation des jambons, l’épaisseur des gras…est obtenu majoritairement grâce à la castration des porcs.
Plus globalement sur la conjoncture économique, le retrait de la Chine a des conséquences délétères sur le marché…
F.L.B : Le cadran plafonne à 1,24 euros depuis pas mal de semaines. C’est une catastrophe qui est accentuée par la très forte hausse du coût de l’aliment. Nous estimons aujourd’hui que les éleveurs perdent en moyenne entre 25 et 30 euros par porc. Nous sommes très inquiets car à ce rythme là nous risquons d’assister à des arrêts de production et à des accélérations de départs à la retraite. La baisse des importations chinoises explique en effet ce revirement de situation. Le marché s’est refermé autour de l’Europe, avec l’Espagne et l’Allemagne qui n’exportent plus en dehors de l’Union européenne. Jusqu’à présent, dans notre région, nous avions réussi à maintenir les volumes, il y a donc urgence que les cours se redressent.
Pour les mois à venir, les signaux sont-ils plus encourageants ?
F.L.B : Pas vraiment avec des charges qui continuent d’exploser et la Chine qui n’importe pas davantage, sachant qu’à elle seule elle représente la moitié de la production mondiale. Très affectée par la fièvre porcine africaine, la Chine a subi des pertes colossales. Mais à ce stade, nous ignorons les volumes que les chinois ont remis en place.
A propos de la fièvre porcine africaine, le risque se rapproche avec un nouveau cas décelé en Allemagne en décembre, et en Italie cette semaine…
F.L.B : Un nouveau cas de FPA dans un élevage de porcs a été en effet déclaré en Allemagne, proche de la frontière polonaise, qui était jusqu’à maintenant indemne de FPA. Cela nous inquiète évidemment car même si ce cas se trouve à l’est de l’Allemagne, en cas de propagation rapide, nos régions pourraient être les premières touchées. D’où l’intérêt de faire le nécessaire en matière de biosécurité. Nous appelons à plus de vigilance, notamment en ce qui concerne les petits élevages qui n’adhèrent à aucune structure et pour lesquels nous ne savons pas s’ils ont appliqué les règles de biosécurité. C’est une enjeu collectif crucial.
La filière porcine est régulièrement la cible d’attaques de groupuscules anti-viande comme L-214. Les pouvoirs publics ont-ils selon vous pris la mesure des conséquences de ces intrusions ?
F. L.B : L 214, ce sont des gens qui sont des anti-viande, des anti-élevage. Ils prétextent défendre le bien-être animal, alors que foncièrement ils veulent abolir la consommation de viande. Aujourd’hui, ils ciblent les élevages de porcs, mais demain ils auront la même attitude envers toutes les espèces animales. D’une part, c’est scandaleux que des gens puissent rentrer dans des élevages sans autorisation, sans respecter aucun protocole sanitaire à l’heure où tous les éleveurs sont soumis à des règles de biosécurité drastiques. D’autre part, en voyant ces images montées de toutes pièces, les gens se sentent salis, humiliés, anéantis. Il serait grand temps que les pouvoirs publics prévoient un arsenal juridique qui fasse en sorte que l’éleveur visé, ne devienne pas coupable dès le lendemain. On sous-estime les dégâts de telles intrusions, humainement les conséquences peuvent être dramatiques pour une population d’éleveurs déjà fragiles. Les gens qui pénètrent dans les élevages doivent être condamnés. Il est grand temps que nos gouvernants fassent le nécessaire afin d’éviter des drames.