Et si l’outil agricole AP3C bénéficiait à la forêt ?
À l’initiative du Sidam, les acteurs de la forêt du Massif central¹ se sont réunis fin janvier pour comprendre en quoi l’outil AP3C (Adaptation des pratiques culturales au changement climatique) développé pour l’agriculture pouvait être transposable au secteur forestier.
Les échanges, alimentés par cinq années de résultats issus du projet AP3C ont montré le réel besoin de comprendre les évolutions climatiques en cours et à venir afin de développer une stratégie territoriale garante de la résilience des forêts. Pour mémoire, le modèle AP3C, né en 2015 à l’initiative des professionnels agricoles du Massif central, a la particularité rare d’avoir conçu et développé ses propres projections climatiques. « Ainsi, sur la base de données observées entre 1980 et 2015, l’expertise d’un climatologue nous a permis de produire des projections climatiques à l’horizon 2050, le tout, compatibles avec les évolutions climatiques déjà enclenchées sur les différentes zones de notre territoire », explique Marine Leschiutta, chargée de mission agro-climat au Sidam.
En effet, si l’on considère les références climatiques classiques, dites « normales », habituellement utilisées dans d’autres projets, ces dernières ne représentent plus le vrai présent du climat, et ceci à cause du changement climatique déjà à l’œuvre. Ainsi, les normales 1981-2010, représentatives d’un climat centré sur 1995, c’est à dire datant de 25 ans par rapport à 2020, ne peuvent plus servir de référence pour décrire notre climat actuel. L’erreur atteint 0,4 °C par décennie, c’est à dire 1 °C pour 25 ans, ce qui est considérable pour des températures moyennes annuelles, et équivalent à un décalage d’environ 200 km vers le Sud.
Des dégâts déjà visibles en forêt
En considérant qu’un arbre met entre 20 à 50 ans (pour les espèces les plus courantes) à atteindre sa taille adulte, on comprend vite que l’on ne peut se passer de prendre en compte le changement climatique dans une stratégie de renouvellement des forêts. Or, comment connaître aujourd’hui les essences qui s’adapteront à notre climat de demain ? Si les forestiers diversifient les essences à l’échelle parcellaire pour limiter les dégâts, l’idéal serait d’implanter des essences qui seront en fonctionnement optimal avec le climat correspondant au milieu de leur cycle de vie. « En s’appuyant sur des outils, comme les indicateurs développés dans AP3C, on apporte un élément supplémentaire à la réflexion pour favoriser des prises de décisions cohérentes avec les évolutions climatiques à venir. Ces outils doivent permettre d’être opérationnels à l’échelle de la parcelle car comme nous avons pu le constater un des impacts majeurs liés au changement climatique est l’augmentation de la variabilité inter et intra-départementale », précise Marine Leschiutta. Et il y a urgence à s’emparer de tous les outils existants car la forêt souffre déjà.
Toutes les essences sont aujourd’hui concernées par le changement climatique. Cependant, certaines sont plus touchées et subissent des crises sanitaires. Par exemple, les épicéas, sensibles à la sécheresse, sont les grandes victimes d’une épidémie de scolytes. Ces insectes se développent après des tempêtes ou, comme en 2019 et 2020, après une sécheresse, quand les arbres sont fragilisés et plus vulnérables face aux attaques des ravageurs. Les scolytes en profitent et pullulent, jusqu’à former des populations suffisantes pour attaquer aussi des arbres sains. Pour tenter d’enrayer ces phénomènes, le monde de la forêt est à pied d’œuvre en recherchant des essences plus résistantes aux sécheresses, et, plus globalement, aux climats chauds. « Il y a toujours eu des variations climatiques au cours du temps et les forêts se sont adaptées. Le problème du réchauffement actuel du climat est sa rapidité. La migration géographique naturelle des essences est trop lente pour suivre le mouvement », explique Manuel Nicolas, responsable du Renecofor (réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers) à l’ONF. Le forestier peut donc agir en faisant de la migration assistée : transporter des graines du sud pour les implanter plus au nord, dans des climats où l’on suppose que les essences seront plus adaptées dans 50 ou 100 ans. C’est notamment ce que fait l’ONF avec ses partenaires dans le cadre des projets Giono et MedforFutur.
1. En partenariat avec l’IADT (Institut d’Auvergne du développement des territoires) et l’UMR Territoires.