Feuilles de haies au menu des bovins : un régime équilibré ?
La pratique est ancienne chez certains éleveurs : affourager les animaux avec des rameaux de haies pour pallier le défaut de pâturage. L’Idele a objectivé l’intérêt de cette “roue de secours”.
La pratique est ancienne chez certains éleveurs : affourager les animaux avec des rameaux de haies pour pallier le défaut de pâturage. L’Idele a objectivé l’intérêt de cette “roue de secours”.

Distribuer des branches de haies aux vaches en période de sécheresse : si la pratique est ancienne et traditionnelle dans certaines régions d’élevage dont le Massif central, certains s’interrogent. Y’a-t-il une vraie pertinence en termes de digestibilité et valeur alimentaire pour les ruminants ? “Ne fait-on pas qu’amuser les vaches ?” Des questions sur lesquelles l’Institut de l’élevage (Idele) s’est penché dans le cadre de travaux sur l’intérêt de l’agroforesterie en
élevage ovin, “mais dont les résultats sont généralisables en bovins”, indique Mickaël Bernard, chef de projet à l’Idele et directeur adjoint du Ciirpo(1), récemment invité à La Trinitat par le parc régional naturel de l’Aubrac, sur la complémentation de la ration estivale des troupeaux avec des feuilles de haies, dans un contexte de changement climatique dont les effets sont cet été encore bien visibles sur les prairies.
Avec un message : “Les haies sont une ressource disponible sur l’exploitation ; une manière de les entretenir et de les valoriser, c’est de les utiliser comme fourrage à un moment clé du système, en période de sécheresse."
L’idée c’est donc, dans ces périodes sans herbe, de tabler sur cette ressource locale plutôt que de déstocker le foin récolté au printemps. Cela reste une pratique roue de secours" Mickaël Bernard
Haies fourragères : le frêne, emblématique de la pratique
Quelles essences faut-il privilégier ?
Mickaël Bernard : “La plupart des espèces bocagères présentes dans les haies peuvent être utilisées en affouragement. Certaines - type chêne - ont cependant des com-posés secondaires, notamment des tanins ou encore de l’acide salicylique, qui limitent leur appétence et leur ingestion. Elles ont aussi une tolérance à la taille très variable : par exemple le chêne blanc est peu adapté. D’autres ont très peu de rendement fourrager, c’est le cas d’arbustes type groseillers sauvages, de l’aubépine... Au final, on prend donc des essences qui allient a minima biomasse et appétence ; dans le Massif central, l’arbre emblématique de cela est le frêne, taillé en têtard de manière traditionnelle et largement exploité sur ce volet. On peut aussi citer le mûrier blanc, le peuplier noir.”
Des fourrages ligneux riches, stables, bien digérés
Quelle est leur valeur alimentaire ?
M. B. : “Le frêne affiche un taux de MAT(2) de 13,50 %, soit l’équivalent d’un ray gras ; d’autres ont des MAT encore plus élevés 15,31 % pour le mûrier et le peuplier, 16,31 % pour le noisetier (l’équivalent d’un foin fauché au stade début épiaison, NDLR)... Avec l’avantage que cette valeur alimentaire reste stable au cours de la saison estivale : par exemple, on a 133 g/kg de MS pour les feuilles de noisetier au 1er août et toujours 136 g/kg au 15 septembre. Les teneurs en MAT sont en revanche beaucoup plus faibles pour les tiges de l’année. La digestibilité de cette ressource fourragère ligneuse est bonne mais avec plus de variabilité. Cette ressource étant encore peu étudiée, on ne dispose pas d’équation de prédiction des UF (unités fourragères) et PDI (valeur protéique de l’aliment).
Quant à leur ingestion, elle est supérieure à la plupart des fourrages : les tests ont montré que les quantités de feuilles de frêne et de mûrier ingérées (par les ovins) sont majorées de 45 % par rapport au foin.”
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Peuvent-elles être utilisées pour tout type d’animaux ?
M. B. : “On a testé un affouragement en frêne (à 50 %) sur des animaux (agneaux) en croissance en alternative à du concentré ; ça marche, on a des résultats quasiment comparables. Mais pour ne pas impacter potentiellement leur croissance ni leur développement, on va cibler des animaux adultes (“plus élastiques”) ou déjà développés. Si on l’envisageait pour des animaux productifs, il y aurait une contrainte forte en termes de distribution : il faudrait distribuer tous les jours et en quantité suffisante.
C’est pourquoi on va plutôt privilégier des animaux à l’entretien, à besoins légers ou modérés : vu qu’on du mal à estimer la biomasse disponible, on peut en effet se permettre d’avoir plus de fluctuations sur les apports avec ces catégories .”
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Sous quelle forme se fait cette distribution ?
M. B. : “Des branches tombées au sol. Le plus simple reste donc la coupe mais l’idée est de ne couper que l’année où l’on en a besoin, en période de sécheresse notamment, en s’adossant au nécessaire entretien de la haie. Et en rappelant que cette pratique est réglementée et autorisée uniquement du 16 août au 15 mars suivant.
On a aussi travaillé sur la valorisation du reste des branches : elles peuvent partir en broyage pour servir de litière en alternative à la paille, car en année de sécheresse, on peut aussi manquer de paille. Dans le cas contraire, on peut les destiner à du bois énergie.”
Distribution, quel est le bon tempo ?
M. B. : “On a fait des tests en distribuant tous les jours (15 kg), tous les deux jours (30 kg) et tous les trois jours (45 kg). On a pu constater que le premier jour, la quantité consommée est composée de 92 à 95 % de feuilles, le deuxième jour on a recensé 20 % de bois dans la ration, le troisième 50 % de jeunes tiges. Les animaux commencent donc par consommer ce qui est plus appétant puis se tournent vers les jeunes tiges...
Quand on ne distribue que tous les trois jours, certes on va valoriser davantage de quantité mais avec une ration dont la qualité diminue. Sur des animaux en production, mieux vaut donc une distribution tous les jours voire tous les deux jours ; pour des animaux à l’entretien, on peut se permettre de passer à trois jours. Ceci dit, l’apport journalier est une habitude et non une obligation, ce qui compte c’est une distribution au rythme de chacun et selon les besoins du troupeau.”
Coupe nette, au bon endroit, au bon moment
La qualité de la coupe n’est pas neutre...
M. B. : “Oui, elle doit se faire avec du matériel adapté, en sécurité (avec une nacelle installée sur le tracteur ou le télescopique). La coupe doit respecter le cycle de repousse du végétal, être nette : avec une épareuse, on risque de déchiqueter le bois, entraînant une repousse anarchique avec le risque de créer une porte d’entrée pour des parasites et pathogènes. Il faut par ailleurs couper au bon endroit : juste après les bourrelets cicatriciels à la base des branches. Par ailleurs, le fait d’avoir de grosses têtes, riches en réserves, va permettre une repousse plus vigoureuse l’année suivante.”
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Quels sont aujourd’hui les freins à cette pratique ?
M. B. : “Le temps de travail, la pénibilité, les risques, et le coût du matériel - même si on peut faire appel à du matériel de Cuma - et d’un éventuel prestataire.”
Tables fourragères : quézaco
M. B. : “On taille les arbres un peu comme de la vigne, à 50-80 cm de haut, les repousses sont directement consommées sur pied par les animaux. L’idée serait sur une haie, de tailler certains arbres de cette façon, et d’en garder d’autres en hauts jets pour servir d’ombrage. Au printemps, la partie taillée serait protégée par un fil pour en empêcher l’accès aux animaux, un fil qu’on déplacerait ensuite progressivement l’été. Ce sont des modèles qui se sont pas mal développés en Suisse : je suis intervenu sur ce sujet dans un secteur où 350 exploitations, principalement des fermes laitières, ont planté des haies afin de servir de fourrages l’été si besoin.”
(1) Centre interrégional d’information et de recherche en production ovine.
(2) Teneur en protéines brutes.